L'incendie caractérise un péril redouté qui, avec un minimum de moyens, provoque un maximum de dégâts. A ce titre, les compositions incendiaires90 ont constitué une arme terrible, tantôt employée par l'envahisseur pour soumettre les populations, tantôt par les troupes guerrières pour couvrir leur retraite. Au demeurant, les villes fortifiées n'étaient pas construites en pierre à seul dessein d'opposer une ferme résistance aux invasions mais, en particulier, pour y éviter la propagation des incendies dans le cas d'un siège91. Cette source d'embrasement notoire contre laquelle les individus se sont efforcés de lui substituer le plus d'aliments figurait parmi les causes connues. Connues comme l'étaient celles liées à la nature92 ou, plus tard, aux vices de constructions93. En revanche, ce n'est qu'au fil des ans, de l'approfondissement des savoirs et de l'observation, en dehors des règles de bon sens, que les diverses autres causes se sont faites jour. Elles peuvent, dès lors, expliquer, avec recul, l'impact de sinistres antérieurs. Marquer des discernements quant aux causes n'a pas eu d'intérêt que pour la seule compréhension du fait mais autant dans l'élaboration des systèmes de défense que l'assise de la prévention.
Quel que soit l'ouvrage représentatif et facilement assimilable étudié sur le risque incendie et la conflagration94, tous répertorient les origines sous une classification quasi semblable. Sans prétendre leur donner un ordre, les plus communes sont : les origines thermiques, mécaniques, techniques, physiques, chimiques et biologiques, auxquelles s'ajoutent les agents naturels précédemment évoqués.
Au chapitre des sources thermiques, le contact d'un corps combustible avec une flamme nue ou une source de chaleur figure parmi les causes les plus fréquentes d'un départ de feu, autant au XIXème que sur les siècles précédents. Modes d'éclairage, généralement la bougie ou le suif, ainsi que modes de chauffage, cheminées ouvertes, en ont marqué les principaux exemples. Cependant, rien n'était ici limitatif à la vie quotidienne. L'emploi du feu dans la transformation, artisanale puis manufacturière, des matières demeurait, en effet, d'un usage courant, ceci jusqu'à l'apparition de nouvelles énergies, issues des progrès techniques et de la révolution industrielle, qui modifiera le rapport direct à la flamme nue ou à la surface chauffée. En d'autres termes, les risques, sous-entendus pour cette période allant jusqu'à ces progrès, ne se sont pas cantonnés au simple univers familial. Ils se sont journellement confondus avec celui de l'artisanat ; plus encore peut-être même avec l'environnement urbain. Dans tous les cas, l'imprudence, l'inattention, la crédulité et la perte de mémoire collective sur le pouvoir de l'élément, ont causé d'imposantes dévastations.
Sous le rapport des causes mécaniques, qui se confondent, par une certaine forme, avec les causes physiques, se dessine la transformation d'énergie. Cette source trouve un écho tout particulier et une illustration parfaite dans les progrès technico-industriels du XIXème siècle, principalement au travers de l'apparition de machines industrielles qui étaient mues par de nouveaux procédés, à l'image de la vapeur. La désignation porte, en fait, essentiellement sur le risque et la cause d'incendie par frottement95 ; celui de courroies sur des poulies, par exemple. Dans ce cas, la dynamique par l'action de ces instruments l'un vis-à-vis de l'autre induit généralement deux possibilités : l'accumulation de charge électrique, dite électricité statique, et la transformation du mouvement, suivant la vitesse, en énergie calorifique ; ce qui signifie, concrètement, sous la première condition, que lorsqu'un objet naturellement chargé ou neutre est mis en présence du corps électrisé par le mouvement, il peut jaillir une étincelle. Auquel cas, et dans un environnement spécifique tel que celui de poussières en sustentation, une explosion peut être occasionnée, un incendie déclenché. Sous le rapport et la seconde situation, selon la loi scientifique dite loi de Joule96, l'énergie produite par le frottement d'une structure sur une autre se transforme, pour partie ou totalement, en chaleur ; ce qui produit donc un échauffement qui peut engendrer l'inflammation d'une des structures liée à la cinétique si elle se trouve être un corps combustible, et, du même coup causer un départ de feu. Seulement ce n'est pas là qu'une cause. La friction a été, avant tout, un allié de poids pour l'homme primitif. Le frottement de deux morceaux de bois l'un contre l'autre a en effet offert à l'être humain le premier moyen de créer, par l'échauffement qui en dérivait, de façon maîtrisée et volontaire, la flamme. James Georges FRAZER admettait, dans son ouvrage Mythes sur l'origine du feu, que les premiers hommes devaient, sans doute, cette découverte à l'observation de phénomènes naturels97. Il n'en demeure pas moins que cette maîtrise, riche de conséquences pour l'être humain, allait, à l'opposé, être la cause de nombreuses déclarations de feu ; principalement dans les manufactures et industries de XIXème siècle avec parfois de terribles conséquences, y compris dans le secteur industriel lyonnais98.
