B. DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, INDUSTRIEL ET URBAIN DE LA VILLE

1. LES MUTATIONS URBAINES DU XIXème SIÈCLE

La description ou, plus exactement, la présentation géographique de la cité, abordée précédemment, donnait une image de la ville relativement négative ou, tout au moins, comme nécessitant de profondes restructurations à l'instar de progrès urbanistiques, s'en encore parler de politique d'aménagement de l'espace, que subiront d'autres villes sur le territoire national. A l'échelle de la ville de Lyon, la partie centrale de la cité posa de très sérieux problèmes que le XIXème siècle, sous la poussée démographique, mettra cruellement en lumière. Cette partie de l'espace nécessitait une large restauration doublée d'une restructuration, notamment dans un but de salubrité et d'amélioration des conditions de vie316. Par l'ouverture de larges voies centrales, tracées du nord au sud, le but avoué était de fournir, au milieu d'un labyrinthe de rues étroites, de l'air, de l'espace, de la lumière et de la salubrité tout en y développant les échanges. Car, la simple édification de monuments ne pouvait constituer, à elle seule, la fonctionnalité de la ville ; surtout de l'importance de l'agglomération lyonnaise et en fonction de son poids économique. L'embellissement d'une ville passait, en fait, autant par l'établissement d'un plan et d'une armature urbaine qui soient aérés que par la mise à disposition de logements agréables à vivre ou l'organisation intelligente de services municipaux et publics ; des concepts somme toute précaires et finalement empreints d'un certain modernisme que les pouvoirs de l'époque ne pouvaient concrètement établir.

Le véritable point de départ de la transformation de la cité se situe sur le XVIIIème siècle. Les autorités de l'époque semblaient déjà avoir pris conscience de l'impossibilité notoire de concourir à l'accroissement de la ville dans sa partie presqu'île, coincée à la confluence du Rhône et de la Saône, sans une importante opération d'aménagement ; une action à laquelle PERRACHE donna ses lettres de noblesses au voisinage des années 1770317. Seulement, c'est par-delà le Rhône, le regard tourné vers l'Est, que s'opérera le bouleversement le plus significatif pour la ville, principalement sous l'initiative de MORAND et de son projet de développement, voire de désenclavement et d'ouverture par des travaux qui seront entrepris sur la rive gauche du Rhône. Cette opération a, néanmoins, tardé à porter ses fruits et à répondre aux attentes fondées sur son entreprise318. Parmi les transformations qui ont affecté la cité figurent aussi celles liées au siège de 1793 et à la répression qui s'ensuivit. A cette date, la ville de Lyon eut à souffrir, dans un premier temps, du siège en lui-même, mais aussi des destructions infligées par les bombardements et les incendies qui en découlèrent, puis par l'abattage des maisons ayant pu abriter des foyers insurrectionnels et leurs partisans. Les deux "opérations d'urbanisme" précitées, si elles peuvent être qualifiées de la sorte, ainsi que l'épisode séditieux de 1793, ont été l'introduction aux premières modifications dans l'armature et la trame urbaine appropriées à la cité lyonnaise. Ces éléments ont servi, à plus d'un titre, et sans doute inconsciemment à l'origine, la défense contre le feu et la sauvegarde des quartiers face à des périls importants. Sous le Consulat et l'Empire, différents travaux furent entrepris avec plus ou moins de réussite ; avec également des degrés plus ou moins imposants dans la modification architecturale ou conceptuelle de la cité. Ce sont surtout l'apparition et la création des services publics contributifs à l'amélioration du bien-être et de l'hygiène des populations qui contribuèrent, sous une certaine forme, à l'embellissement de la ville319.

Plus le siècle s'est avancé et plus les travaux sont devenus des réalisations fondamentales dans la transformation, certes progressive, de la cité promue agglomération. C'est sous l'instigation du préfet PONCET, un peu avant l'annexion des communes suburbaines et dès 1848, que se sont opérés les premiers renversements spatiaux, notamment avec plusieurs percées qui entamèrent le centre-ville et les vieux quartiers de la presqu'île en régénérant le tissu urbain ; tout ceci, en cherchant, par ailleurs, à diriger, par des voies nouvelles, l'urbanisme au-delà de la zone d'agglomération établie320. Le projet de la Rue Impériale, qui a vu sa réalisation s'opérer sous l'administration du préfet VAÏSSE, affichait le même type d'ambition : renverser, sous son édification, des quartiers anciens composés de rues étroites et tortueuses, bordées de maisons hautes, sombres et malsaines, tout en cherchant à développer la circulation et l'échange : deux notions primordiales pour la ville lyonnaise et son économie. Ce projet allait faire entrer l'agglomération dans une voie de régénérescence, d'embellissement et d'aménagement, dès le début des années 1860. Incontestablement, et à la lumière des analyses historiques produites et connues, d'autres buts, plus ou moins avoués, se trouvaient dissimulés à l'ombre de ces volontés hygiénistes ou progressistes. Le plan des travaux était un moyen, par l'intermédiaire de l'exécuteur politique qu'était le préfet à cette époque, de faire oublier les rudesses de la dictature, de l'Empire321. Plus singulièrement, et dans une ville comme Lyon où, en 1848, s'étaient encore exprimées des tendances révolutionnaires, la percée et le tracé d'une rue rectiligne donnaient la possibilité d'une répression plus aisée dans le cas d'éventuelles émeutes, un risque craint à Lyon. Ce risque avait d'ailleurs été pris en compte lors de l'arrêté de constitution de l'agglomération par la confirmation et la remise des pouvoirs dans les mains du préfet. La question demeure soulevée en ce qui concerne d'autres risques et particulièrement celui d'incendie. Le désir manifeste ou non d'inclure dans la perspective de ces travaux la gestion de la menace posée par le feu et d'aboutir à son éradication ne peut se départir de l'analyse et de la conception de ces plans et projets. D'ailleurs, des chercheurs, ayant menés des études sur les risques, n'hésitent pas à voir dans les opérations d'urbanisme qui ont été conduites telle celle de "l'haussmannisation" une autre lecture que la simple idée d'asseoir le contrôle de la population, des événements et un souci d'échange et d'amélioration des conditions de vie des citadins322.

