Troisième Chapitre :
La Révélation et la critique.

Quand Mgr Mignot déclare au P. Hyacinthe : "A vous parler sincèrement, si je n'étais pas catholique, j'irais échouer dans le rationalisme ou l'agnosticisme" 2038 , il rejoint, sans le savoir puisqu'il ne la connaît pas 2039 , une problématique voisine de celle de E. Troeltsch pour qui la question centrale est celle du relativisme historique dans son rapport à l'absolu de la foi chrétienne. En posant qu'il n'existe que deux attitudes rationnellement possibles, Troeltsch exprime le dilemme de ceux qui n'ont, pour échapper au relativisme qu'a engendré en eux le fait d'avoir "goûté au fruit de l'arbre de la connaissance historique […] que deux moyens de salut : revenir soit à une foi en la Révélation et en l'autorité de l'Église, soit à un rationalisme qui fonde des vérités et des valeurs intemporelles, soustraites à l'histoire" 2040 . Si E. Troeltsch résout l'alternative en faisant du christianisme une pure intériorité individuelle et de la foi un a priori religieux indépendant du devenir historique et donc inaccessible au relativisme, Mgr Mignot tente pour sa part d'établir un rapport nouveau entre la révélation et l'autorité de l'Église qui inclut le relativisme et le devenir historique et sauvegarde ainsi la part de l'homme. Il est en effet intimement persuadé que, si "la vérité totale n'est pas avec les rationalistes, elle n'est pas non plus avec les soi-disant intégristes. Aux premiers manquent le sens de l'action surnaturelle de Dieu ; aux ultra-conservateurs le sens de l'action de l'homme. Ce sont des hommes de l'absolu, tout d'une pièce ! Mentalité commode, car elle laisse l'esprit dans une parfaite quiétude !" 2041 Or de quiétude, il n'est plus possible d'en avoir quand la lecture de la Bible devient problématique.

Ce n'est pas un hasard si, au cours de l'évolution intellectuelle que nous avons retracée, la réflexion de Mgr Mignot se fixe d'abord, dans les années 1880, sur la question de l'inspiration, c'est-à-dire sur la valeur de vérité de la Bible, instrument de la révélation et qu'il ait pris à partie dans son premier article, en 1897, la conception que le protestantisme libéral se faisait de la révélation. Tout en concédant que l'analyse faite par Sabatier du concept de religion était "fine et pénétrante", l'évêque de Fréjus avait nettement récusé la possibilité d'admettre que la révélation n'est que "l'épuration progressive de la conscience de Dieu dans l'homme" et "le christianisme une évolution heureuse, providentielle du sentiment religieux qui existe en nous à l'état naturel" 2042 . Mgr Mignot estime que, confondant révélation et connaissance rationnelle de Dieu, Sabatier se heurte à une double difficulté : celle des critères qui vont pouvoir guider les hommes vers la vraie religion puisque si la religion est ce qu'en dit le théologien protestant, "toutes les religions sont sur le même pied" et surtout celle de la place de la Bible qui a toujours été considérée jusqu'alors comme la seule révélation de Dieu.

Notes
2038.

Lettre du 1er avril 1904 in Houtin, Le P. Hyacinthe, t. 3, p. 286.

2039.

Il écrit en effet au baron von Hügel le 23 avril 1914 : "J'ai été très heureux de recevoir votre savante étude sur le professeur Ernst Troeltsch que sans vous - je le dis à ma honte - je n'aurais pas connu".

2040.

E. Troeltsch, "De la contingence historique", Religion et histoire, p. 244.

2041.

5 e Reg., Varia, 17 février 1917, ADA, 1 D 5 21.

2042.

"L'évolutionnisme religieux", 1897, in L'Église et la critique, p. 12.