1.2 La réorganisation du grand séminaire au lendemain de la sécularisation

Le grand séminaire d'Albi était dirigé par les Lazaristes depuis 1836. Mgr Mignot n'avait pas de raisons particulières de leur retirer sa confiance, même s'il manifestait à l'occasion un peu d'agacement sur l'immobilisme dont fait preuve le supérieur. A l'abbé Loisy qui l'informe qu'arrive au séminaire "un jeune professeur d'Écriture sainte et d'histoire […] bien préparé" 1585 , il répond : "La nomination à Albi du professeur dont vous me parlez n'aura pas lieu, attendu que, avant d'avoir reçu votre lettre, et sur les instances du supérieur d'Albi, j'avais prié M. Fiat 1586 de ne pas toucher à notre Grand Séminaire. Voilà l'ennui de ne pas savoir les choses" 1587 .

En septembre 1902, le gouvernement fait part aux évêques de son intention de limiter l'action des congrégations autorisées aux œuvres pour lesquelles elles ont été reconnues. Mgr Mignot proteste pour la forme et demande au ministre s'il ne serait pas possible "de demander au Parlement une extension - en vue de l'enseignement ecclésiastique - du décret qui autorise la congrégation de St Lazare" 1588 . Mais il ne se fait guère d'illusion et il commence à préparer la rentrée 1903.

C'est l'occasion pour lui de réorganiser son grand séminaire comme il l'entend. Cela ne va pas sans difficulté. Certes, le diocèse d'Albi ne manque pas de prêtres capables d'enseigner dans un grand séminaire ", mais il faut les trouver, les réunir et les mettre en œuvre". En octobre 1902, il confie ses soucis à M. Vigouroux :

‘Il est en effet à peu près certain qu'il faudra se séparer des Lazaristes à la rentrée prochaine : la lettre du ministre ne laisse aucun doute à cet égard. […] Je songe comme supérieur à M. Birot dont personne ne conteste les talents et la vertu, mais beaucoup de prêtres redoutent ses idées et seraient effrayés de le voir à la tête du diocèse comme éducateur et formateur du clergé ! 1589

L'archevêque hésite, car il a conscience des difficultés et des oppositions auxquelles risque de se heurter l'abbé Birot. Les avis qu'il reçoit du diocèse et d'ailleurs mettent en avant le fait que cette nomination serait immanquablement critiquée à cause des idées qu'on prête au vicaire général. Il faut donc craindre que le moindre incident survenant au grand séminaire sous sa direction soit exploité contre le supérieur et contre l'archevêque lui-même. La prudence invite à avoir à ce poste "un bon parapluie" 1590 . Mgr Mignot revient donc sur son projet, mais il n'en confie pas moins à l'abbé Birot, en sa qualité de Directeur des études ecclésiastiques du diocèse, le soin de choisir les professeurs et de présider à la rénovation de l'enseignement.

Le choix des nouveaux enseignants témoigne du souci de faire appel autant que possible à des hommes ayant une formation supérieure acquise à l'Institut catholique de Toulouse ou, à tout le moins, ayant été élèves à Saint-Sulpice. L'abbé Louis de Lacger à qui est confiée l'histoire, l'abbé Jean Rivière à qui est confiée la théologie fondamentale sont dans le premier cas, l'abbé Joseph Bonsirven chargé de l'Écriture sainte, l'abbé Prosper Alfaric qui succède en 1905 au premier titulaire de la chaire de dogme, appartiennent au second groupe.

La réorganisation des études s'inspire naturellement des Lettres sur les études ecclésiastiques. Il s'agit, pour l'abbé Birot, comme pour Mgr Mignot, de former des prêtres aptes à comprendre les problèmes de leur temps et à mettre en œuvre des formes modernes d'apostolat.

L'enseignement se donne en français - ce n'est pas le moindre des scandales - et il tend à développer la réflexion personnelle plutôt que l'apprentissage par cœur de réponses toutes faites. Les vieux manuels de théologie sont abandonnés 1591 . Mgr Mignot ne les apprécie pas plus que Mgr Latty qui en relève le caractère ubuesque :

‘Les uns on voulu tout dire : ce ne sont que prolégomènes, préliminaires, définitions, divisions, subdivisions, états des questions, thèses, scolies. Les autres ont renchéri dans cette manie de dissection ; et outre de nombreuses "Observations" et de filandreux "Corollaires", on y voit encore d'interminables "Appendices" à la fin de chaque traité et des "Notes" à peine lisibles au bas de toutes les pages. D'autres, encore, ont visé principalement à réfuter les objections ; et toutes s'y trouvent, peut-être, mêmes celles que l'on faisait au temps d'Aristote : un vrai musée de balistique et d'artillerie 1592 .’

