2. La méthode de la théologie.

L'arrivée de Mgr Mignot parmi les évêques protecteurs de l'Institut catholique de Toulouse est accueilli avec satisfaction par le recteur, Mgr Batiffol. Dans la lettre de félicitations qu'il adresse au nouvel archevêque d'Albi, il espère que leurs "relations déjà bonnes" deviendront "des relations meilleures encore" et il l'invite à venir, dès que cela lui sera possible, visiter l'Institut où un appartement est à la disposition des évêques du Conseil : "ce sera une fête de vous y accueillir" 1133 . Il n'est donc pas étonnant que Mgr Mignot ait été sollicité pour prononcer le discours de rentrée en 1901.

Or, après ses vacances, il rentre fatigué à Albi : "Ma santé est moins remise que je ne l'aurais voulu, écrit-il à Loisy, je ne me débarrasse pas de ce qui a été depuis deux mois une fièvre muqueuse" 1134 , c'est à dire une typhoïde. Loin de se rétablir, Mgr Mignot fait une rechute. Début octobre l'abbé Birot écrit à Mgr Batiffol que la santé de l'archevêque "est toujours délabrée… Les médecins l'ont mis au lit et au repos". Il n'en supervise pas moins l'organisation de la journée de rentrée et fait demander au recteur des modifications dans l'ordre des intervenants, car il souhaite intervenir le premier :

‘Sa Grandeur se rend compte que celui qui parlera en dernier […] paraîtra forcément un peu long. Elle se défie de ce que dira le P. Guillermin 1135 sur l'usage de l'histoire en scolastique, les bons scolastiques n'ayant aucun besoin de l'histoire ; et comme son discours aura plus ou moins précisément pour objet la méthode des sciences religieuses, et, particulièrement, la méthode de la théologie, Mgr Mignot craint que cela fasse beaucoup de théologie et beaucoup de méthode. […] Il serait bien aise que vous lui cédiez le soin de parler en premier 1136 .’

Mgr Mignot a donc arrêté, à cette date, le thème de son discours et il entend bien - peut-être poussé par son vicaire général - faire en sorte qu'il ne passe pas inaperçu. Ne parvenant pas à se rétablir, il en confie la rédaction à l'abbé Birot, mais il suit de près le travail. C'est ce qu'il dit à Loisy : "Oui, j'ai été fort souffrant depuis un mois, et suis à présent rétabli. Selon votre conseil je me suis mis au repos absolu, sauf pour mettre la dernière main à mon discours de Toulouse 1137 . Quelle que soit la part respective que le texte doit à l'archevêque ou à son vicaire général, Mgr Mignot a toujours revendiqué avec force la paternité de ce discours finalement prononcé par l'abbé Birot au nom de l'archevêque qui n'a pas pu se rendre à Toulouse.

Mgr Mignot part de l'idée que l'Église ne retrouvera l'influence qui a été la sienne sur la société que dans la mesure où elle pourra faire la preuve de sa "supériorité intellectuelle et morale". C'est pour elle, être tout simplement fidèle à l'idée de catholicité que de "répondre par sa compréhension à toutes les exigences légitimes de la vie intellectuelle et morale de l'humanité". Comment mieux manifester l'universalité du christianisme que de se rendre capable de comprendre "toutes les pensées de l'homme" et pour cela s'efforcer "d'embrasser l'universalité du savoir humain" ? Reprenant une idée de Newman, il rappelle qu'une "université ne peut exister en dehors du terrain catholique, car elle ne peut enseigner la science universelle, si elle n'enseigne pas la théologie catholique". Mais qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, c'en est fini des systèmes capables de parvenir à une science universelle. A partir de la fin du Moyen-Age et de plus en vite ensuite, "l'objet de la connaissance se fractionna ; du sein déchiré de la science universelle, une à une, les sciences naquirent, à mesure que l'expérience et l'analyse, désormais maîtresse de toutes les avenues de l'esprit, en distinguaient les éléments" 1138 . De ce point de vue, la théologie n'est plus qu'une science parmi les autres. Or "la théologie catholique n'a pas encore atteint, au point de vue de la méthode, le degré de précision auquel sont parvenues d'autres sciences de moindre importance. […] Du côté de la dogmatique, nous constatons, chez beaucoup de théologiens, plus d'une hésitation : ce sont tantôt des entraînements irréfléchis, et tantôt d'aveugles intransigeances" 1139 .

