A l'échelle des temps et des récits historiques, aussi loin ces derniers puissent-ils remonter, la relation d'événements dramatiques, voire catastrophiques, abonde202. Le fait d'incendie fait partie intégrante de ces témoignages203. Il donne, dans cette perspective, un sens à l'hypothèse d'un risque omniprésent, celui avec lequel les civilisations ont dû sans cesse composer jusqu'à ce qu'elles soient capables de lui opposer des mesures efficaces.
Donnant un argument au fait, introduisant l'analyse du phénomène sur la période contemporaine, l'histoire du Moyen Age atteste du danger d'incendie et de ses liens avec le monde urbain. Nombreuses ont ainsi été les villes qui ont eu à subir l'assaut des flammes avec comme conséquences des déprédations généralement sérieuses et des corollaires parfois tragiques204. La cité parisienne a, par exemple, successivement vu différentes parties de son territoire urbain ou de ses quartiers réduites en cendres205 jusqu'à ce que la relation devienne celle d'événements plus ponctuels mais à l'empreinte tout aussi saillante, celle des sinistres de bâtiments ; une catégorie d'événements dont l'incendie de l'Opéra, en 1781206, inscrit une amorce, celle d'une longue liste lorsque la référence se rapporte, précisément, à la période contemporaine. Quant au phénomène d'envergure, donnant, d'autre part, une image à la mutation du danger d'incendie, la référence française, repoussant, dans le même temps, les limites temporelles propres à une ère strictement contemporaine, demeure l'embrasement de la ville de Rennes, survenu en 1720207.
En fait, l'hypothèse de l'embrasement, fatalité, risque quotidien, se vérifie à partir de l'instant ou la relation de l'événement devient courante, tendant presque à le banaliser. Les manuscrits anciens et moyenâgeux sauvegardés, de par leur difficulté de production, et plus nettement de reproduction et de transmission, ne s'attachaient qu'à traiter des faits les plus marquants de l'histoire. Ce n'est qu'au développement du récit, de la littérature, puis de la gazette, avec un parallèle sur le progrès des techniques de production et de reproduction, que la narration du fait est devenue révélatrice de son ampleur. Jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, seuls le stigmate de la chronique qui s'attachait à l'événement-catastrophe, ciblé, la connaissance de dates précises, puis un solide travail de recherche démonstratif et de logique, pouvaient donner la mesure de suppositions ; des présomptions qui apparaissent dès lors fondées et difficilement réfutables sur la gravité et l'étendue de l'incendie urbain à l'aube des années 1800. Au regard des chroniques et des récits que nous ont légués les générations passées, il devient alors évident que l'incendie a bien figuré au titre des fléaux calamiteux tel que le laissait entendre la définition que posait la loi des 16 et 24 août 1790 à propos des devoirs dévolus aux autorités locales208.
La Révolution Française est communément admise pour symboliser le début d'une nouvelle ère historique, celle d'une différenciation entre période ancienne et période contemporaine. C'est avec la révolution de 1789, les progrès réalisés juste auparavant et les bouleversements directement induits, que s'est concrètement posé le principe de prévention et de secours. L'office devenait urgent. La préoccupation face aux dégâts, aux conséquences dans la désorganisation de la vie locale et économique, demandait, en effet, une intervention sans attendre. Celle-ci devait être efficace et proportionnelle à l'événement. Au-delà des volontés, ce fut malheureusement avec lenteur et timidité que la méthode allait s'imposer. C'est surtout porté par les progrès civilisateurs, sociaux, politiques, urbains et industriels, que le rapport au feu est allé en se modifiant ; principalement entre le début des années 1800 et le commencement des années 1900. Malgré la persistance d'accidents catastrophiques, le XIXème siècle verra donc le passage de l'incendie non ou difficilement maîtrisable à l'incendie contenu.
