3. PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES DE LA FLAMME

La connaissance des principes chimiques de la combustion et des causes de déclenchement ne saurait faire totalement la lumière sur l'importance du phénomène qu'en association avec les propriétés mécaniques de la flamme, c'est-à-dire celles liées à la cinétique et aux modes de propagation d'un embrasement. C'est le maillon manquant dans la chaîne de compréhension et d'évaluation des risques et de leurs effets ; ce qui a, en outre, permis à la prévision et à la prévention d'acquérir leurs lettres de noblesse, d'optimiser leur efficacité. Seulement la prévention, dans le cadre de la défense contre l'incendie, n'a pas été le propre de l'homme moderne106. Même si les civilisations anciennes étaient loin d'avoir atteint un degré remarquable, il n'en demeure pas moins que plusieurs d'entre elles savaient limiter l'extension d'un brasier. Cinq modèles de propagation sont, de nos jours, communément admis 107: la convection, le rayonnement, le transport des gaz de distillation, la conductibilité et les retombées incandescentes108. Il est établi que, parmi ces modes de propagation, certains d'entre eux sont ou ont été plus propices au développement des destructions par la flamme selon l'époque. Toutefois, sous le rapport au monde connu et réel, passé ou présent, et dans le cas du XIXème siècle, chacun y trouve une représentation concédant sa dimension au fait.

La convection se veut la loi de la propagation en hauteur. Elle résulte, en fait, du mouvement ascendant de l'air réchauffé que la découverte a, d'autre part, conduit aux expériences aérostatiques de la fin du XVIIIème siècle. Les cages d'escaliers en constituent l'exemple le plus éloquent. Par extension, tout espace, parfois restreint, d'autres fois plus vaste, mais libre dans le déplacement d'air, entre dans la catégorie des agents aptes à transporter le feu d'un lieu à un autre ; tout comme la résistance de certains matériaux ou la qualité du verre de vitrage109. Cela a été, vraisemblablement et de loin, le mode de propagation le plus répandu lorsqu'un départ de feu était signalé dans un bâtiment sur les siècles passés. Foncièrement, parce que l'air y circulait facilement et sans remparts. Ceci même peut-être de façon encore plus déroutante dans des cités comme l'agglomération lyonnaise où, à partir du XVIIIème siècle, les maisons étaient édifiées en hauteur110. Selon cette loi, le feu se disperse donc de manière verticale.

Le rayonnement joue, lui, sous les deux angles de la verticalité et de l'horizontalité. Il dépend, pour l'essentiel, de deux catégories de paramètres : ceux internes à la combustion et ceux externes, liés, par exemple, à l'environnement. A ce titre, la vigueur du foyer principal, l'intensité de chaleur dégagée, la distance qui sépare le foyer des objets qui l'entourent ainsi que la combustibilité plus ou moins élevée de corps situés à proximité, représentent-elles des facteurs déterminants111. De ce fait le voisinage de bâtiments construits ou composés, pour partie, de matériaux inflammables présente un danger lorsque le feu se déclare dans l'une des constructions112. C'est là une illustration parmi plusieurs à la propagation par l'échauffement de matières et l'atteinte du point d'inflammation113. La pratique ancestrale de défense contre l'expansion de l'incendie sous la forme de la part du feu y puise, d'ailleurs, l'un de ses fondements.

Le transport des gaz de distillation est un phénomène plus contemporain. Il est généralement propre à des progrès réalisés dans la production, la composition ou le perfectionnement de différentes matières. Il est aussi le résultat de la création de nouveaux matériaux aux comportements particuliers lorsqu'ils sont soumis à un échauffement ou brûlés. Entre dans l'interprétation, l'emploi, de plus en plus fréquent, des dites matières dans l'aménagement intérieur des espaces, les théâtres par exemple, et le développement des modes de vie. Comme le démontre la loi de dilatation des gaz, certains corps, sous l'action de la chaleur, produisent des réactions chimiques et libèrent des vapeurs. Ce sont ces émanations gazeuses, très volatiles et particulièrement combustibles, qui vont, sous l'action de l'air chaud, se transporter, notamment en partie haute du bâtiment114. Profitant de la chaleur ambiante née du foyer et de l'association avec l'oxygène, ces gaz peuvent former un embrasement ; ceci, dès lors que la température d'auto-inflammation se trouve atteinte ; ce qui signifie que le feu peut, par simple mouvement de ces vapeurs dégagées, se propager en un lieu parfois éloigné du sinistre principal. C'est une explication à la multiplication des foyers sur un même brasier et à l'étendue des dégâts dont, encore une fois, les manufacturiers du XIXème siècle ont eu, notamment, à souffrir.

