En se livrant à une analyse de la ville du Moyen Age puis de la cité contemporaine, de la vie -quotidienne et économique- des populations, et au regard des sources antérieurement évoquées ou sous-entendues, il devient plus facile de saisir avec précision comment l'incendie a pu causer de sérieux dégâts. Seulement, sous le recensement des causes ou des origines de conflagrations, qui, par essence, définissent le risque, persiste, dans nombre de cas, une limite floue entre les anciennes et les nouvelles menaces. Il apparaît, en fait, que certaines n'ont été qu'une transposition d'un monde à l'autre. Elles se confondraient dès lors, alors que d'autres ont été le fruit de la tendance et du mouvement de modernité. Il est à noter que plus le risque s'est avancé dans le temps et plus ses conséquences se sont manifestées comme désastreuses, essentiellement dans la désorganisation qui se trouvait induite. La densification du tissu manufacturier sous la pression et le produit de la révolution industrielle en constitue un très bon exemple. Le danger de conflagration y pesait lourdement ; notamment en rapport avec l'éventuel enchaînement des sinistres, le piège de la propagation sans réelles barrières et aux suites financières souvent catastrophiques pour l'activité ou le secteur. Il peut être concevable de classer ces périls en fonction de critères particuliers ; ce qui aboutit à répertorier les risques comme architecturaux, domestiques, saisonniers, techniques, professionnels, voire hors catégories250. Il convient également de noter les évolutions ou la disparition des uns au profit des autres. Malheureusement, il devient vite impossible de se tenir à cet ordre et de respecter une quelconque classification tant les liens et les entremêlements entre les uns et les autres sont forts et les contours difficiles à sceller.
Sans vouloir chercher à appuyer la démonstration en partant de temps historiquement trop éloignés, l'architecture de la plupart des villes moyenâgeuses prédisposait celles-ci aux destructions massives, que ce soit à Paris, en 586, à Londres, en 1666, ou à Rennes, en 1720. Les maisons, bien souvent en bois, aux toitures de jonc ou de chaumes, serrées les unes contre les autres, à peine séparées par des rues étranglées, irrégulières, souvent tortueuses, présentaient un aliment de choix au feu. L'absence de portes aux bâtiments, les surfaces ouvertes, l'aménagement, devenaient autant de paramètres favorables à la propagation d'un brasier ; essentiellement par convection et transport des matières incandescentes au moindre écart de flammes. Même si pour quelques cités, la pierre demeurait d'un emploi courant, le bois restait le matériau essentiel à la construction : celle des charpentes, des murs intérieurs, des parquets, des escaliers ou pour l'huisserie. Ce n'était pas le faible arsenal des ordonnances et des arrêtés de prévention, malgré un effort de plus en plus rigoureux, qui permettait aux populations citadines de se sentir dans des espaces sécurisés. A cela s'ajoutaient, généralement, des voies de circulation, fréquemment encombrées, qui servaient de lieux de stockage à toutes sortes de matières et matériaux combustibles : la paille, par exemple, à l'origine précieuse alliée dans la protection contre le froid. La présence dans les enceintes de la cité de granges, d'écuries et d'autres espaces équivalents, concourait d'autant à augmenter les risques. Les changements saisonniers portaient également à la prolifération des départs de feu ; des déclarations aux conséquences encore plus tragiques lorsque, en prévision des basses températures, l'emmagasinage des produits augmentait de façon considérable251. De la même manière, les métiers artisanaux qui utilisaient le feu pour transformer les corps, créer et produire, présentaient un risque ; plus encore, dès lors qu'il y avait confusion avec la masse habitable. La non-séparation des dangers augmentait, en effet, de façon flagrante le montant des dégâts ; un coût auquel s'additionnait la destruction de l'outil productif et des richesses personnelles. Que dire enfin des modes d'éclairage et de chauffage si ce n'est la persistance d'une menace vue, en tout premier lieu, sous le danger de la flamme dépouillée et des foyers ouverts. La bougie et la cheminée étaient ainsi communes dans les déclarations d'incendie, des déclarations qui se faisaient abondantes par le contact direct ou indirect de matériaux inflammables, par les modes de vie, d'habitat à l'image du galetas sur la fin du Moyen Age. Dans cet espace réduit où les personnes s'entassaient, sans cheminée, habituellement chauffé avec un brasero posé sur un plancher non carrelé fait de vieilles planches de sapin, livré au courant d'air, s'agitait fréquemment le spectre du sinistre. La plupart des risques répertoriés ici sont ceux communément classés comme anciens. Aucune de ces menaces ne s'effacera avec l'arrivée des temps modernes. Le propre du péril était de persister malgré une sensible atténuation pour certains. L'évidence demeure simplement d'une profonde mutation des risques sous l'influence de plusieurs et de divers paramètres ; une réalité qui soulève l'idée de la voie ouverte à de nouveaux risques.