Au regard des dénombrements effectués par certains des auteurs attirés par l'étude des incendies, il apparaît, de plus en plus, que le feu s'est concentré sur des types de construction déterminés209 ; souvent des bâtiments publics, des symboles historiques puis, sous l'influence du développement industriel, des édifices manufacturiers. Ces constructions demeuraient, cependant, de très grosses structures urbaines. Elles ont donc pu être aisément assimilables à une destruction d'envergure. Seulement, plus que la dévastation, le feu allait devenir marquant, en ce siècle, par ses enchaînements : disparition de l'outil de production, pertes financières significatives et population ouvrière livrée au chômage210. Surtout, mis à part les catégories de départs de feu précitées, il allait encore arriver que la flamme dévore de fortes superficies. Ce fut le cas à Copenhague, en 1807, à Moscou, en 1812211, à Constantinople, en 1818, à Salins, en 1825, à New York, en 1835, à Hambourg, en 1842, à Sacramento, en 1852, à Limoges, en 1864212, à Chicago, en 1871, à Roubaix, en 1883213, à Baltimore, en 1904, ou à Valence, en 1907214. Tout comme les incendies qui concernaient la période courant de l'Antiquité à la fin du XVIIIème siècle, la liste est ici excessivement et volontairement amoindrie215. Quant à l'idée qui veut que le feu se soit déplacé et se concentre sur un cadre bâti précis et ne réduit plus en cendres un parcellaire important, elle se doit d'être attribuée aux progrès de la communication, de la relation et de la transmission d'informations. L'événement se relate, la trace se conserve, le fait se transmet. Quoi qu'il en soit, si l'incendie était imposant de conséquences, par exemple, au Xème siècle, dans toutes les capitales et villes d'Europe et au-delà, il le restait au XIXème siècle, et plus généralement dans nos sociétés modernes, mais avec des paramètres traducteurs fondamentalement différents.
Dans le cas de l'incendie de Moscou, en 1812, l'origine était particulière puisqu'il s'agissait d'un fait de guerre, plus exactement d'une attitude défensive face à un ennemi. C'est encore à un fait de guerre, vu sous l'angle offensif, qu'il faut attribuer les déprédations dont les villes françaises ont eu à souffrir lors du conflit qui opposa la nation à la Prusse dans les années 1870-1871216. Pire, c'est le feu, instrument de politique, qui a été à la source de la perte de plusieurs édifices du patrimoine parisien lors de l'épisode de la commune, en 1871. Ce fut un événement sans précédent et pour lequel il fut fait appel à tous les sapeurs-pompiers de France afin d'apporter leur concours à l'extinction de ce gigantesque brasier et à la préservation des biens : ‘"Insurrection vaincue à Paris se venge par le feu – Réunissez d'urgence les pompiers de votre commune et faites-les venir à Paris – Réunissez-vous au Trocadéro avec pompes et costumes de feu’ ."217. De cette intervention efficace, l'assemblée nationale adopta une résolution qui portait des remerciements à l'attention des pompiers qui avaient servi pendant ces pénibles moments218.
Il a aussi été des Etats où, en ce XIXème siècle, le feu engendrait de terribles dégâts et procédait à des destructions massives : les Etats-Unis d'Amérique, pays où, selon certains renseignements, il y était signifié que l'industrie des incendies était une des plus lucratives de ce continent et qu'elle jouissait d'une brillante prospérité219 ; ce qui était loin d'être dénué de fondements, tout simplement parce que l'emploi du bois dans la construction y était abondamment répandu220, mais également parce que ces villes souffraient très rapidement d'un poids démographique imposant qui multipliait les risques. Parmi les incendies les plus marquants de ce jeune Etat figurent celui de Chicago, en 1871, celui de Boston, en 1872, ou bien encore, celui de Baltimore, en 1904221. Ces embrasements, tout comme ceux de Londres, en 1666, et de Rennes, en 1720222, ont été les archétypes de l'incendie vu comme une calamité urbaine. Il ne faut néanmoins pas noter dans cette expression un unique sens négatif. Car, comme il le sera démontré, la conflagration fut aussi un formidable moteur ; un instrument d'innovations et de progrès urbanistiques. A l'instar d'autres catastrophes, elle offrait la possibilité de reconstruire de façon plus rationnelle et sécuritaire tout espace détruit.
