APPLICATION D'UNE MÉTHODOLOGIE

S'appuyer sur une méthodologie établie et rigoureuse demeure le fondement de toute recherche scientifique. Par son intermédiaire se déterminent, notamment, le rythme et la qualité de la démonstration. Son établissement comme sa détermination sont le produit d'influences, de rencontres, d'un parcours individuel et d'un cheminement intérieur. Foncièrement, elle est, en outre, le résultat d'un cursus de formation qui, lorsqu'il est suivi à l'Université, éveille une approche méthodologique individuelle.

Dans le cadre d'un cursus universitaire classique, l'étudiant se forme donc à la réception et à l'assimilation de connaissances tout en y développant ses capacités de synthèse, en y aiguisant son sens critique. Quant à la transmission d'un savoir-faire de la recherche, elle est moins catégorique dans un cadre pédagogique. Seulement, elle est tout aussi symbolique, notamment dans la participation à des séminaires. Plus généralement, ce sont des lectures et un exercice personnel qui vont façonner l'esprit, fixer l'empreinte des bases de travail et de la méthode utilisée.

S'il est nécessaire de savoir apprécier et juger, de savoir critiquer, remettre en question, il est capital d'articuler son travail autour d'une problématique fondée et d'une méthode éprouvée. Ce n'est qu'à la réunion de ces conditions, impératives, que peuvent être validées les valeurs d'authenticité et de légitimité de l'analyse. L'inscription dans une démarche personnelle, scientifique, de même que la problématique sont aussi des notions fondamentales ; à juste titre, d'ailleurs, car elles sont le lien, le fil d'Ariane de la démonstration. Le tout donne une suite logique correspondant à une exigence : produire un travail intellectuel et scientifique de qualité.

C'est, en fait, dans la phase de construction et le soin apporté au plan de rédaction que se lit la "maturation" du chercheur. Le plan doit être celui à travers lequel l'idée directrice, qui répond à la question principale, transpire. Il doit être celui par lequel va cheminer et s'étayer la démonstration de façon à parvenir à une ou des conclusions. Bien édifier son plan implique des arbitrages comme des conflits, le souci d'une dialectique, des remises en question comme un sens aigu de la critique. Il demeure pourtant une phase de plaisir puisqu'il est l'acte de naissance, le permis de construire l'ouvrage.

L'évocation, succincte, de l'aspect méthodologique ne revêt pas le simple caractère d'une trame d'organisation du travail. Il est aussi fortement question de discipline : dans la collecte de l'information et jusque dans la vie personnelle du chercheur. Il ne s'agit pas, strictement, de se contenter d'amasser des connaissances, encore faut-il le faire de façon convenable et exploitable. Savoir repérer l'information, la relever et la traiter requiert de l'ordre et de la rigueur.

C'est un apprentissage que de rédiger une thèse.

"Au service du diable" : sous l'aspect méthodologique, la problématique, sésame du travail de recherche, s'étaye tout en méritant un approfondissement.

Il n'est pas rare, de nos jours, d'assister à un départ de feu. Au titre de la menace, l'incendie est un risque couvert par un service de sécurité, le plus souvent public de même que par des obligations communales et sécuritaires. Seulement, les conséquences sont
actuellement, et généralement, sans aucune commune mesure avec celles qui en auraient découlé, ne serait-ce qu'au siècle précédent ; tout ceci, hors cadre particulier, et bien qu'il arrive encore parfois qu'un brasier moderne ait des conséquences économiques et humaines tragiques. La question persiste, fondamentale, de la maîtrise de ce risque et interpelle sur son origine : ancienne ou moderne, partielle ou intégrale ? Par certains aspects, elle peut apparaître comme ancestrale, et par d'autres, comme actuelle. Pourtant, au regard des faits, elle ne peut être légitimement qualifiée de séculaire, bien au contraire. Elle est contemporaine comme l'est la constitution des corps de sapeurs-pompiers, gage de la préservation des biens et des personnes. Chacune est en fait, sous certaines nuances, la descendante de l'évolution civilisatrice, celle de nos sociétés, et, pour partie, de la révolution industrielle.

Le feu s'est donc maintenu comme habile à bouleverser le cadre urbain en ravageant les constructions, en stoppant l'activité économique. Dans cette dernière perspective, le rapport se fait, plus significativement, à l'industrie et au secteur d'activité. Il se fait à un modèle d'édifice qui se répandra de plus en plus sur le XIXème siècle, la manufacture -l'usine-, et pour lequel la destruction n'allait pas sans de lourdes conséquences. L'incendie n'avait, surtout, pas un unique attribut matériel. Il était d'une répercussion humaine lorsqu'il livrait à la peine, et sans distinctions, familles d'ouvriers, notables et bourgeois.