Que ce soit à l'époque ancienne ou à une époque beaucoup plus récente, l'habitation a toujours représenté un foyer potentiel de départ de feu. D'abord par la quantité des produits combustibles de toutes sortes qui y sont entreposés. Ensuite parce que la flamme et ses dérivés y sont constamment utilisés : tantôt comme source de lumière, tantôt comme source de "confort", tout bonnement de vie quotidienne. Cependant, le XIXème siècle composera une différence essentielle au point de vue de l'embrasement entre l'incendie d'espaces habités et le sinistre de surfaces manufacturières, parfois étendues. Jusque là, la confusion s'opérait pour certaines activités. Surtout, l'espace industriel, à proprement parler, n'existait pas encore en tant que tel. Ce type de structures est en effet né avec le siècle et la révolution industrielle tout comme est apparu le développement technique, source de modernité autant que source de périls. Avec le siècle courant de 1800 à 1900 se sont également finalisés tous les risques dont la littérature descriptive de la vie courante porte les traces pour certains et que les connaissances historiques des modes de vie véhiculent pour d'autres. Sous le modernisme sont apparus les réseaux, comme celui du gaz et le danger de son transport avec des conduites en plomb252 ; ou la recherche des fuites avec une flamme nue. Seulement, si c'était là un nouveau risque, d'autres perduraient : l'imprudence, l'inattention, le stockage des matières sans précautions, les vices de construction, le mauvais entretien des cheminées et conduits, ou le garni. Peut-être même faut-il voir dans cette permanence l'effet ou le contre-effet du développement de l'assurance incendie. Quant à la matérialisation concrète de la transition des dangers, c'est par une énumération qu'elle se lit le plus visiblement.
A côté de la persistance vérifiée de menaces, le plan humain prend une dimension jusque là sous-entendue au travers de la misère, la ruine et parfois les décès entraînés par un sinistre. Sous ce dernier point se notent, d'ailleurs, plusieurs effets dont deux émergent plus distinctement. L'un est lié à la fois à la mode telle qu'elle se définit sous la manière de vivre ou s'habiller et à la relation du fait divers dans la presse quotidienne, l'autre à une distraction, les spectacles. La mode vestimentaire voulait en effet, au tournant des années 1850 et sur les décennies suivantes, que la classe féminine, souvent en fonction d'une certaine position sociale, se pare de robes à crinoline. Le port de cette toilette, élégante et large, n'était pas sans danger. Fréquemment, les journaux relataient, dans leurs chroniques, la survenue d'accidents par l'inflammation de la matière textile portée. Le produit n'était, heureusement, pas nécessairement tragique même si des décès étaient à déplorer253. Certes, c'est une conséquence qui s'écarte du risque incendie en tant que tel. Néanmoins, elle caractérise nettement l'usage sans précautions de la flamme qui demeurait une menace d'incidents, d'accidents et d'embrasements. Le second acte est plus tragique et fonde le rapport étroit entre la concentration de populations et les dangers, essentiellement dans un lieu qui, au fil des ans, s'est révélé comme potentiellement très périlleux : la salle de spectacle. Nombreux ont été les incendies de théâtres et les disparitions d'individus ; une origine qui a créé toute une série de dispositions qui aujourd'hui régissent les établissements et les bâtiments qui reçoivent du public. S'agissait-il réellement d'un nouveau risque ? Pas à proprement parler. Sous la nuance et au regard du résultat de la diffusion de l'écrit et la relation de détail se masque en fait la continuité d'un péril hérité de périodes plus anciennes.
