5.2.3 L'origine géographique

La cartographie du lieu de résidence des correspondants de Mgr Mignot révèle des zones d'influences assez circonscrites.

On y trouve d'abord Paris. La capitale rassemble à elle seule un peu moins du tiers des correspondants. A cela, il n'y a rien d'étonnant. Comme nous le verrons, la proportion des hommes qui participent à la production et à la diffusion du savoir est importante parmi les correspondants de Mgr Mignot. Cette situation ne fait que refléter l'hégémonie parisienne en ce domaine.

Trois régions sont ensuite concernées. La Picardie, la Provence au sens large et le Midi-Pyrénées. La première est sa région d'origine et l'on comprend que l'on ait suivi, avec fierté pour certains, avec défiance pour d'autres, la part de plus en plus importante qu'un enfant du pays prenait dans les grands débats qui agitaient l'opinion publique. Les deux autres sont celles dans lesquelles il a occupé un siège épiscopal et même si Mgr Mignot a pu éprouver que "nul n'est prophète en son pays", il est assez normal de constater un rayonnement local de l'influence du prélat, surtout quand à Albi, son rang de métropolitain le met en contact fréquent avec ses suffragants.

A partir de ces deux régions, son influence se diffuse à proximité immédiate, dans la vallée du Rhône quand il est à Fréjus, en direction du Languedoc et de l'Aquitaine, quand il est à Albi. Le reste de la France semble avoir été moins touché en dehors du Nord où l'action de Mgr Mignot en faveur de l'abbé Lemire n'est pas restée inaperçue.

Le nom et les idées de Mgr Mignot ont dépassé les frontières de la France comme en témoigne le fait que 10% des correspondants du prélat sont des étrangers. Si l'on ne tient pas compte des Secrétaires d'État successifs, italiens et anglais font part égale, et dans les deux cas, que ce soit le P. Tyrrell et Miss Petre d'un côté ou les PP. Semeria et Genocchi de l'autre, l'intermédiaire a été le baron von Hügel. Le troisième pôle se situe aux USA, et là il faut créditer M. Hogan de s'être chargé de faire connaître l'archevêque. Le baron a diffusé les textes de Mgr Mignot en Allemagne : "J'ai envoyé le Discours sur la méthode aux Prof. H.-J. Holtzmann 793 , Eucken 794 , Troeltsch 795 , écrit-il le 29 janvier 1902 à Mgr Mignot. Non sans résultat puisqu'il peut lui annoncer dans la lettre suivante :

‘Cet excellent Prof. Eucken vient de m'envoyer tout un long article sur Vous et Votre Discours, qu'il publie dans le supplément de l'Allgemeine Zeitung de Munich. C'est vraiment beau, et si plein de chaleureuse (et nullement compromettante) admiration pour Vous, mon bien cher Archevêque. Je lui avait envoyé le Discours, en fortement attirant son attention sur son importance 796 .’

Mais barrière de la langue ou moindre intérêt des catholiques allemands pour les combats que mène Mgr Mignot, aucun de ses correspondants n'est allemand.

Notes
793.

Heinrich Julius HOLTZMANN (1832-1910), professeur d'exégèse du Nouveau Testament à Heidelberg puis à Strasbourg. Il est le père de la théorie des deux sources qui tente de résoudre le problème synoptiques en faisant dériver Matthieu et Luc de Marc (ou d'un état antérieur de Marc) et d'une source Q (Quelle, source en allemand) constituée de logia de Jésus. En 1905, Bremond qui l'a rencontré à Londres écrit à Loisy : "He likes you very much and says you are sehr bedeutend, which is, I think, the zenith of German praise", (5 juin 1905, BLE, 1968, p. 18).

794.

Rudolf EUCKEN (1846-1929), professeur de philosophie à l'université de Bâle (1874) puis à Iéna (1908), prix Nobel de littérature (1908). Face au naturalisme et au positivisme dominants il développa un néo-idéalisme teinté de religiosité qui faisait du christianisme la religion suprême en tant que religion de l'esprit. Il estimait que "vouloir mettre la religion en formules rationnelles, c'est la détruire".

795.

Ernst TROELTSCH (1865-1923), professeur de théologie à la faculté de Bonn (1892) puis à celle de Heidelberg (1894), il sera à partir de 1915 professeur de philosophie à l'université de Berlin. Ami et correspondant du baron von Hügel, ses recherches sur la genèse de l'esprit moderne cherchent à répondre à la question de savoir comment être chrétien au XXe siècle, c'est-à-dire comment concilier le relativisme historique et l'absolu de la foi.

796.

Baron von Hügel à Mgr Mignot, 25 février 1902.