Donner à la théologie un statut de science, au sens moderne du terme, suppose d'une part de combattre à la fois ceux qui refusent d'admettre cet état de fait et ceux qui contestent à la théologie le statut de science et d'autre part d'indiquer à quelles conditions elle peut rester fidèle à la vérité révélée.

Sur le premier point, Mgr Mignot développe une double argumentation. Il rappelle, aux nostalgiques du passé, que la théologie ne peut plus prétendre intégrer tous les savoirs, car à une époque dominée par la méthode déductive et synthétique 1140 a suivi une époque dominée par la méthode expérimentale et analytique. "Tandis que la théologie fut la première science constituée, le principe du mouvement scientifique et pour ainsi dire la seule science dans le premier cycle, elle apparaît au contraire, dans le second, comme une science conditionnée, se développant la dernière, pour être le terme et le couronnement de toute la spéculation" 1141 .

A ceux qui dénient tout caractère scientifique à la théologie, il s'emploie à démontrer que celle-ci répond bien aux exigences de toute science, à savoir d'avoir un objet particulier et une méthode spécifique. Certes, l'objet propre de la théologie échappe à l'expérience immédiate. Mais dans la mesure où il est constitué par l'ensemble des "vérités révélées, telles qu'elles se trouvent dans l'Écriture et dans la Tradition de l'Église", cet objet surnaturel peut être appréhendé dans et par le langage. D'où la nécessité de fonder le travail dogmatique d'interprétation sur un rigoureux travail d'information critique. Ce travail relève d'un grand nombre de disciplines et le discours interprétatif doit nécessairement avoir recours à des concepts philosophiques ainsi qu'à des analogies fournies par les sciences. C'est en ce sens que la théologie est une "science conditionnée". Quant à la méthode elle est "en même temps traditionnelle et progressive". Traditionnelle en ce sens que, comme toutes les sciences, la théologie doit prendre appui sur les acquis antérieurs pour pouvoir progresser. Progressive - mot que Mgr Mignot préfère à progressiste - en ce sens que toutes les connaissances, "même les plus évidentes et les plus sûres", sont révisables. Mgr Mignot en prend pour preuve l'évolution des conceptions sur la rédaction du Pentateuque dans le Cursus Scripturae sacrae 1142 entre le livre du P. Cornely et celui du P. von Hummelauer.

Sur le second point, il commence par distinguer "la certitude de la doctrine" d'avec son "exposition scientifique". Dans tous les domaines de la connaissance il y a des faits dont on peut être certain sans pour autant pouvoir les rattacher à une explication rationnelle qui en rende parfaitement compte. C'est ce même rapport qui existe entre le dogme et la théologie. Les vérités contenues dans le premier doivent sans cesse être reformulées. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la notion de développement de la doctrine. Et Mgr Mignot d'en donner un exemple sur l'interprétation du sacrifice du Christ : "rançon payée au Diable par le Père céleste", puis "devant l'insuffisance manifeste de cette idée", développement de "la théorie plus rationnelle d'une substitution du Christ à l'humanité pour acquitter la dette de justice contractée par l'homme pécheur", enfin, devant "le côté fort incomplet du mystère" exprimée par cette idée, "on fait intervenir l'amour, une sorte de solidarité gracieuse entre Dieu et l'homme" 1143 .

Ce travail d'adaptation est le signe même de la vie. "Sans lui, notre foi ressemblerait à ces religions de la Phénicie ou de l'Egypte qui sont maintenant fixées pour toute la durée des siècles sur la pierre des stèles et des tombeaux" 1144 . Comment peut-on être sûr que cette adaptation reste fidèle à l'enseignement authentique de l'Église ? Tout simplement quand elle est admise par l'Église enseignante, c'est-à-dire par le magistère infaillible qui est seul compétent pour définir la foi catholique. Mais, s'appuyant sur un article récent du P. Tyrrell 1145 , il suggère de dépasser l'opposition classique entre Église enseignante et Église enseignée. Il faut en effet tenir compte de "l'action réciproque, de la solidarité mutuelle qui lie les représentants de l'autorité aux représentants de la science" et ne pas limiter "à une pure passivité" le travail des derniers. En fait, l'Église enseignante ne peut se prononcer que sur ce qui a été élaboré par la foule des croyants depuis les plus humbles jusqu'aux savants, aux saints et aux mystiques. Il est donc préférable de parler d'Église apprenante plutôt que d'Église enseignée. C'est cette Église studieuse qui "prépare et féconde la parole de l'Église enseignante".

