La nécessité de renouveler la présentation du christianisme ne s'impose pas seulement par la pression extérieure et par le fait que, comme l'écrit l'abbé Bricout, les "femmes elles-mêmes éprouvent quelque difficulté à croire tout ce que nous leur enseignons" 1794 . Elle est en quelque sorte inhérente à sa vie et à son développement. La révélation, en effet, se manifeste à l'humanité sous tant d'aspects différents "qu'il ne faut pas s'étonner si chaque génération l'envisage sous une forme nouvelle". De plus, "comme la révélation seule est l'œuvre de Dieu, que l'apologie est l'œuvre exclusive des hommes, il n'est pas surprenant que nulle apologie n'échappe aux erreurs de son siècle et qu'il faille remettre au creuset de la critique certaines interprétations mêlées d'erreurs humaines" 1795 .
‘Nous ne sommes pas plus intelligents que nos pères, nous le sommes autrement. Chaque siècle a une mentalité spéciale qui le caractérise et qui dépend de mille causes difficiles à analyser ; certaines raisons qui paraissent décisives, que tout le monde admet sans hésitation, n'ont plus d'influence sur les esprits même les plus ouverts, à d'autres époques, dans d'autres conditions intellectuelles. Pour être compris il faut parler un langage adapté aux besoins de son temps ; et il faut que chaque découverte complète ou modifie les connaissances antérieures et ouvre à l'esprit des horizons nouveaux 1796 .’La difficulté est double. Elle provient d'abord de ce que pour l'homme moderne il n'y a plus de vérité objective certaine, mais "une vérité évolutive qui se transforme en proportion et dans la mesure de l'intelligence". D'où la difficulté de faire comprendre ce que l'Église entend par dogme immuable qui semble contradictoire avec la nécessité de répondre aux besoins différents de chaque siècle. A cela s'ajoute le fait que l'homme moderne tend à se dégager des formes extérieures, à rompre avec un passé même respectable, à vouloir se diriger seul, "guidé par la loi intérieure, en opposition avec la masse des hommes qui acceptent des autres une pensée toute faite et cherchent la règle en dehors d'eux dans ce qu'on appelle l'hétéronomie". C'est ainsi que de plus en plus "l'autonomie devient la règle des esprits : elle est au fond de la pensée, de la morale, des sciences physiques, de l'histoire. Partout la raison humaine trouve sa place et se fait son chemin" 1797 .
‘Au lieu de s'effrayer outre mesure des exigences de l'esprit scientifique, des préoccupations religieuses de la pensée contemporaine, il faut plutôt s'en réjouir. N'est-ce pas un siècle théologique qui s'annonce ? Il vient comme les autres, comme le IVe , comme le XIIIe, comme le XVIIe, à la suite de grands bouleversements politiques, économiques et sociaux, de grandes acquisitions scientifiques, qui ont modifié l'assiette de la vie humaine et, par le fait même, de la pensée. Les grands problèmes de demain seront encore des problèmes religieux. Et c'est non pas notre effroi, mais notre espérance, qu'il en soit ainsi 1798 .’Enfin, cette nouvelle apologétique est exigée par la nécessité de renouveler les formes de l'apostolat :
‘Certes, il est plus agréable de ne rien tenter, de se tenir dans un charmant farniente intellectuel et pratique sous prétexte de ne rien innover. Il faut cependant se rendre à l'évidence, constater que l'on vient de moins en moins à nous, que le détachement se fait partout, lent continu, progressif. Nous nous illusionnons beaucoup j'en ai peur, sur l'efficacité de nos missions, la prospérité de nos œuvres, le résultat du dévouement de nos religieux et religieuses dans le domaine de l'enseignement ou de la charité : je crains qu'il n'y ait beaucoup de mirage dans ces affirmations répétées par tous les journaux catholiques. En fait le peuple s'éloigne de nous. Pourquoi des hauteurs d'une sécurité oisive jeter la pierre à ceux qui demandent s'il n'y a pas quelque chose à faire dans l'ordre scientifique, historique, social religieux ? Pourquoi blâmer des prêtres qui sous la surveillance de leurs évêques se réunissent de loin en loin pour conférer sur les meilleurs moyens de remédier au mal ? […] Tout le monde sent le besoin de se grouper, de s'éclairer, de se fortifier mutuellement. Alors que tout marche, le clergé doit-il rester stationnaire ? Pour atteindre une génération qui croit à peine il faut aller à elle et renouveler dans une certaine mesure les formes de l'apostolat 1799 . ’Abbé Bricout, "La crise de la foi", RCF, 15 mars 1901, p. 145.
Préface à la Polyglotte, 1899, p. VIII.
Une hypothèse : le développement de la doctrine chrétienne, 1903, f° 7, ADA, 1 D 5 11-02.
Mandement de carême 1901, Sur l'Église, pp. 4, 7 ,21.
Oraison funèbre de Mgr Le Camus, 15 Novembre 1906, in L'Église et la critique, p. 280.
Une hypothèse : le développement de la doctrine chrétienne, 1903, f° 42-43, ADA, 1 D 5 11-02.