La conductibilité se matérialise par le transport de la chaleur du foyer sur un autre point d'une pièce, d'un logement, d'un bâtiment. Le plus communément, cela s'opère par le simple jeu des gaines ou des réseaux dont l'ossature est fréquemment faite de métal, conducteur calorique. Un corps combustible posé tout contre une conduite, ou une surface, soumise à une production de chaleur peut, dès lors, s'enflammer. Indubitablement, la température véhiculée doit être d'un degré substantiel pour que le comportement de la matière se modifie. Cette dépendance, liée à l'intensité du foyer principal, conditionne la répercussion. Une fois encore, il s'agit là de l'association et l'illustration caractéristiques entre matières combustibles et point d'inflammation. Si ce mode de propagation demeure moderne à la vue des progrès domestiques réalisés, ces effets se sont néanmoins continuellement remarquer ; ceci, au fur et à mesure que sont nés les réseaux ménagers et urbains, concrètement à partir des années 1880.

Pour être complet dans les modes de communication de l'incendie, manque à l'appel le déplacement de sources incandescentes : flammèches, brandons et tisons, par exemple115. Ce sont des sources de départs de feu qui peuvent parfois, sous l'influence des vents et des courants d'air chaud, parcourir des distances considérables. Dans cette perspective, le feu peut se trouver transporté d'un bout à l'autre d'un lieu. Ce phénomène reste relativement craint dans certaines régions. Il se maintient comme une des caractéristiques dans le développement rapide des incendies de forêt ou de zones vertes. Au XIXème siècle, la crainte s'est fondée, pour la ville de Lyon, dans son positionnement géographique, directement sous l'influence des vents qui balayent périodiquement la vallée du Rhône116 ; mais pas uniquement. Elle l'était tout autant dans l'entassement des constructions117. A cette extension de l'incendie par transport de sources incandescentes, les Romains développaient déjà une parade qui consistait à étendre des couvertures mouillées sur le toit des bâtiments voisins d'un embrasement118.

Toutes ces connaissances sur la combustion, le fonctionnement, les causes et les modes de propagation, ont permis de classer les feux dans différentes catégories119. Ces divisions composent aujourd'hui les classes de feu et forment un apprentissage dans la théorie du sapeur. L'acquisition et l'accumulation de ces savoirs, depuis le traité de chimie élémentaire de LAVOISIER, ont, petit à petit, transformé les rapports de l'homme à la flamme. Ils ont contribué aux perfectionnements des techniques de lutte autant qu'aux progrès de la prévention. Ils permettent, plus généralement, de lire, d'analyser et de comprendre comment le feu, sous son caractère le plus imprévisible, peut ou pouvait prendre de gigantesques proportions et comment, en un laps de temps relativement restreint, il engendre de notables dégâts. L'évolution n'est pas uniquement quantifiable en termes de progrès et sous le seul aspect scientifique. Elle l'est aussi sur le fondement de la rationalité, la disparition du fatalisme et de plusieurs superstitions, des représentations dont seule la perpétuation de certains us et coutumes nous rappelle la filiation120.

Notes
106.

Plusieurs ouvrages traitant de la sécurité incendie reviennent sur les mesures prises par certaines des civilisations anciennes.

107.

VIGER R. - Trente conseils face au feu, Paris, Hatier, 1977, 95 p. ; pp. 30 et suiv. Cet ouvrage décrit, parmi ces pages, de manière très explicite, chacun des modes de propagation.

108.

