2.5 Débats intérieurs.

Mgr Mignot évoque longuement son état d'esprit à l'époque de Laon au travers de ses conversations avec la mère supérieure "intelligente et instruite", qui s'inquiétait de l'évolution de l'aumônier 507 . Ses conversations permettent d'approfondir sa réflexion et d'affiner ses arguments. La grande objection de sa tante est d'ordre spirituel. Elle met en garde le jeune prêtre contre l'orgueil et lui prêche l'humilité : "Crois-tu avoir plus d'intelligence, de science que tout le monde, que les docteurs et les théologiens ?"

L'abbé Mignot, qui n'a pas la prétention d'avoir raison contre tout le monde, réfute cette mise en garde d'un triple point de vue. D'abord il estime que la plus grande partie du clergé, sans excepter les curés, est insuffisamment renseignée sur les grandes questions contemporaines pour la simple raison qu'elle ne les a pas étudiées. Ces questions ont peut-être été évoquées au séminaire, mais "les professeurs étant dans des idées étroitement traditionnelles, ne soupçonnant pas la gravité des problèmes, pas même parfois leur existence, ne pouvaient enseigner que ce qu'ils avaient appris eux-mêmes".

Ensuite, la question n'est pas de savoir si l'on peut se prétendre l'égal des théologiens en renom et des maîtres de l'enseignement chrétien. De ce que la physique d'Aristote et de saint Thomas apparaît aujourd'hui puérile, il ne s'en suit pas que ces grands hommes ont été de petits esprits. Il faut donc se demander s'ils pouvaient devancer leur temps. Force est de constater qu'il n'en est rien. "Copernic a détrôné Ptolémée en astronomie ; R. Simon a dans l'ensemble détrôné l'exégèse de Bossuet. Ainsi va le monde. On ne peut guère devancer son temps...!"

Enfin, si les défenseurs convaincus de la tradition sont remarquables par leur science, ces savants "sont convaincus d'avance ; ils s'appliquent moins à chercher la vérité qu'à défendre ce que dans leur conviction ils croient être la vérité". On peut leur opposer leur toutes les difficultés, accumuler devant eux les objections tirées de la critique, ils restent insensibles à tous ces arguments : "c'est du pieux parti pris : cela n'est pas ainsi parce que cela ne peut être ainsi. Ils ne sortent pas de là. C'est la même mentalité qui fit condamner Galilée et ses partisans".

Cette défense du statu quo, l'abbé Mignot l'attribue au "besoin de tranquillité d'esprit", au désir "de conserver ses habitudes, de ne pas changer son fauteuil de place au coin du feu" et surtout à la difficulté de convenir "qu'on a été dans l'erreur, qu'on est supplanté par des jeunes nouveaux venus" alors qu'il est "si commode de s'en tenir à ces trois affirmations décisives : authenticité, intégrité, véracité ! Avec cela on peut dormir ! et pendant ce temps là nos adversaires travaillent et démolissent".

Notes
507.

1 er Reg., f° 75-77 pour toutes les citations de ce paragraphe.