I. SOUS LES FEUX DE LA RAMPE

A. DÉFINIR ET COMPRENDRE LE PHÉNOMÈNE INCENDIE
1. DÉFINITION DE LA COMBUSTION

Sous la définition, au sens strict, du terme et à la lueur des connaissances modernes issues des sciences, le feu se détermine comme un dégagement simultané de chaleur, de lumière et de flammes que produit la combustion de certains corps. Parallèlement, il désigne surtout l'embrasement, qui, sous une forme caractéristique, peut conduire à un phénomène beaucoup plus sérieux que la simple ignition : l'incendie. Sans l'émergence puis l'intérêt de la chimie et de la physique modernes pour le feu, la compréhension des propriétés de cet élément serait encore demeurée un temps obscure. Elle aurait, par-dessus tout, repoussé les possibilités de parvenir à maîtriser, voire éradiquer, le feu, sous ses traits de fléau, de malheur urbain et dévastateur, ou de risque ; ceci, malgré les connaissances, superficielles, apparemment acquises par les sociétés anciennes.

Au travers de ces sciences et des études menées, la manifestation ou la déclaration d'incendie deviennent évidentes. Elles y prennent toute leur dimension, particulièrement au regard du monde urbain et des risques qui s'y sont rassemblés et s'y concentrent encore. Surtout, les terribles conséquences d'un départ de feu, l'étendue et la gravité des déprédations, au Moyen Age, et sous certaines formes, au XIXème siècle, y trouvent une explication que la présentation et l'analyse des propriétés physiques et mécaniques de la flamme ne vont faire qu'attester.

La combustion naît en fait d'une réaction chimique, plus précisément d'un phénomène d'oxydation ; c'est-à-dire de la combinaison d'un corps avec l'oxygène. Selon les sciences et la culture, c'est à Antoine Laurent De LAVOISIER79 que la reconnaissance de cette réaction chimique se doit. C'est encore au même auteur que se reconnaît l'explication du déroulement de la combustion. Cette oxydation n'est pas une disparition de la matière mais une transformation. Dans son traité de chimie élémentaire, publié en 1789, LAVOISIER étayait sa démonstration aux dépens de théories séculaires comme celle du phlogistique, celle de ce fluide qui avait été imaginé par les anciens chimistes pour expliquer la combustion80 ; un traité de chimie savante sur lequel se sont d'ailleurs fondés d'autres scientifiques pour bâtir leurs analyses et livrer de nouvelles précisions sur le phénomène et plusieurs de ses attributs. Ainsi est due à Louis Joseph GAY-LUSSAC81 la loi de dilatation des gaz, énoncée en 1804.

L'incendie, cette manifestation dévastatrice qui se développe sans contrôle dans le temps et dans l'espace, est donc le produit, à l'origine, d'une réaction chimique. Si l'on excepte le cas des combustions spontanées, et sous la pensée de LAVOISIER, celle-ci se produit donc par association de deux corps. L'un est appelé comburant, l'oxygène de l'air, et l'autre combustible, le bois par exemple, auxquels l'apport extérieur d'une source d'énergie fournit, en général, l'amorce. Il est en effet nécessaire d'atteindre un degré de température, appelé communément point d'inflammation, propre à chaque matière, pour que cette dernière s'enflamme ; au moins, dans l'expérience méthodique. En conséquence, la réunion de ces trois éléments fonde l'origine d'un départ de feu. Le danger provient, de plus, du fait que ces éléments peuvent se trouver très facilement associés, parfois même de façon naturelle, souvent de manière accidentelle ; ce qui donne un commencement d'explication à l'importance du phénomène et au risque incendie, et ce, jusqu'à une période récente de notre histoire ; ceci, d'ailleurs, d'autant plus fortement que plusieurs corps possèdent un point d'inflammation relativement bas et que les propriétés de ces corps, sous le dit paramètre, ne sont, pour plusieurs, connues, parfois, que depuis très peu de temps.

Aujourd'hui, la théorie énoncée par les pères de la physique et de la chimie modernes forme, dans le jargon professionnel de la lutte contre l'incendie, ce qui est nommé le triangle du feu82. Sa connaissance est essentielle. Elle détermine directement la manière d'agir pour parvenir à l'extinction d'un foyer. Seulement, les hommes qui formèrent les rangs des soldats du feu du siècle passé, comme les individus qui travaillèrent à l'expérimentation des principes de défense, n'ont pas attendu cette représentation contemporaine issue du modèle scientifique pour y appliquer de simples observations. Tel a été, à l'origine, le constat né de l'observation marquant le rôle de l'eau, de cet élément qui, soit en isolant la matière combustible de l'oxygène, soit en réduisant la température, procède du meilleur agent extincteur universellement connu et reconnu.