Le P. Congar tenait ce discours de la méthode pour un texte majeur de la théologie du début du XXe siècle "et de beaucoup le plus important document de cette époque" 1146 . C'est qu'en effet il assigne à la théologie une tout autre fonction que celle qu'elle assume traditionnellement : être au service de l'exposition d'un corps de doctrine intangible. Mgr Mignot s'emploie à montrer que la théologie a désormais pour tâche de proposer une meilleure intelligence de la foi chrétienne en tenant compte des exigences de la pensée contemporaine afin d'être au service de fidèles qui ne sont pas isolables du monde dans lequel ils vivent. Loisy, lui, y voyait "un des premiers manifestes du modernisme catholique" 1147 .

Le discours est publié simultanément dans le Bulletin de Littérature Ecclésiastique et dans la Revue du Clergé Français 1148 . L'abbé Naudet demande à Mgr Mignot l'autorisation de le publier dans La Justice Sociale : "Nous avons parmi nos lecteurs plusieurs milliers de prêtres auxquels je serais heureux de procurer le même plaisir et le même profit (qu'il a lui-même éprouvés)" 1149 . Les revues sont relayées par la presse catholique qui publie des extraits du discours 1150 . C'est dire que les propos de l'archevêque ne sont pas restés confinés dans l'enceinte de l'Institut catholique de Toulouse, mais qu'ils ont connu au contraire une large diffusion. Celle-ci ne s'arrête pas à la France puisque le P. Tyrrell en donne, sur la suggestion du baron von Hügel, une traduction anglaise, qu'une traduction allemande a été envisagée 1151 et qu'un professeur d'histoire ecclésiastique du St Bernard's Seminary de Rochester, Charles Rivière, demande l'autorisation de traduire pour le public américain "cette importante manifestation de la pensée catholique française" 1152 .

On peut toutefois s'interroger sur l'impact réel d'une telle médiatisation quand on voit un homme aussi averti que l'abbé Guillibert, vicaire général du diocèse d'Aix-en-Provence, ami de Mgr Mignot et suivant de près son travail lui écrire un mois et demi après la parution : "On me dit que V. G. vient de publier une méthode de l'enseignement de la théologie. […] Je brûle de le lire" 1153 , ou lorsque l'on constate queMgr Mignot a reçu peu de courrier relatif à ce discours. Deux évêques 1154 présents à Toulouse le félicitent, mais ils écrivent surtout pour évoquer un problème concernant la nomination d'un professeur. En dehors de Loisy et du baron von Hügel, les seules réactions notables dont il reste trace dans la correspondance de l'archevêque, sont celles de l'abbé Gayraud 1155 et du P. Tyrrell. L'archevêque recevra bien d'autres lettres mais plus tardivement, visiblement en réponse à l'envoi personnel d'un tiré à part 1156 . Peut-être faut-il estimer avec Loisy que "certaines choses (sont passées) par dessus la tête d'un grand nombre, et (que) les plus avisés parmi ceux qui n'ont pas été contents, (ont trouvé) peut-être plus expédient de se taire" 1157 .

En revanche, la nouveauté du propos n'a pas échappé à l'exégète qui, une fois n'est pas coutume, exprime une adhésion totale aux idées de l'archevêque :

‘Il y a sans doute bien des siècles qu'on a dit autant de vérité dans une assemblée d'évêques. Et les vérités sont dites avec éloquence et autorité. Par ce discours, plus encore que par vos lettres, vous prenez en tête de l'épiscopat français une place qui est restée longtemps vide, car je ne suis pas bien sûr que quelqu'un l'ait occupée au cours du XIXe siècle. Grâce à vous l'Église prend officiellement l'attitude qu'elle doit prendre en face du mouvement scientifique, désormais incoercible. Je ne veux pas affirmer que beaucoup de gens ne se feront pas encore longtemps prier avant d'accepter votre programme ; mais le programme est là, et il marquera une date. C'est un bon commencement de siècle. Je n'entends pas dire qu'on murmure tout haut 1158 .’

