1.1 L'encyclique Depuis le jour.

Dans ce contexte, l'encyclique Depuis le jour du 8 septembre 1899 définit dans sa première partie le cadre général dans lequel doivent s'inscrire les études dans les séminaires.

Comme à son habitude, Léon XIII fait preuve de pragmatisme : il admet qu'il est indispensable, "pour maintenir l'influence du clergé sur la société, qu'il compte dans ses rangs un assez grand nombre de prêtres ne le cédant en rien, pour la science […] aux maîtres que l'État forme pour ses lycées et ses Universités" et qu'il faut pour cela qu'ils obtiennent les grades nécessaires. Mais c'est aussitôt pour rappeler avec fermeté les principes : il insiste sur la nécessité de demeurer fidèle aux siècles passés dans le cursus des études dans les petits séminaires comme dans les grands. Dans les premiers, il faut veiller à conserver les méthodes traditionnelles dans l'enseignement des belles-lettres qui doit converger vers la "possession de la langue latine, qui est comme la clef de la science sacrée". Dans les seconds, il faut en rester au programme de Pie IX : deux ans de philosophie rationnelle et trois ans de sciences sacrées proprement dites : théologie dogmatique et morale, Écriture sainte, histoire ecclésiastique et Droit Canon.

Le centre de l'encyclique est un sévère rappel à l'ordre au sujet de l'enseignement de la philosophie et de l'exégèse. Le pape renvoie d'autant plus fermement aux encycliques Aeterni Patris et Providentissimus Deus, qu'il réprouve les tentatives faites dans ces deux domaines pour aborder les questions en tenant compte des nouvelles manières de poser les problèmes. En ce qui concerne la philosophie, il écrit :

‘Ce nous est une profonde douleur d'apprendre que, depuis quelques années, des catholiques ont cru pouvoir se mettre à la remorque d'une philosophie qui, sous le spécieux prétexte d'affranchir la raison de toute idée préconçue et de toute illusion, lui dénie le droit de rien affirmer au delà de ses propres opérations, sacrifiant ainsi à un subjectivisme radical toutes les certitudes de la métaphysique traditionnelle.’

Et en ce concerne l'Écriture :

‘Sous le spécieux prétexte d'enlever aux adversaires de la parole révélée l'usage d'arguments qui semblaient irréfutables contre l'authenticité et la véracité des Livres Saints, des écrivains catholiques ont cru habile de prendre ces arguments à leur compte. En vertu de cette étrange et périlleuse tactique, ils ont travaillé, de leurs propres mains, à faire des brèches dans la muraille de la cité qu'ils avaient mission de défendre.’

La mise en garde vise Maurice Blondel dont l'article sur "les exigences de la pensée contemporaine en matière d'apologétique" 1041 avait lancé le débat sur la méthode d'immanence et bien sûr l'abbé Loisy. Dans deux des domaines où la pensée catholique manifeste en France le plus de vitalité, le pape marque très nettement les limites à ne pas franchir.

On comprend pourquoi l'archevêque avait pris la précaution d'annoncer que ses Lettres ne seraient pas un commentaire de l'encyclique de Léon XIII. Ce commentaire, il ne pouvait pas réellement l'écrire dans la mesure où il n'y avait en vérité pas grand chose à commenter dans un texte qui, du point de vue de Mgr Mignot, ne prenait pas en compte les problèmes de fond posés par la formation des prêtres. Celle-ci ne pouvait pas seulement se limiter à une simple adaptation interne. Elle devait nécessairement abandonner d'une part "l'imprudent dédain" que trop de clercs manifestaient vis-à-vis des difficultés que rencontraient leurs contemporains et d'autre part leur "confiance excessive en certains arguments qui, bien qu'encore valables en eux-mêmes, ont perdu auprès d'eux une partie de leur force et de leur portée" 1042 .

Il suffit de comparer les Lettres de Mgr Mignot à celles de Mgr Le Camus et de Mgr Latty qui au même moment estiment devoir prendre des initiatives pour la réorganisation de leur grand séminaire 1043 , pour en saisir l'originalité. Ses collègues entrent jusque dans le détail des cours et des horaires et ont bien pour ambition de proposer un nouveau ratio studiorum. En revanche Mgr Mignot en reste aux grands principes et ses Lettres sur les études ecclésiastiques apparaissent comme une opportune fiction lui permettant à d'exposer ses idées sur la question soulevée depuis une dizaine d'années, celle de l'adaptation du discours de l'Église aux réalités du monde contemporain 1044 .

Notes
1041.

M. Blondel, "Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d'apologétique et sur la méthode de la philosophie dans l'étude du problème religieux", APC, janvier-juin 1896.

1042.

Lettre de Mgr Mignot à son clergé, n° 2, p.4.

1043.

Mgr Le Camus, Lettre sur la réorganisation des études ecclésiastiques, Paris, H. Houdin, 1901, 79 p. ; Mgr Latty, Lettre de Mgr Latty, évêque de Châlons, à MM. Les Directeurs de son grand séminaire, Paris, Poussièlgue, 1902, 200 p.

1044.

Il s'en était longuement entretenu avec l'abbé Loisy en décembre 1899, cf. lettre de ce dernier au baron von Hügel, 6 décembre 1899, BN, Naf, 15645, f° 13.