Si l'échelle évoquée précise le XIXème siècle, force est de constater que les données se sont modifiées à l'aube du XXème siècle. A l'avènement des années 1900, en dehors de certaines circonstances, le risque et l'incendie ont manifestement évolué. Si de grosses catastrophes perdurent, la société paraît capable, en règle générale, si ce n'est encore d'atténuer la fréquence et le nombre des départs de feu, d'en amoindrir au moins les maux10.

La menace persiste. Des tragédies, comme l'incendie du Bazar de la Charité, en 1897, ou des destructions massives, comme à Chicago, en 1871, en portent le témoignage. Cependant, peuvent-elles, à elles seules, soutenir la persistance de l'idée de l'incendie vu comme un fléau, rien n'est moins sûr. Dans tous les cas, voilà l'une des réponses à chercher et à laquelle une étude locale participe ; et si le péril s'est maintenu, une autre interrogation se définit sur les moyens qui ont permis d'en limiter les effets. Ceci sous-entendrait qu'en un laps de temps relativement restreint, la société est parvenue à maîtriser la menace avec des moyens et des progrès qui ont été essentiels ; un cadre au sein duquel les corps de sapeurs-pompiers seront d'une utilité capitale. Il s'agit surtout d'un cadre sur lequel se fondent tout un questionnement et toute une problématique qui s'inscrivent autant dans le rôle joué par les détenteurs du pouvoir dans la création de ce service public que par les hommes qui ont servi cette formation et par l'orientation qui aura été donnée à l'institution.

Si les brasiers se font, à présent, de moins en moins déprédateurs, la personne humaine le doit donc à de nombreux perfectionnements et bouleversements. D'abord, par la continuité dans l'application de simples mesures héritées de son histoire et auxquelles la négligence et les imprudences se rappelleront cruellement ; mais, avant tout, par des décisions, des progrès techniques et l'institutionnalisation des soldats du feu qui se révéleront, par l'association commune de ces éléments, seuls capables, pour un temps, de réduire la menace. L'imbrication est d'ailleurs tellement importante pour les corps de sapeurs-pompiers que leur seul examen pourrait livrer bien des réponses et des interprétations dans le processus d'évolution du risque.

Répondre à de telles questions, prises parmi toutes celles qui dirigent le raisonnement de cette étude, demandait une évaluation du risque à l'échelle géographique d'une agglomération qui, seule, pouvait donner une dimension compréhensible et assimilable au phénomène et à son évolution. Cette proportion se posait, en outre, comme seule capable de garantir l'observation des mesures éventuellement prises tout en permettant de livrer, concrètement, à l'analyse les structures développées pour répondre à l'urgence, d'en étudier la forme, leur composition, le fonctionnement ou leurs modes opératoires. S'il s'agit d'une lecture sur un fondement local, une inscription nationale et dans les représentations de l'esprit sur plusieurs des paramètres précédemment soulevés était cependant nécessaire ; ce qui explique l'orientation ou le choix de certaines parties contenues dans les tomes qui établissent ce travail.

Le voile se lève lentement sur la problématique et le fil conducteur de la recherche jusqu'à ce que l'annonce du plan en révèle toute la dimension.

Cette présentation méthodologique ne saurait s'achever sans faire référence à la constitution d'une "Bible d'informations", elle-même issue d'un travail de collecte.
Cette bible, qui constitue le tome V, livre une information au demeurant substantielle, un renseignement engageant pour la personne qui, dans un premier temps, se refuserait à entrer dans l'analyse de détail que forme une thèse. C'est, plus singulièrement, un instrument indispensable d'autant plus que les références s'y feront nombreuses.
Sa charpente doit tout à une rigueur de traitement et de recherche parmi les sources et les fonds disponibles.

Ce tome trouve, en fait, sa légitimité dans la situation et l'évaluation du risque.
Il permet de donner un renseignement fiable issu de recoupements sur l'état de la menace. Ainsi, par son intermédiaire, a été reconstituée, année après année, sur la période 1852-1913 et pour l'agglomération lyonnaise, une importante base de données, non seulement en ce qui concerne le chiffre des incendies, leurs natures, leurs origines et plusieurs autres éléments, mais aussi une information solide sur le corps de sapeurs-pompiers ou la ville. Sans la production de cette bible, aucune interprétation fondée, historique, rigoureuse, vérifiable et scientifique n'aurait été possible.

Notes
10.

A elle seule, cette dernière évocation contient plusieurs des notions qui vont guider ce travail de recherche.