Le baron von Hügel de son côté exprime à l'archevêque toute la satisfaction qu'il éprouve : "Je ne crois vous avoir dit suffisamment combien je suis content du Discours sur la méthode : je l'ai maintenant lu très attentivement une seconde fois, et je l'aime encore plus qu'à la première lecture" 1159 . Il manifeste explicitement son accord sur trois idées défendues par Mgr Mignot : celle du "changement advenu à l'axe de la pensée et de la science humaine, et ce qui en découle pour la théologie" ; celle qui présente "l'autorité de l'Église (comme) un témoin du fait et de l'expérience de la conscience humaine universelle et continuelle" ; et enfin celle qui concerne "les immenses modifications qu'ont subi les concepts rationnels des dogmes même les plus fondamentaux".

Ce dernier point au contraire arrête l'abbé Gayraud. Après avoir félicité l'archevêque d'avoir jeté "le discrédit sur les méthodes routinières et contribué à la liberté des études sur documents de la Révélation et des fondements rationnels de la foi", il le critique sévèrement sur la façon dont il a présenté l'évolution de la doctrine à propos du sacrifice du Christ. Pour lui, il n'y a pas eu "interprétations successives du dogme de Christ mort pour le salut des hommes : elles ont été enseignées simultanément dès l'origine dans l'Église, car elles ont leur fondement dans la Sainte Écriture" 1160 . Mgr Mignot répond qu'il ne conteste pas que ces idées se trouvent dans la tradition évangélique, encore que pour celle de la rançon payée au diable, il s'agit "d'une puérilité qui provient d'une interprétation excessive et anthropologique du "qui eripuit nos a potestate diaboli". Ce qu'il a voulu dire, "c'est qu'elle s'appellent l'une l'autre, et que chacune d'elle isolée est incomplète". D'autre part il a cru "pouvoir affirmer aussi qu'il y a une certaine succession dans leur développement, en ce sens qu'on n'a pas toujours également insisté sur chacune d'elles". Enfin "il n'est pas douteux qu'on ne s'appuie surtout de nos jours sur l'idée d'amour et qu'elle ne paraisse la justification la plus satisfaisante aux âmes mêmes les plus chrétienne du scandale de la Croix. Il s'est donc fait par l'exigence croissante des esprits, un progrès de la doctrine qui a su devenir plus compréhensive et plus synthétique, et c'est là tout ce que j'ai voulu dire" 1161 .

En retour, l'abbé Gayraud opère un repli stratégique. Il exprime son accord sur le fait qu'il y a "développement et progrès du dogme, adaptation de certains arguments et de certaines méthodes à de certains moments historiques de la pensée et de la foi". Il a seulement tenu à appeler l'attention de l'archevêque sur l'exploitation qui est faite de ces idées qui risquent d'être "compromises par des écarts répréhensibles de ceux qui se donnent ou qui passent pour leurs tenants parmi nous", à savoir ceux qui récusent la scolastique qui a pourtant été "un progrès considérable de la doctrine". La démonstration apologétique à laquelle elle est parvenue et qui a été "résumée et consacrée par le Concile du Vatican", fait partie des acquis intangibles de la théologie. Or la scolastique est attaquée "malgré l'autorité du Saint Siège, non seulement dans ce qu'elle contient d'adaptation momentanée et transitoire à une certaine époque de la pensée humaine, mais dans le progrès même qu'elle a réalisé". Elle est battue en brèche par "des esprits imbus de positivisme et de kantisme, qui l'accusent d'être insuffisante en soi et radicalement impropre à rendre raisons de nos croyances" 1162 .

On voit bien que c'est la question de méthode qui est centrale dans le débat. L'accusation de positivisme et de kantisme n'est pas faite au hasard. Depuis deux ans, l'abbé Fontaine publiait des articles 1163 qui dénonçaient le péril des infiltrations protestantes et kantiennes dans l'Église, c'est-à-dire le péril de l'individualisme et du subjectivisme. Suggérer, comme le faisait Mgr Mignot, que la théologie avait pour mission de répondre aux interrogations nouvelles nées des transformations sociales et culturelles du monde contemporain ne pouvait apparaître, au sourcilleux défenseurs de l'orthodoxie qu'était l'abbé Gayraud, que comme une dangereuse concession.