Quant à la référence à l'incendie de bâtiments, elle s'est parfois révélée significative. Plusieurs de ces sinistres ont en effet conduit de profondes réformes. Ce fut le cas lors de l'embrasement de l'ambassade parisienne d'Autriche, en 1810223. Ce sinistre porte, en effet, la part des perfectionnements et des mutations qui toucheront les sapeurs-pompiers ; plus précisément, le corps de la ville de Paris, futur modèle. Le drame s'est joué dans la nuit du 1er au 2 juillet 1810, lors d'une réception donnée en l'honneur du récent mariage de l'empereur Napoléon 1er. Comme à l'accoutumée, depuis le terrible incendie de l'Opéra de Paris, en 1781224, et les mesures qui en découlèrent, les hommes du feu veillaient à la sécurité des personnes. Sous le symbole de la prestance, la fête était somptueuse. Surtout, la concentration des matières d'ornementations y était ostentatoire. Toutes les conditions étaient en fait réunies pour qu'une malheureuse imprudence -ou un moment d'inattention- provoque un accident. En lui-même, cet incendie n'avait rien qui sortait de "l'ordinaire", pour l'époque : dégâts importants et disparition d'individus. C'est dans la présence des personnalités qu'il fallait en chercher l'impact. Les hommes de garde ce soir-là n'avaient travaillé qu'à la mesure des moyens dont ils disposaient ; un révélateur du retard technique et de l'organisation dont ils dépendaient ; un révélateur du retard fonctionnel. La réaction ne s'est pas faite attendre. L'Empereur prononçait, dans un premier temps, la destitution du commandant des gardes-pompes avant de fonder un nouveau groupe par décret du 18 septembre 1811225 ; une unité qui n'allait pas tarder à passer de l'autorité civile à l'autorité militaire.
Cet incendie fut surtout l'occasion d'affermir le pouvoir et la nécessaire intervention de l'autorité, du législateur, dans l'établissement de lois, d'ordonnances et de décrets qui devaient régir la sûreté des biens et des personnes ; mais, également, dans l'organisation qui devait être conduite de corps spécialement chargés de la lutte contre le feu déclaré. Cet incendie fut comme un écho aux principes de la loi posée en 1790 et aux principes qui invitaient les communes et toutes les autorités compétentes à s'engager dans la voie de la garantie de la vie, des possessions individuelles et collectives ; un embrasement qui fut, identiquement, la résonance du feu, fléau, déprédateur et destructeur de l'ordre.
Plusieurs ouvrages dressent des listes, non exhaustives, des incendies qui ont frappé les cités antiques et moyenâgeuses.
C'est à travers la lecture des poèmes épiques tel que l'Iliade qu'est rapportée la destruction par le feu, première catastrophe urbaine pouvant être reconnue comme telle sous ce phénomène, de la ville de Troie, réduite en cendres lors de l'incendie survenu durant la légendaire guerre portant le nom de cette même cité. D'autres récits, ceux d'historiens romains comme Tite-Live, s'attachent à décrire l'incendie de la ville de Rome, en 64, ayant détruit plusieurs des quartiers de la cité.
L'ouvrage de Maxime PETIT (Les grands incendies, Paris, Hachette et Cie, 1882, 302 p.) propose, dans ses dernières pages, une table chronologique détaillée.
PETIT M. - Les grands incendies, Paris, Hachette et Cie, 1882, 302 p. ; pp. 275-276. L'auteur cite Grégoire de Tours lorsqu'il choisit de faire référence à l'incendie ayant eu lieu en 586.
Idem 127 ; p. 279.
Voir le document n° 5, page I.-71 : L'incendie de la ville de Rennes en 1720. DELUMEAU J. / LEQUIN Y. (sous la direction de) - Les malheurs du temps – Histoire des fléaux et des calamités en France, Paris, Larousse, 1987, 520 p. ; p. 373.