Sous l'intitulé des causes techniques s'agglomère tout ce qui, de près ou de loin, s'apparente au progrès sous ses multiples formes. Quelques origines de départs de feu classées sous ce titre se recoupent d'autre part avec plusieurs sources déjà précitées.
C'est le cas des nouvelles forces motrices. Sur le XIXème siècle se côtoient, pêle-mêle, l'utilisation, de plus en plus fréquente, de la vapeur, le développement du réseau gazier, la fée électricité, des machines industrielles et d'autres innovations. L'évolution, voire la révolution, des modes d'éclairage, et, à un moindre degré, celle des modes de chauffages, ne supprimèrent aucun des risques, au moins dans un premier temps. La bougie avait pour principal inconvénient de laisser la flamme nue. L'usage de la lampe à huile avait, en plus, la menace de fournir un aliment par l'intermédiaire du récipient, même le plus insignifiant, lorsque l'objet était renversé ou chutait99. L'emploi du gaz, par beaucoup de ces aspects, a été perçu comme un progrès sensible, le premier d'une longue lignée. Utilisé pour établir des réseaux lumineux urbains, il a permis le franchissement d'une position supplémentaire dans l'indépendance humaine vis-à-vis du rythme diurne et nocturne, non pas tant dans la vie familiale quotidienne, mais dans le système de production qui était issu de la révolution industrielle. Quant à l'électricité, qui va asseoir définitivement les nouveaux modes de vie et de l'économie, elle a été le type même de l'innovation par excellence. Seulement le passage de l'éclat de la bougie au réseau de gaz et au génie électrique ne s'est pas accompagné, "loin s'en faut", que de bienfaits. Il s'est aussi assorti de dommages sous le point de vue des départs de feu, spécialement au regard du choix qui était fait des matériaux pour le transport du gaz, ou l'application de certains conducteurs pour l'énergie électrique. Etabli sans précautions ou à l'usage du particulier, le gaz a été générateur de brasiers déprédateurs100. Le court-circuit électrique, fréquent, avait des conséquences sérieuses pour ceux des industriels ou des manufacturiers qui avaient opté, par exemple, pour une distribution lumineuse liée à l'électricité101. Les Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon de 1901 notaient, de ce fait, une nouvelle source de départs de feu : les vices de construction électrique102.
Les causes chimiques sont, quant à elles, directement issues de la composition interne des matières. Ainsi, il arrive que deux corps, mis en présence, puissent provoquer, par leur seule association, une réaction chimique. Celle-ci prend alors la forme de combinaisons gazeuses. Se produisant plus ou moins rapidement selon les circonstances, elles ont, entre autres facultés, d'occasionner une élévation de température. Comme l'étaye alors la théorie de la combustion et la notion de point d'inflammation, il se produit un intervalle où cette combinaison atteint un degré suffisant pour que soient engendrés une explosion ou un incendie. D'autres matières, comme les substances pyrophores, peuvent réagir au contact de l'air, dans d'autres cas, au contact de l'eau. L'illustration de ce type de sources d'embrasement la plus éloquente sur le XIXème siècle demeure sans doute le phosphore. Employé dans la fabrication des allumettes chimiques, cet élément était stable quand il existait sous la forme du phosphore rouge mais particulièrement dangereux sous la forme du phosphore blanc. Il y avait donc un risque dans le stockage le plus anodin de ce corps, dans la production et l'usage de cette classe d'allumettes mettant en avant les bienfaits de celles dites de sûreté103.
Cette présentation ne saurait être complète sans aborder les causes biologiques. Elles se rapprochent, en fait, des causes naturelles. Elles se confondent parfois avec certaines des causes chimiques. Elles sont surtout habituellement dénommées combustions spontanées ou d'auto-inflammation. Parmi les origines les plus couramment reconnues, la présence de ferments, de bactéries, dans la ou les matières, de micro-organismes qui vont déclencher une série de combustions lentes dont l'énergie, faible au départ, va aller en s'accumulant. Plus le processus va s'accélérer et plus l'énergie va s'accumuler et, en toute logique, la température augmenter graduellement. La menace deviendra d'autant plus grande que le contact avec l'oxygène de l'air sera favorisé. Il n'y a alors nul besoin d'un apport extérieur de chaleur, d'un contact, pour atteindre le point d'inflammation du mélange et assister au déclenchement d'un incendie. Parmi les cas de combustions spontanées figurent les fourrages, les combustibles tels que les tourbes sulfureuses ou encore plusieurs textiles lorsqu'ils étaient, associés à des composants chimiques104 ; des matières dont le stockage, de l'artisanat aux bâtiments spécialisés -la condition des soies à Lyon-, en milieu urbain, est demeuré important jusqu'à une période historiquement récente.