En revanche, le franchissement et l'arrivée de nouveaux dangers se marquent de manière beaucoup plus flagrante sous le rapport au développement industriel, à la modernité technique, au même titre que la croissance urbaine et économique. Ces éléments ont formé les bouleversements du XIXème siècle. Ils en contiennent en effet la quintessence. Sous le poids de la révolution industrielle, et sans détailler un point déjà de nombreuses fois soulevé, vont se créer de nouveaux modèles économiques et de production. Si les petits métiers et l'artisanat persistaient, au fil des années allaient se créer la manufacture, puis l'usine et la grosse industrie. Ces espaces auront la particularité de concentrer, en un même lieu, d'importants outils productifs, une main-d'oeuvre nombreuse, des produits et des richesses considérables, et de mobiliser d'immenses capitaux ; tout ceci se fondant généralement dans le tissu urbain sans frontières très nettes entre les zones habitées et les zones productives. Les conséquences d'un embrasement pour une entreprise seront alors des plus néfastes malgré l'apparition puis l'utilisation de moyens défensifs contre le feu254, la sensibilisation et la mobilisation des ouvriers face au danger et aux risques pour leur emploi. L'étude des sinistres sur un plan local, celui de l'agglomération lyonnaise, permettra d'ailleurs d'en souligner les effets. Afin de protéger la ville et ses habitants devant l'accroissement des risques, qu'il convient de qualifier d'industriels, s'est donc déterminée toute une série de mesures. La plus significative a composé le classement des établissements selon le degré du danger propre à l'activité qui les occupait. Sous ce plan industriel s'est profilé, parallèlement, celui de la technique, ne serait-ce que par rapport à l'apparition puis l'utilisation de nouvelles forces motrices comme la machine à vapeur ; une invention qui, si elle servit le développement économique, produisait des périls au titre de l'explosion génératrice d'incendie. Plus généralement, en se démarquant de l'économie, les innovations techniques qui transformaient, par exemple, le rapport de l'homme à la flamme nue au travers de l'électricité ne limitèrent pas pour autant les risques, tout au moins jusqu'à ce que le législateur ne se décide à intervenir dans l'établissement de normes nécessaires à la sécurité. Le péril, dans ce qu'il avait de nouveau, pouvait encore se reconnaître à l'échelle des loisirs bien que le terme ait une connotation plus moderne. L'invention du cinéma conduisit, par exemple, à l'institution de prescriptions devant éviter le retour de catastrophes comme celle du Bazar de la Charité, survenue en 1897255.
Ce ne sont là que des exemples pris parmi tant d'autres. Ils permettent de situer la régularité ou le passage d'anciens à de nouveaux risques, de la destruction de zones habitées à l'inflammation d'espaces industriels. Il demeure évident que des faits comme l'imprudence, l'inattention, la négligence, ont continué de provoquer des départs de feu. Ces déclarations sont là des phénomènes connus contre lesquels les édiles, puis le législateur, ont cherché des réponses. Dans le même esprit, l'habitation est demeurée un foyer potentiel comme la persistance, avant la disparition progressive ou l'éloignement en périphérie, des chantiers de bois, des entrepôts de stockage ou des productions dangereuses ; autant sous le registre de l'incendie que sous celui du bien-être et de la qualité de vie. Toutefois, au-delà de faits établis sous les révolutions et les bouleversements technico-industriels, urbains et sociaux du XIXème siècle, peut-être qu'un travail plus approfondi sur le Moyen Age, la ville, les métiers artisanaux et les usages, permettrait d'affiner la mesure du risque et d'en composer plus manifestement la constance, pour des cas précis, à partir de périodes définies ; notamment, sans forcément réduire l'évaluation du péril à la structure architecturale des cités ou l'utilisation de la flamme non protégée. Il est en tout cas explicite que tout ne se réduit pas à une seule évolution et, plutôt que le passage, à l'arrivée de nouveaux risques. C'est l'imbrication des éléments qui donne un début d'explication. Au développement des secteurs économiques, et fonction des sommes engagées, a, enfin, correspondu l'extension d'une garantie particulière face aux dangers : l'assurance incendie. Assurer ces biens deviendra ainsi une pratique courante au fur et à mesure que le siècle s'avancera. C'était, et continue d'être, un moyen de réparer le plus promptement possible la désastreuse réalité d'une destruction par le feu.
La classification des risques d'incendie peut se mettre en relation directe avec une étude des causes de départs de feu et des sources d'incendie.
NIERES Cl. - La reconstruction d'une ville au XVIII ème siècle : Rennes 1720-1760, Paris, Cl. Klincksieck, 1972, 413 p. L'incendie de la ville de Rennes a eu lieu en période hivernale, à un moment où l'approvisionnement y était maximum.
Le Courrier de Lyon du 31/07/1852 publie, à ce propos, un article sur le danger des conduites de transport du gaz, en plomb, placées le long du tablier du pont Morand, notamment au regard des risques de conflagration et fonction des piles de ce pont faites de bois.
Les journaux, par leur vocation à narrer le fait divers, recensaient, généralement, ce type d'accidents que des chercheurs modernes ont par ailleurs analysé. Voir, à ce titre l'ouvrage, de J.Cl. CHESNAIS : Les morts violentes en France depuis 1826, Gap, Presses Universitaires de France, 1976, 346 p.
Apparition, sur la fin du siècle, de systèmes de protection comme les réseaux de sprinklers, ...
CART-TANNEUR Ph. / LESTANG J.C. - Sapeurs-pompiers de France, Paris/Barcelone, B.I.P./Solo,
2ème éd., 1986, 240 p. ; p. 78. Le jour de l'incendie avait lieu une démonstration du cinématographe. Le sinistre se serait déclaré à la suite d'une manoeuvre imprudente de remplissage du réservoir d'éther de la lampe Mazo, instrument crachant une flamme sur un bloc de chaux et produisant alors un rayon intense et d'un blanc très pur nécessaire à la projection.