1.1.2 Mgr Mignot et le P. Tyrrell

Ce n'est pas la première fois que nous voyons Mgr Mignot s'inspirer de la réflexion du P. Tyrrell. Dans son discours sur la théologie l'archevêque d'Albi s'était appuyé sur un article du P. Tyrrell pour redéfinir les rapports entre l'Ecclesia docens et l'Ecclesia discens. Le premier livre du P. Tyrrell qu'a lu Mgr Mignot est vraisemblablement Hard Sayings dès sa parution en 1898. Le fait que les citations explicites qu'il en fait ne sont pas extraites de l'édition française parue en 1907, mais sont des traductions personnelles plaident en effet en faveur d'une lecture du texte anglais. Le baron lui fait parvenir régulièrement des tirés à part des principaux articles du jésuite. On en a la preuve pour "Docens discendo". Dans une lettre à l'abbé Birot, l'archevêque lui conseille de se faire traduire un article du "Weekly Register du 19 juillet, p. 68" 2174 . Il ne précise pas à son vicaire général qu'il s'agit du P. Tyrrell, mais, contrairement à ce qu'affirme l'abbé Rivière 2175 , il le sait pertinemment puisque le baron von Hügel le remerciant pour sa lettre sur l'Apologétique et la Critique biblique lui apprend que le P. Tyrrell y faisait allusion "dans un article remarquable que je me promets d'envoyer : Docens discendo" 2176 .

Enfin, l'œuvre du P. Tyrrell a été assez rapidement traduite, qu'il s'agisse de ses articles les plus retentissants ou de ses livres, en sorte que, si l'on ne peut rien dire de leurs relations à partir des lettres du P. Tyrrell conservées à Albi, on peut être certain que l'œuvre du jésuite a accompagné l'archevêque toute sa vie. En témoignent les allusions fréquentes au P. Tyrrell dans la correspondance avec Loisy et avec le baron von Hügel qui montrent toute l'affection et surtout toute l'estime dans laquelle Mgr Mignot tenait le religieux anglais. En 1903 : "Il m'a été bien agréable d'apprendre que notre digne P. Tyrrell cessait d'être un suspect. Quelle belle intelligence et quelle belle âme ! Ayez la bonté de me rappeler à son souvenir" 2177 . Et en 1908 : "Quelle satisfaction ce serait si vous pouviez y venir (à Laon) avec notre toujours cher M. Tyrrell. […] Dites au Dr Tyrrell que nous l'aimons toujours bien, que nous souffrons et prions avec lui... Le soleil reviendra plus doux" 2178 . En septembre, alors qu'il vient de lire Mediaevalism 2179 , il note dans son Journal : "Lire la conclusion dans le texte. Elle est fort belle et fort touchante". Et c'est avec une réelle et profonde tristesse qu'il apprend la mort du P. Tyrrell :

‘Nous n'avons pas à juger ce qui a pu être défectueux chez lui, ni à rappeler de douloureuses circonstances... Ce qui est indéniable c'est sa droiture, son amour de ce qu'il a cru être la vérité. Dieu "qui sonde les reins et les cœurs" l'a certainement jugé avec plus de paternité que les hommes. On a été injuste à son égard et pourtant on a justement condamné ses erreurs... Sunt lacrymae rerum !! Je m'unis très affectueusement à vos regrets et à vos prières 2180 .’

En 1911, pour rédiger son mandement de carême Dieu unique but de la vie, il relit plusieurs textes de Tyrrell. "C'était vraiment un esprit des plus remarquables" 2181 , écrit-il à Mgr Lacroix. En mars 1916, c'est au baron von Hügel qu'il dit relire "quelques livres de Tyrrell... C'était une bien belle intelligence !" 2182 .

Dès Hard Sayings, Mgr Mignot a trouvé dans la pensée du P. Tyrrell un écho réel à sa propre manière d'envisager les choses. Que "notre esprit ne comprenne pleinement que ses propres créations", qu'il ne puisse saisir qu'un aspect de la réalité "sans jamais rien pénétrer à fond", que la plupart des vérités qui ont trait au rapport entre Dieu et l'âme "demeurent pour nous obscures et voilées […] incapables que nous sommes de les exprimer convenablement […] dans les termes du seul langage qui nous soit familier", mais que ces problèmes sont ceux pour lesquels l'homme manifeste "une curiosité intellectuelle absolument insatiable", que le travail de la raison développe dans l'intelligence de l'homme la compréhension qu'il a de la vérité divine en ce sens qu'elle permet une "adaptation des principes immuables aux circonstances toujours changeantes de la vie humaine" sont autant d'idées que l'on retrouve exprimées par Mgr Mignot.

Notes
2174.

Lettre du 20 août 1901, ADA, fonds Birot, 4 Z 4-05.

2175.

J. Rivière, Histoire du modernisme, Op. cit., p. 199, n. 1.

2176.

Baron von Hügel à Mgr Mignot, 12 Août 1901.

2177.

Mgr Mignot au baron von Hügel, 30 octobre 1903, ms 2799.

2178.

Mgr Mignot au baron von Hügel, 10 janvier 1908, ms 2816.

2179.

Mediaevalism. A reply to Cardinal Mercier, Londres, Longmans, 1908, 210 p. Édition française sous le tire Suis-je catholique ? Examen de conscience d'un moderniste, Paris, Nourry, 1909. Au baron : "l'intéressante réponse du Dr Tyrrell à l'archevêque de Malines", lettre du 4 décembre 1908 ; à Mgr Lacroix : "On n'avait signalé une réponse de Tyrrell au C. Mercier : je viens de lire le livre avec grand intérêt. Il y a bien des affirmations excessives, inexactes et mêmes fausses mais l'ensemble produit une forte impression. Je pense que le C. Mercier ne serait pas flatté que ce livre fût traduit en français", lettre du 7 octobre 1908, f° 92.

2180.

Mgr Mignot au baron von Hügel 18 juillet 1909, ms 2820.

2181.

Mgr Mignot à Mgr Lacroix, février 1911, f° 163-164.

2182.

Mgr Mignot au baron von Hügel 31 mars 1916, ms 2724.