ALLEMANDOU P. / FUSILIER R. - Traité sur l'organisation des corps et le statut des sapeurs-pompiers communaux, Paris, SERPIC/France-Sélection, 1968, XL-475 p. ; pp. 15 et suiv. Titre XI, article 3, alinéa n° 5. "(...) le soin de prévenir (...)".
PETIT M. - Les grands incendies, Paris, Hachette et Cie, 1882, 302 p. L'évolution se remarque dans les récits que propose M. PETIT tout au long de son ouvrage.
Ceci devient caractéristique, dans l'agglomération lyonnaise, sur la fin du XIXème siècle en proportion du développement industriel et du nombre des départs de feu qui touchent ce secteur d'activité. Le Progrès du 11/09/1904 insiste sur l'embrasement d'une usine de tissage aux limites de la commune de Caluire qui a détruit 200 métiers à tisser, qui livre 200 ouvriers au chômage et porte 600.000 francs de dégâts.
L'incendie fut provoqué par les Russes eux-mêmes devant le siège de Napoléon et consuma la ville du 14 au 18 septembre.
La chronique du Salut Public du 19/08/1864 donne des détails : il fut fait appel à des compagnies du génie pour abattre les maisons et couper l'incendie. Pendant un temps, les autorités de la ville auraient même envisagé de faire appel à l'artillerie afin de bombarder les maisons menacées et contenir l'incendie.
Le Progrès du 30/11/1883 revient sur ce brasier.
Le Progrès du 30/07/1907 décrit l'incendie d'un quartier tout entier de la ville de Valence et pour lequel les pompiers de la ville de Lyon seront appelés et interviendront en renfort.
Voir les listes dressées et que proposent différents ouvrages comme ceux de : CART-TANNEUR Ph. / LESTANG J.C. - Sapeurs-pompiers de France, Paris/Barcelone, B.I.P./Solo, 2ème éd, 1986, 240 p. /
PETIT M. - Les grands incendies, Paris, Hachette et Cie, 1882, 302 p.
CART-TANNEUR Ph. / LESTANG J.C. - Sapeurs-pompiers de France, Paris/Barcelone, B.I.P./Solo,
2ème éd., 1986, 240 p. ; p. 54. L'année terrible. Le courage des sapeurs-pompiers, dans la lutte contre le feu pendant cette période de conflit, fut salué unanimement par la classe politique et la nation.
Publication de la dépêche envoyée par le Ministère de l'Intérieur aux maires des communes entourant l'agglomération parisienne le 24/05/1871, 8 heures. Une dépêche reprise dans les quotidiens locaux, Le Courrier de Lyon des 28 et 29/05/1871, par exemple.
"L'assemblée nationale, voulant rendre un hommage public au dévouement des sapeurs-pompiers de France qui aujourd'hui exposent leur vie pour sauver Paris, vote des remerciements aux sapeurs-pompiers de province qui sont venus apporter leur concours pour éteindre les incendies de Paris." Journal Officiel – 1871 ; n° 150, 30/05/1871, p. 1160.
Cette indication est citée dans un article du Courrier de Lyon du 18/01/1853 qui relate l'incendie de la ville de Sacramento survenu en décembre 1852.
Bien que le bois ne constitue pas, comme il le sera démontré postérieurement, le seul facteur explicatif à la propagation d'un sinistre.
DUBOIS-MAURY J. - La vulnérabilité de la ville à l'incendie, Annales de la recherche urbaine, 1988, n° 40, pp. 65-72.
NIERES Cl. - La reconstruction d'une ville au XVIII ème siècle : Rennes 1720-1760, Paris, Cl. Klincksieck, 1972, 413 p.
CART-TANNEUR Ph. / LESTANG J.C. - Sapeurs-pompiers de France, Paris/Barcelone, B.I.P./Solo,
2ème éd., 1986, 240 p. ; p. 48.
Incendie survenu le 08/06/1871 avec pour conséquence 21 décès.
RIVIERE M. - Pandectes françaises – Nouveau répertoire de doctrine, de législation et de jurisprudence, Paris, Chevalier-Maresq/Plon-Nourrit, 1886-1905, 59 vol. ; volume n° 51, pp. 219-238.