Voir le document n° 3, page I-53 : Les différents modes de propagation d'un incendie. Chacun de ces modes de propagation est repéré dans l'ordre de sa présentation et à l'aide d'une numérotation qui va de 1 à 5. L'illustration utilise une construction d'un type architectural moderne ; seulement, les risques de propagation sont demeurés les mêmes, plusieurs "s'adaptant" ou se modifiant selon les progrès techniques. VIGER R. -
Trente conseils face au feu, Paris, Hatier, 1977, 95 p. ; p. 31.

109.

Progressivement, ces notions feront le soin d'études scientifiques et techniques particulières et retiendront l'attention des pouvoirs publics.

110.

Les journaux lyonnais de 1855 notent ce mode de propagation et le danger des cours centrales aux bâtiments qui forment de dangereuses gaines de cheminée lorsqu'un feu vient à se déclarer. En d'autres circonstances, ce sont les rapports d'incendie qui mettaient en avant ce danger.

111.

VIGER R. - Trente conseils face au feu, Paris, Hatier, 1977, 95 p. ; pp. 30 et suiv.

112.

Le Salut Public du 10/03/1868 précise, dans le compte-rendu d'un incendie, qu'il a fallu se borner à protéger les constructions voisines tellement la chaleur dégagée était imposante et faisait courir le risque de communiquer le feu aux habitations de structures légères édifiées à proximité.

113.

Le Courrier de Lyon du 26/07/1874 décrit le travail des sapeurs-pompiers selon deux phases simultanées d'intervention qui sont un travail d'extinction et un travail de protection. Le second se caractérisait par des jets de pompes dirigés sur les façades des bâtiments voisins au foyer pour éviter que les châssis des fenêtres ne prennent feu.

114.

VIGER R. - Trente conseils face au feu, Paris, Hatier, 1977, 95 p. ; pp. 30 et suiv.

115.

AML, 1270 WP 024 – Sapeurs-pompiers : Incendies : - Rapports ; 1852-1879. Dans le compte-rendu d'incendie du 21/04/1875, le commandant, rapporteur des faits, mentionne l'obligation qui lui a été faite de positionner des habitants sur les toits voisins de l'embrasement pour éteindre les flammèches transportées par le vent et qui risquaient, à tout instant, de communiquer le feu.

116.

"(...), on frémit lorsque l'on songe aux conséquences terribles qu'eût pu avoir cet incendie, alimenté par un vent d'une violence extrême, qui portant les flammèches sur les toitures des maisons voisines, eut pu déterminer l'incendie complet d'un des quartiers les plus populeux de la ville" – article publié dans Le Salut Public du 10/12/1856 à propos d'un incendie survenu rue de Marseille, quartier de la Guillotière, alors qu'un vent violent balayait la vallée du Rhône.

117.

Le chroniqueur traitant de l'incendie d'une droguerie, Rue Montesquieu, dans Le Progrès du 03/01/1901, qui porte un état des dégâts de 210.000 francs, évoque une colonne d'étincelles qui s'élevait dans la nuit et retombait sur les 15 immeubles voisins en multipliant les risques.

118.

HOMO L. - Rome impériale et l'urbanisme dans l'Antiquité, Paris, Albin Michel, 1971, 669 p. ; pp. 180 et suiv.

119.

VIGER R. - Trente conseils face au feu, Paris, Hatier, 1977, 95 p. ; p. 29.

120.

Les civilisations anciennes regorgeaient de rituels qui se sont mués en traditions. Plusieurs se sont perpétués jusqu'à nos jours, généralement sous l'empreinte de la culture religieuse. Cependant, ces rituels, devenus traditions, sont aujourd'hui beaucoup moins démonstratifs. Leur sens originel est fréquemment gauchi. Prenant un exemple, ce sont peut-être les feux de la Saint-Jean qui, dans nos campagnes, en marquent la plus singulière et originale survivance. Tantôt garantie de la fécondité des troupeaux ou "moyen" de demander une protection contre les épidémies, tantôt bûchers purificateurs ou instrument de tortures, ils ont à présent l'image d'une fête culturelle.