Mgr Mignot de son côté dénonce le catholicisme "qu'on a concentré dans les manuels de théologie comme les comprimés de Vichy !" 1593

Dans les disciplines sensibles, l'infléchissement est très net. Que ce soit en philosophie où le thomisme est davantage abordé comme une méthode que comme une forme définitive et parfaite de la pensée et où une large place est faite à la philosophie contemporaine ; que ce soit en théologie où l'enseignement du dogme inclut une approche historique qui présente les interprétations successives dont il s'est enrichi au cours des siècles ; que ce soit enfin en Écriture sainte où les problèmes soulevés par la méthode historico-critique sont franchement évoqués. D'autre part, l'abbé Birot estime que la culture des séminaristes doit être élargie et il introduit à cet effet plusieurs cours nouveaux, par exemple un cours d'histoire des civilisations anciennes et un cours de patrologie.

Ce ratio studiorum apparaît vite un peu trop ambitieux.. Le biographe de l'abbé Birot met en avant la limite des capacité des élèves : "On eut à Albi, la désagréable surprise de constater qu'il (le programme) était trop élevé pour la moyenne des intelligences. Aussi fut-on contraint peu à peu, pour le rendre efficace, de le mettre à leur portée, ce qui lui fit perdre le meilleur de son originalité" 1594 . Cet argument n'emporte pas la conviction. Les exemples de simplification qu'il donne relèvent surtout de la rationalisation de la charge de travail des professeurs. Il nous semble plutôt que la volonté, partagée par un certain nombre d'évêques, de rénover en profondeur les études dans leurs grands séminaires, a trouvé ses limites dans la nécessité de faire preuve de prudence dans le contexte de contrôle plus étroit consécutif à la crise moderniste. Dès 1901, Loisy s'était montré sceptique sur le réalisme de ces tentatives de réforme : "Connaissez-vous, écrit-il à Mgr Mignot, les réformes opérées par Mgr Le Camus dans le programme d'études de son séminaire ? Je trouve qu'il procède un peu hardiment. Le succès l'absoudra s'il réussit. Souhaitons lui le succès" 1595 . Ce qu'il entrevoyait, c'est que les prêtres ainsi formés, ne manqueraient pas de poser des problèmes à l'Église. Revenant sur la question en 1902, il écrit : "Un homme grave et expérimenté me demandait dernièrement si l'évêque de La Rochelle savait bien où allait sa réforme des études cléricales. Je n'ai pas voulu répondre, mais je me rassure en pensant que la réforme n'est peut-être pas si considérable dans la réalité qu'elle le paraît dans le programme. Il est peut-être inutile de se demander maintenant si elle n'aura pas des résultats que son auteur n'a pas prévus" 1596 .

D'une certaine façon, les trois affaires qui ébranlent dans les années 1910 le grand séminaire d'Albi, illustrent, chacune à sa manière, les difficultés annoncées par l'abbé Loisy.

Notes
1585.

Lettre du 21 juillet 1901, ADA, 1D 5 02.

1586.

Supérieur des Lazaristes.

1587.

Lettre du 28 juillet 1901, BN, Naf 16645, f° 144-145.

1588.

Lettre au Ministre de l'Instruction publique, 24 septembre 1902, ADA, 1 D 5 11-02.

1589.

ASS, fonds Vigouroux.

1590.

Abbé Birot, Notes et mémoires, cité in Combès, p. 192.

1591.

Etait encore en usage à ce moment celui dit de La théologie de Clermont.

1592.

Lettre de Mgr Latty à MM .les directeurs de son grand séminaire, Paris, Poussièlgue, 1902, p. 16.

1593.

Lettre à Mgr Lacroix, 28 juillet 1902, f° 4-7.

1594.

Chanoine Combès, Op. cit., p. 195.

1595.

Lettre de Loisy, 1er novembre 1901 et Mémoires, II, p. 100.

1596.

Lettre de Loisy, 11 mai 1902.