Hormis quelques formes de départ feu et au regard des origines répertoriées et présentées, l'incendie ne devait ou ne doit pas être perçu comme une catastrophe naturelle et inévitable105. Il est, plus généralement, la conséquence de l'imprudence, de l'inattention, de la négligence et des progrès techniques ; parfois aussi de l'intention de nuire ou le mobile d'un vol, d'un crime, voire d'une escroquerie. Surtout, avec la classification des sources susceptibles de déclencher un feu et les quelques exemples cités, son analyse et sa compréhension deviennent plus abordables ; notamment, en association avec nos connaissances sur les conditions et les modes de vie des siècles précédents. La force des destructions liées à la flamme et la vision de l'incendie comme fléau urbain se conçoivent donc ; une évocation que les progrès scientifiques dans l'étude, notamment, des modes de propagation, ne vont faire que corroborer. Quant aux causes présentées, il ne s'agit là que d'un survol dont une étude plus ciblée, sous la représentation des risques, en étoffera la chair.
L'exemple le plus caractéristique demeure le feu grégeois, à base de salpêtre et de bitume.
FRIES F. / YERASIMOS S. - La ville en feu, Paris, Laboratoire Théorie des mutations urbaines, Cahiers
n°s 6-7, 1993, 172 p. ; pp. 17 et suiv. Dans leur développement, les auteurs reprennent l'étude et les conclusions d'André GUILLERME.
La foudre, les pluies incandescentes près des volcans, ...
Il existera, jusqu'à la fin du XIXème siècle, un nombre impressionnant de petits départs de feu ou de feux de cheminée qui avaient pour origine un vice de construction. Parmi les plus courants, la pièce de bois -une solive, par exemple- qui traverse la gaine de cheminée.
Parmi ces recueils : BELTRAMELLI R. / FAURE A. - Le feu, Paris, Presses Universitaires de France,
2ème éd., 1969, 128 p. / GRAPIN P. - Les incendies, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, 128 p.
Les journaux lyonnais de 1855 reconnaissent déjà cette cause dans les départs de feu.
JOULE James (1818-1889) ; physicien anglais.
FRAZER J.G. - Mythes sur l'origine du feu, Paris, Payot -traduction de l'original publié en 1931-, 1991,
243 p. ; pp. 219 et suiv.
AML, 1270 WP 024 – Sapeurs-pompiers : Incendies : - Rapports ; 1852-1879. Exemple de l'incendie du 25/08/1855 dans une fabrique d'impression sur étoffes de La Guillotière dont la source fut l'échauffement d'une courroie.
AML, 1271 WP 024 – Sapeurs-pompiers : Rapports d'incendie : Registres ; 1876-1888. Le rapport d'incendie du 28/06/1884 revient sur l'incendie et les effets de l'explosion d'une lampe à pétrole, principalement dans ses conséquences humaines : 2 décès et 1 blessé grave.
Dans sa parution du 29/03/1884, Le Progrès donne le détail de l'incendie d'un vaste entrepôt du quartier de Serin. L'estimation des dégâts porte un état de 300.000 francs. La cause de l'embrasement était l'éclairage au gaz du bâtiment
Le Petit lyonnais du 29/07/1878 publie un article sur l'installation d'un nouveau mode d'éclairage qui concernait le procédé électrique. S'il en reconnaît les bienfaits, une mise en garde est cependant faite sur les dangers que cette source peut provoquer lorsque l'installation est faite de manière défectueuse. Le Progrès du 06/11/1901 fait un rapport sur un sinistre ayant détruit un débit de boissons Rue Puits-Gaillot dont le montant des dégâts s'élevait à 150.000 francs ; un brasier qui avait pour origine un court-circuit dans les conducteurs électriques installés pour l'éclairage.
Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Vve L. Delaroche, 1902, 616 p. ;
pp. 311 et suiv.
Le Salut Public du 15/03/1857 publie un article sur Mrs COIGNET frères, manufacturiers à Lyon et Paris, qui viennent de livrer à la consommation des allumettes dites hygiéniques et de sûreté. Ces allumettes résolvent enfin le problème de la substitution du phosphore rouge ou amorphe au phosphore blanc beaucoup trop dangereux. Ces industriels avaient également compris l'enjeu du risque incendie dans la préservation de l'instrument économique et furent parmi les dirigeants de sociétés à se doter d'agrès d'extinction et à former leurs ouvriers à la défense de l'outil de production.
Les journaux lyonnais de 1859, de 1881, pour ne citer que ces 2 années, insistaient, tout particulièrement, sur le danger d'échauffement des matières dans l'industrie du textile et ses dérivés. Le Progrès du 17/03/1903 relate, quant à lui, un embrasement survenu dans une usine de couleurs et de vernis située Route de Genas dans le quartier de Montchat ; un brasier dont le montant des dégâts fut estimé à 350.000 francs et dont l'origine fut attribuée à la fermentation des matières minérales.
GRAPIN P. - Les incendies, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, 128 p. ; pp. 5 et suiv. Présentation de l'ouvrage.