Tandis que se déroulait cette controverse privée sur le statut de la théologie, Herbert Williams, correspondant du Weekly Register appelait l'attention des lecteurs du journal, sur une phrase du discours de Mgr Mignot qu'il estimait peu orthodoxe. Après avoir dit que les apôtres n'auraient rien fait sans le don du Saint-Esprit l'archevêque avait ajouté :

‘On peut se demander ce qu'il serait advenu de la doctrine de Jésus, si elle n'eût providentiellement rencontré l'âme de Paul, son esprit, sa culture romaine, sa vigoureuse éloquence : à en juger par les vraisemblances humaines, elle ne serait point sortie du cercle d'Israël, et aurait seulement donné naissance à une sorte de secte ou de schisme judaïque 1164 .’

N'était-ce pas là mettre en doute le fait que le Christ avait voulu et fait catholique son Église ? Mgr Mignot écrit au directeur du journal pour mettre les choses au point. Il estime d'abord qu'on a attiré l'attention des lecteurs sur ce qui n'est qu'un "obiter dicta" de son discours. Manière élégante de dire que H. Williams est passé, de son point de vue, à côté de l'essentiel. Sur le fond, il est évident que son "appréciation du rôle de saint Paul dans l'Église primitive est une pure conjecture historique, et n'a aucune portée doctrinale". L'archevêque ne doute pas que l'Église porte en elle-même son principe de vie surnaturelle et qu'en ce sens, personne ne lui est indispensable. Il n'en demeure pas moins que Dieu se sert des hommes pour réaliser ses desseins et à ce titre comment ne pas voir que l'influence de Paul a "puissamment contribué à faire prévaloir dans la chrétienté naissante des idées que les autres connaissaient, mais dont l'application restait hésitante et malaisée, et qui auraient pu être étouffées - humanum dico - par la violente réaction qu'elles soulevaient" 1165 .

La critique n'est pas si anodine que l'archevêque feint de le croire puisqu'elle porte sur une des questions qui est au centre de la crise moderniste, celle des rapports entre l'histoire et le dogme. Il jugera d'ailleurs bon de publier cette lettre en note, lors de l'édition de 1908, la présentant comme "son véritable point de vue". Si l'on comprend bien Mgr Mignot, il admet que les faits dont connaît l'histoire sont dans une large mesure indépendants de leur interprétation qui relève de la théologie. Il nous faudra tenter de déterminer jusqu'où il admettait cette autonomie de l'histoire et comment il concevait le règlement des éventuels conflits entre les deux regards.

Le P. Tyrrell qui entre en relation avec l'archevêque à cette occasion l'approuve de s'efforcer de remuer la torpeur du clergé face à la menace d'un divorce culturel irrémédiable entre les clercs et les laïcs :

‘A coup sûr Votre Grâce est allé à la racine de notre danger en adressant ce discours comme les précédents au clergé. C'est un fait général que, alors que les laïcs prennent part à la vie intellectuelle de leur époque et de leur pays, pour le meilleur et pour le pire, le clergé, dans sa plus grande partie, respire l'atmosphère d'un passé enseveli. Le monde de la pensée profane s'envole mais le monde de la pensée du séminaire est pratiquement resté immobile depuis des siècles 1166 .’

Et il conclut : "Il y aura sûrement des commentaires de la part de réactionnaires surpris et contrariés mais j'espère que vous aurez confiance en moi pour balayer ces mouches si elles devenaient ennuyeuses" 1167 .

Les réactions de l'abbé Loisy, du baron von Hügel, du P. Tyrrell d'un côté, de l'abbé Gayraud - et, à certains égards, du journaliste anglais lui-même - de l'autre, montrent qu'ils ont parfaitement compris que Mgr Mignot posait, avec ce discours, une question cruciale à l'Église : la théologie peut-elle être, pour répondre aux besoins des hommes de ce temps, autre chose qu'un discours formel articulant logiquement les vérités révélées dans un cadre de pensée emprunté à la scolastique ? Le fait est que des hommes par ailleurs assez proches sur leur conception du catholicisme, donnent des réponses différentes à cette question. Il ne s'agit pas de savoir qui avait tort et qui avait raison, mais de comprendre pourquoi la réponse qui paraît évidente aujourd'hui, ne l'était pas il y a cent ans.

Notes
1133.

Lettre du 9 décembre 1899, ADA, 1 D 5 01.

1134.

Mgr Mignot à l'abbé Loisy, 4 septembre 1901, f° 146-147.

1135.

