1.2 Les ouvrages utilisés.

L'abbé Mignot cite un certain nombre d'instruments de travail classiques comme par exemple une concordance latine mais aussi des ouvrages plus importants comme le Cours complet d'Écriture sainte de Migne 559 , et l'Histoire générale des auteurs ecclésiastiques et sacrés de Dom Ceillier. Les possède-t-il réellement ou les connaît-il au travers des ouvrages d'exégètes ? Il n'est pas facile de trancher. La manière dont le Cours complet est cité avec référence au tome et à la page - ce qui est tout à fait inhabituel - incline à penser qu'il se trouve, au moins en partie, dans la bibliothèque du doyen. La chose est en revanche plus douteuse pour l'Histoire de Dom Ceillier 560 à laquelle il se contente de renvoyer de manière vague.

L'abbé Mignot a également sous la main l'Histoire critique du Vieux Testament de Richard Simon 561 , vraisemblablement dans la réédition qu'en a faite Semler 562 . Il l'utilise abondamment et explicitement comme source sur l'histoire de l'exégèse au XVIe siècle 563 . De même il possède vraisemblablement L'Institution de la religion chrétienne de Calvin qu'il cite longuement 564 et de façon précise.

L'auteur contemporain le plus utilisé 565 est M. Vigouroux dont La Bible et les découvertes modernes est explicitement cité alors que Le Manuel est largement mis à contribution sans que cela soit jamais signalé. M. Vigouroux sert de caution d'orthodoxie 566 et l'abbé Mignot ne se fait pas faute de rappeler dès qu'il le peut que les positions qu'il avance sont également celles du sulpicien. Ainsi à propos de la théorie documentaire : "M. Vigouroux qu'on ne peut taxer de mollesse paraît convaincu de la présence de ces documents..." 567 ; ou à propos de l'absence de chronologie biblique : "C'est le sentiment de M. Vigouroux, et on peut se fier à son orthodoxie !" 568 Mais ces points de convergence avec M. Vigouroux, soulignés avec complaisance, pallient ceux, plus nombreux, où l'abbé Mignot, bien qu'il prenne le soin de préciser qu'il ne marchande "ni (ses) éloges ni (son) affectueuse vénération" 569 à l'exégète, se sépare de lui. Que ce soit sur l'homogénéité de la composition de la Bible dont M. Vigouroux "est parmi nous le défenseur toujours résolu", sur les Pères dont il a tendance à minimiser le témoignage en ce qui concerne l'inspiration verbale, sur la nature et l'étendue même de l'inspiration 570 enfin, l'abbé Mignot est bien obligé d'indiquer ce qui le sépare de "son vénéré contradicteur".

L'autre auteur contemporain, moins souvent cité mais beaucoup plus longuement, est Edouard Reuss, le grand théologien luthérien de Strasbourg 571 , en particulier son Histoire du Canon 572 . Certes, il prend soin, lorsqu'il le cite pour la première fois, de préciser qu'il est "loin d'accepter les conclusions souvent téméraires" 573 de "l'éminent critique", mais il ne l'en estime pas moins "l'un des plus modérés et des plus autorisés" 574 . C'est qu'il a fait siennes un certain nombre des conclusions de Reuss et qu'il l'utilise habilement pour émettre, sous son couvert, les idées qu'il lui paraît nécessaires d'acclimater auprès de l'opinion catholique. Ainsi en est-il par exemple de la nature de l'inspiration : "La génération présente dit M. Reuss, plus compétent que moi dans les choses du protestantisme, [...] a reconnu la nécessité de concevoir le fait de l'Inspiration autrement que comme une pression mécanique exercée par une force motrice sur un instrument passif. Car parmi nous aussi la conception scolastique s'étant affichée avec une crudité naïve a provoqué des protestations à peu près générale..." 575 . L'incise prudente sur "les choses du protestantisme" ne doit pas faire illusion. La phrase de Reuss traduit assez fidèlement ce que pense l'abbé Mignot sur la nature de l'inspiration et la prétention des théologiens "qui se contentent de renvoyer à tous les manuels de théologie, qui par parenthèse en font autant" 576 . Enfin c'est à travers le livre de Reuss qu'il a accès à des textes de Luther.