Il existe différents types de combustions. Sans trop approfondir, la différenciation se fait principalement entre les conflagrations vives ou lentes, les oxydations complètes ou incomplètes. Dans le cas d'une combustion incomplète, se produit régulièrement une conséquence néfaste à la préservation de la vie humaine, notamment sous l'effet d'un dégagement gazeux, nommé oxyde de carbone, inodore. Ce gaz, en proportion supérieure à 2% dans un environnement, cause une asphyxie rapide83. Si la production de cette émanation fut révélée simultanément à l'accession au savoir de la combustion classique, le soupçon de sa présence demeurait difficilement prévisible ; et ce, bien que l'individu en ait noté les conditions éventuelles déterminantes à sa génération. Ainsi, la mise en corrélation fut rapidement faite avec les temps froids, les très basses températures et la demande élevée de chaleur, la plupart du temps dans des espaces confinés84. Au même titre se confondaient la surchauffe des poêles en fonte et le danger des procédés de noircissement des vieux fourneaux85. Il s'agissait d'une menace concrète contre laquelle des ordonnances furent édictées, notamment dans le but de préconiser la mise en communication des modes de chauffage avec l'air extérieur et d'éviter le confinement, facteur aggravant, qui favorisait l'accumulation d'émanations nocives. Il n'en est pas moins demeuré que l'oxyde de carbone fut la cause de nombreux décès86 et à l'origine d'un nouveau mode de suicide : celui par asphyxie87. Le milieu médical s'est très tôt posé la question du retour à la vie des personnes victimes de ce type d'accident, volontairement ou involontairement. Sous ce point de vue, il est intéressant de noter la parution dans un quotidien lyonnais, en 1855, des éventuels premiers soins à donner dans une telle situation88. Si quelques mesures prêtent à l'interrogation, d'autres suscitent l'intérêt, principalement celles qui recommandaient d'imprimer, à la poitrine de l'accidenté, de douces pressions, à hauteur de 15 à 20 par minute, de manière à recréer les mouvements respiratoires : une technique à l'avant-garde de ce qui allait devenir le secourisme.

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Graphique n° 1 : Evolution du pourcentage des cas de suicides par oxyde de carbone sur la période 1883-1911 dans l'agglomération lyonnaise

L'exemple du XIXème siècle, dans les conséquences d'une déclaration de feu non maîtrisée, fait figure de référence. En conséquence, dans une période où la production technique conditionnait le développement économique d'une ville, d'une région, sous l'influence de facteurs issus de la révolution industrielle, il était primordial que l'outil soit protégé. Pour une industrie en pleine évolution, voir son activité réduite en cendres était terrible dans ses effets, en plus d'une population ouvrière conséquemment livrée au chômage. A ce sujet, la ville de Lyon regorge d'exemples. Celui de l'incendie des chantiers de la Buire, en 1882, est significatif89. Le chiffre des dégâts fut estimé en millions de francs. Plus cruellement, ce brasier privait des centaines d'ouvriers de leurs ressources.

La seule compréhension du feu comme réaction chimique n'explique pas tout. C'est en approfondissant l'analyse et l'étude du phénomène, notamment dans ses causes, ses origines et ses modes de propagation, que l'ampleur s'en mesure. Ce sont d'ailleurs ces discernements qui ont permis d'édifier les souches de la prévention. Cette dernière, associée à l'optimisation d'un service de secours, admettra, pour partie, le concours à la sécurité des biens et des personnes, vis-à-vis de la conflagration ou des risques existants.

Notes
79.

POIRIER J.P. - Lavoisier, Paris, Pygmalion, 1993, 551 p. LAVOISIER Antoine Laurent De (1743-1794) ; chimiste français qualifié comme l'un des créateurs de la chimie moderne. L'ouvrage de J.P. POIRIER est d'une excellente qualité pour apprécier le personnage, sa vie et son oeuvre.

80.

Phlogistique : fluide supposé inhérent à tout corps et qui était, en fait, censé produire la combustion du dit corps lorsqu'il abandonnait ce dernier.

81.

GAY-LUSSAC Louis Joseph (1778-1850) ; physicien et chimiste français.

82.

VIGER R. - Trente conseils face au feu, Paris, Hatier, 1977, 95 p. ; p. 21.

83.

BLANDIN A. - Les éléments des risques d'incendie et d'explosion et de leur prévention, Givors, Martel, 1952, 368 p. ; p. 291. Il n'est pas toujours besoin que le seuil de 2% soit atteint pour causer un décès.

84.

Les quotidiens lyonnais de 1867 et 1875 s'inquiétaient de la persistance de la rigueur hivernale et des éventuels risques courus par les populations quant à un mauvais usage des moyens de chauffage.

85.

Dans son édition du 12/11/1857, Le Salut Public mettait en garde la population lyonnaise sur le risque potentiel que constituaient les poêles neufs dans l'émanation de monoxyde de carbone.

86.

CHESNAIS J.Cl. - Les morts violentes en France depuis 1826, Gap, Presses Universitaires de France, 1976, 346 p. ; pp. 122 et suiv. Cet ouvrage fait le tour des différentes et abondantes causes de mortalité et, parmi elles, les décès par le feu et par asphyxie.

87.

Voir le graphique n° 1, page I-47 : Evolution du pourcentage des cas de suicides par oxyde de carbone sur la période 1883-1911 dans l'agglomération lyonnaise. Les informations annuelles à la genèse de ce traitement sont disponibles dans le tome V. Elles sont issues des Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon pour les années citées.

88.

Article publié dans Le Salut Public du 18/12/1855. Cet écrit expose que l'usage presque exclusif qui est fait du charbon de terre et du coke, principalement pour le chauffage, rend les asphyxies très fréquentes. L'ignorance des premiers soins à donner aux victimes de ces accidents aurait déterminé le conseil d'hygiène publique et de salubrité de la Seine à publier une note sur les mesures à prendre avant l'arrivée d'un médecin.

89.

ADR, 4.M.498 – Incendies : Procès-verbaux d'incendie ; 1821-1884 / AML, 1271 WP 024 – Sapeurs-pompiers : Rapports d'incendie : Registres ; 1876-1888. Incendie du 18/05 – Rapport du 19/05.