Dominicain, Doyen de la Faculté de théologie.

1136.

Abbé Birot à Mgr Batiffol, 7 octobre 1901, citée par le chanoine Bécamel, BLE, 1975, p. 31.

1137.

Mgr Mignot à l'abbé Loisy, 16 novembre 1901, f° 150-151.

1138.

"La méthode de la théologie", in Lettres sur les études ecclésiastiques, pp. 300-301.

1139.

"La méthode… ", Op. cit., pp. 297-298.

1140.

Il attribue à saint Augustin la méthode qui consiste "à chercher dans le texte inspiré la solution de tous les problèmes. C'était en un mot subordonner la science à la théologie. Ce fut un malheur intellectuel, car en cette matière comme en beaucoup d'autres, S. Augustin imprima une direction qui fut suivie pendant de longs siècles par les théologiens catholiques et protestants", Ecclesia discens, "Progrès de l'histoire des connaissances en cosmologie et géologie", f° 12, ADA, 1 D 5 11-02.

1141.

"La méthode… ", Op. cit., pp. 298-299.

1142.

Titre général d'une collection de commentaires des livres de l'Ancien Testament fondée par le P. Rudolf Cornely (1830-1908), jésuite.

1143.

"La méthode…", Op. cit., p. 310.

1144.

"La méthode…", Op. cit., p. 311.

1145.

"Docens discendo", Weekly Register, 19 juillet 1901.

1146.

DTC, XV, col. 441.

1147.

Mémoires, II, p. 78.

1148.

Respectivement n° du 1er décembre et n° du 15 décembre 1901.

1149.

Lettre du 9 janvier 1902, BLE, 1975, p. 30.

1150.

L'Univers du 23 décembre 1902.

1151.

"Le jeune Dr Sauer, disciple de ce Prof. Kraus [(1840-1901), prêtre, docteur en théologie, professeur d'histoire ecclésiastique], si distingué et tant aimé par nous tous, ses amis personnels, en médite une traduction allemande", écrit le baron von Hügel. Nous ignorons si ce projet a été réalisé.

1152.

Lettre du 7 janvier 1902, ADA, 1 D 5 01. Mgr Mignot a envoyé le texte de son discours à Ch. Rivière puisque celui-ci l'en remercie le 2 février ajoutant que Mgr Mc Quaid, estime qu'il s'agit "d'une splendide leçon d'université".

1153.

Mgr Guillibert à Mgr Mignot, lettre du 31 janvier 1902.

1154.

Mgr Germain, archevêque de Toulouse le 15 novembre et Mgr Bouquet, évêque de Mende le 14.

1155.

Hippolyte GAYRAUD (1856-1911), dominicain, professeur de philosophie à l'Institut catholique de Toulouse. Après avoir quitté l'ordre (1893), il succéda à Mgr d'Hulst comme député de Brest (1897).

1156.

Abbé Littière, professeur au grand séminaire de Soissons ou Mgr d'Allaines, vicaire général d'Orléans.

1157.

L'abbé Loisy à Mgr Mignot31 décembre 1901, BLE, 1996, pp. 103-105

1158.

L'abbé Loisy à Mgr Mignot31 décembre 1901, BLE, 1996, pp. 103-105

1159.

Lettre datée de l'Épiphanie 1902, ADA, 1 D 5 01.

1160.

Lettre du 22 décembre 1901, ADA, 1 D 5 01.

1161.

Brouillon s.d. (janvier 1902) de la main de Birot

1162.

Lettre du 24 janvier 1902

1163.

Réunis dans Les infiltrations protestantes et le clergé français, Paris, Petaux, 1901, puis dans Les infiltrations kantiennes dans l'Église, Paris, Petaux, 1902.

1164.

"La méthode…", Op. cit., p. 293.

1165.

"La méthode…", Op. cit., p. 295.

1166.

Lettre du 23 janvier 1902, ADA, 1 D 5 01 : "Surely Your Grace has gone to the very root of our danger in directing this and former discourses to the clergy. The broad fact remains that whereas the laity partake the mental Life of there age and country, for better and for worse ; the clergy, for the most part, breathe the atmosphere of a buried past : the world of secular thought rushes on, but the world of seminary thought has stood practicably still for centuries".

1167.

"There are sure to be comments there on from surprised and annoyed reactionaries ; but I hope you will trust me to brush away these flies should they become troublesome"