L'abbé Duchesne 577 , M. Le Hir 578 , Mgr Ginoulhiac 579 sont également utilisés ainsi que Fr. Lenormant comme nous le verrons plus loin. Mais l'abbé Mignot n'a pas de scrupule à utiliser, sans le dire, d'autres auteurs. Nous en avons au moins une preuve formelle. Il cite à plusieurs reprises, mot pour mot, un cours manuscrit sur l'inspiration rédigé avant 1883 par M. Hogan et qui circulait parmi ses anciens élèves 580 . L'abbé Mignot se justifie par avance des éventuels reproches qui pourraient lui être adressés sur ce point :

‘Il est difficile d'échapper au milieu où l'on vit ; les idées des autres, le courant intellectuel, nos sympathies, nos antipathies exercent sur nous une influence dont nous ne nous doutons pas toujours. Nos idées ne se développent pas toutes seules, elles ont besoin pour vivre de l'air ambiant ; nous avons en propre que bien peu de chose et notre bagage intellectuel se compose surtout d'emprunts faits à autrui... 581
Notes
559.

28 volumes publiés entre 1837 et 1845.

560.

Dom Rémi Ceillier (1688-1761), historien et théologien bénédictin, prieur de l'abbaye de Flavigny. Son principal ouvrage est une Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques publiée entre 1729 et 1763.

561.

Sur R. Simon voir P. Auvray, Richard Simon (1657-1712). Etude bio-bibliographique, Paris, 1974.

562.

L'abbé Mignot fait en effet allusion à une note de "l'éditeur protestant de l'Histoire du Vieux Testament" pour répondre aux attaques de R. Simon contre l'exégèse de Luther, f° 87. Johann Salomon SEMLER (1725-1791) est le représentant le plus important de l'exégèse historico-critique à l'époque des Lumières.

563.

Huit citations explicites. En particulier très longuement à propos du débat entre les Jésuites et les théologiens de l'Université de Louvain, il écrit : "L'histoire ne manque pas d'intérêt, j'en emprunte le fond à Richard Simon", f° 109.

564.

La citation occupe une page entière (f° 76) et l'abbé Mignot indique qu'il s'agit de la p. 19 de "la première édition française" (1541).

565.

Treize fois. La Bible et les découvertes modernes, Paris, 1877 ; le Manuel biblique, 2 vol, 1879-1880.

566.

Jouent le même rôle les citations de M. Le Hir et de Mgr Ginoulhiac.

567.

Essai..., f° 143.

568.

Ibid., f° 164.

569.

Ibid., f° 43.

570.

Ibid., f° 140, 43, 170-171.

571.

Edouard REUSS (1804-1891), professeur à la Faculté de théologie de Strasbourg occupe un grande place dans l'histoire de l'exégèse protestante en particulier grâce à sa traduction française de la Bible accompagnée de commentaires, 16 vol., (1876-1879). Voir la notice rédigée par Fr. Laplanche dans l'Encyclopédie du Protestantisme.

572.

Histoire du Canon des Écritures saintes dans l'Église chrétienne, Strasbourg et Paris, 1863.

573.

Essai..., f° 6.

574.

Ibid., f° 141.

575.

Ibid., f° 137.

576.

Ibid., f° 4.

577.

Sans référence.

578.

Études bibliques, Paris, Joseph Albanel, 1869.

579.

Les Origines du christianisme, Paris, Durand & Pedone-Lauriel, 1878.

580.

Fr. Laplanche, La Bible..., p. 193. François Laplanche a eu l'amabilité de me communiquer le texte intégral de ce cours. Les emprunts de l'abbé Mignot ne se limitent pas au seul passage qui avait attiré mon attention.

581.

Essai, f° 109.