En 1904, le P. de Pascal assigne à l'apologétique le programme suivant :
‘L'apologétique, embrasse nécessairement trois grandes divisions. Après avoir parlé de la religion, elle établit la possibilité de la révélation, et traite les questions du surnaturel, du miracle, de la prophétie. Elle étudie ensuite les rapports de la raison avec la révélation, et, concluant que la raison est insuffisante, elle explique dans quel sens la révélation est nécessaire. Puis elle passe aux preuves de l'existence de la révélation. C'est ici que prend place la grave question des motifs de crédibilité, si débattue de nos jours, et sur laquelle le concile du Vatican a jeté une vive lumière en montrant que l'Église est en elle-même et par elle-même le plus grand motif de crédibilité de sa divinité et par conséquent de la divinité de la religion dont elle est l'expression authentique 1769 . ’C'était le programme classique de l'apologétique née au XVIIe siècle d'un effort commun des catholiques et des protestants contre les déistes à qui il fallait démontrer que la révélation surnaturelle venait compléter la religion naturelle. Tous les manuels De vera religione construits sur ce modèle supposent établis par la philosophie scolastique la valeur de la connaissance, l'existence d'un Dieu personnel et créateur, l'immortalité de l'âme et ils s'attachent à justifier la foi chrétienne par l'exposé de la crédibilité rationnelle du christianisme. On part pour cela du principe que tout homme doit pratiquer une religion, c'est-à-dire rendre à Dieu le culte qui lui est dû. On démontre ensuite la nécessité et la possibilité d'une révélation ainsi que l'existence de critères qui permettent de la discerner (miracles et prophéties). On montre enfin sa réalisation en Jésus-Christ. Cette structure élaborée pour faire face au déisme est devenue au XIXe siècle un absolu intemporel détaché de ses origines contingentes, un moule canonique dans lequel on a coulé les discussions avec l'idéalisme allemand, l'histoire des religions, le protestantisme libéral etc.
Henri Bouillard a montré que le caractère principal de cette apologétique a été "sa prétention d'établir le fait de la révélation divine sans envisager le sens de son contenu" 1770 , car elle considérait la révélation comme un corps de vérités surnaturelles et donc comme un fait qui ne peut être prouvé que par des arguments externes. D'où l'importance accordée aux miracles par l'abbé Bergier 1771 et à l'autorité religieuse par Lamennais. C'est contre cette apologétique marqué par la séparation du fait et du sens et par un rationalisme excessif que réagit d'abord l'abbé Mignot.
‘L'apologie de Bossuet et de ses contemporains, celle qui a été la notre jusqu'à présent, était un système de présentation de la vérité religieuse dont il ne fallait pas s'écarter. […] C'était un cadre savamment construit dans lequel devait s'adapter la vérité. Les moyens de démonstration étaient aussi vénérables que la vérité elle-même ; les preuves faisaient partie du dogme ! […] (Richard Simon voulait) exposer les faits tels qu'ils sont, envisagés à la lumière de l'histoire et non les expliquer à la lumière d'une théorie subséquente […] (alors que Bossuet) s'appuie sur cette théorie a priori que le dogme n'ayant subi aucun changement a dû être connu aussi explicitement à l'origine que de notre temps, que les Pères n'ont pu parler autrement que nous puisqu'ils étaient orthodoxes […] Ce sont là des raisons d'enfants. […] L'apologie du christianisme doit être reprise sur des bases plus larges 1772 .’C'est que dans un monde marqué par les progrès de la science et le développement des techniques, l'idée de Dieu disparaît de la vie quotidienne. Ce n'est plus le déisme qu'il faut affronter, mais l'athéisme, ou tout au moins l'agnosticisme. Dès lors que la croyance en Dieu n'est plus communément admise, l'apologétique ne peut plus s'appuyer sur l'évidence des preuves métaphysiques. Elle doit montrer qu'au cœur de la vie profane l'homme fait l'expérience du mystère de la réalité et que la notion de Dieu désigne justement ce mystère :
La lutte est plus âpre aujourd'hui. Il ne s'agit plus seulement, comme au XVIe siècle, de décider si la Bible est l'unique dépôt de la révélation […], la question est autrement angoissante : il s'agit de savoir s'il y a eu une révélation, si la morale a sa base en Dieu, et même s'il y a un Dieu. Ce qui ajoute à la gravité de cet état d'âme, c'est qu'il tend à se généraliser. […] Aujourd'hui, cette mentalité nous enveloppe et nous pénètre comme une atmosphère empoisonnée ; elle se retrouve partout : dans la littérature en général, dans le roman naturaliste, dans le théâtre, dans le haut enseignement de la philosophie, de l'histoire, de l'archéologie, de l'ethnologie, de la morale, dans la séparation de l'Église et de l'État telle qu'aucun peuple n'en a jamais connu de pareille 1773 .
G. de Pascal, "Les études ecclésiastiques", RCF, 1er janvier 1904, p. 238.
H. Bouillard, "De l'apologétique à la théologie fondamentale", Les Quatre Fleuves, I, (1973) pp. 53-70.
Sur l'influence de l'abbé Bergier (1718-1790) dans l'apologétique du XIXe siècle, voir Fr. Laplanche, La Bible en France, pp. 94-99.
Notes sur le Richard Simon de M. Margival, 1900, ADA, 1 D 5 11-01.
Mandement de carême 1908, "Les bases de la morale", Semaine religieuse, 29 février 1908, pp. 115-116.