Les deux principaux acteurs des remaniements et des restructurations qu'a subi la ville de Lyon ont été des hommes ayant eu une forte implication, en toute logique, dans le développement de l'agglomération : le préfet VAÏSSE et le maire GAILLETON. Le préfet était en fait un émule de HAUSSMANN. C'est lui qui entreprit, sous l'approbation de l'Empereur NAPOLÉON III, la complète transformation du centre de la ville. Cette métamorphose n'est d'ailleurs pas allée sans poser des problèmes du point de vue de la sécurité des habitants, particulièrement parce qu'elle écartait une des composantes sociales du bataillon des sapeurs-pompiers vers la périphérie et affaiblissait donc les effectifs des compagnies d'arrondissements du centre-ville323 ; une première amorce qui deviendra significativement interprétable avec les opérations engagées sous le mandat GAILLETON, principalement au tournant des années 1885. Sous l'administration préfectorale VAÏSSE, s'est érigé un plan de grands travaux destinés à améliorer la circulation, à aérer le tissu urbain et à assainir des quartiers réputés sombres et insalubres324 ; une motivation, en apparence sociale, qui masquait en réalité un but politique aujourd'hui maintes fois évoqué sur la possibilité du contrôle des mouvements populaires et la conduite répressive. Cependant, il n'en demeure pas moins que la physionomie de la cité lyonnaise, entre 1853 et 1860, fut, en grande partie, bouleversée. Outre le percement des rues du centre ville, l'achèvement des quais, une magnifique réalisation fut concrétisée : le parc de la Tête d'Or325.

La guerre de 1870 freina, dans le temps, l'essor et les progrès avant qu'une nouvelle impulsion ne leur soit donnée et la marche en avant à nouveau réactivée. L'opération conduite sous l'exercice du premier magistrat municipal GAILLETON se différenciait de celle entreprise par le préfet VAÏSSE, ne serait-ce que parce que les temps politiques n'étaient plus aux mêmes orientations. Dans son projet de 1885, le maire décrivait sa motivation et celle de son conseil en invoquant le désir d'ouvrir les rues et d'apporter dans les logements et les constructions toutes les améliorations et tous les bienfaits que réclamaient les lois de l'hygiène et le respect des principes sociaux326. Sous cette volonté se profilait également le souhait de nettoyer, définitivement, une grande partie du centre de la ville des populations miséreuses qui en constituaient la base. L'oeuvre la plus significative de cette période a, sans nul doute, été l'éventration du quartier Grôlée. La rénovation entreprise aboutissait à une modification complète de la structure sociale de cet espace ; notamment par le rejet des ouvriers et des petits artisans au-delà du Rhône. Ce ne sera pas le seul quartier à connaître des aménagements bénéfiques : Saint-Paul, Saint-Vincent en profitèrent pareillement. De façon plus générale et au titre de la surface totale de la ville, des efforts d'équipements furent menés à bien ; principalement en ce qui concerne l'alimentation en eau et l'évacuation des eaux usées327. Dans la partie Est de l'agglomération -la rive gauche du Rhône-, un nouvel élan fut spécialement imprimé avec des décisions d'implantations : celles de la préfecture ou des facultés auxquelles s'ajoutait la poussée démographique ; si bien qu'allaient s'imposer le comblement des fossés, la destruction des forts, par ailleurs devenus inutiles à jouer leur rôle, de manière à assurer l'essor et l'extension toujours plus forts vers l'Est. Si, ensuite, l'expansion dans cette direction se trouva un temps bloquée par la ceinture militaire, vite franchie, elle ne tarda pas de l'être par la barrière ferroviaire328. Identiquement à la précédente période, sous cet exercice administratif s'est également fondée une réalisation particulière et chère au coeur des lyonnais : Fourvière329.

Le XIXème siècle a été un siècle qui a généré un profond bouleversement de la physionomie urbaine de la ville de Lyon, mais aussi des communes qui formaient son agglomération. Sous l'impulsion de travaux entrepris un siècle auparavant, la cité franchira le Rhône, domptera celui-ci dans ses écarts, pour étendre, à la veille du XXème siècle, loin vers l'est, son implantation. Pourtant, derrière ces apparences de progrès sensibles subsistaient des aspects encore réducteurs. A la veille de 1900, la cité lyonnaise offrait finalement des situations de logement sommaires. L'hygiène citadine y était précaire et les conditions de circulation moyennes ; ce qui n'enlevait rien à d'autres perfectionnements, aux embellissements introduits ou aux biens d'équipements développés, la structure scolaire sous le mandat GAILLETON, par exemple. Rien que dans l'armature et le tissu, des particularités se lisaient entre un 3ème et un 6ème arrondissements, donnant la vision d'une croissance à l'américaine et une rénovation sans un véritable et profond remodelage des parcelles du centre de la cité330. Quoi qu'il en soit, les modifications, et c'est bien là l'un de leurs buts, n'ont pas transformé la cité que sur le seul plan urbanistique. Elles l'ont aussi bouleversée sous le point de vue des fonctions. Par exemple, pour le centre-ville et sur la dernière décennie du XIXème siècle, la spécialisation de l'espace fonctionnel s'est accentué par l'accumulation, au demeurant sélective, d'activités tertiaires et l'élimination des strates ou des couches de populations les plus pauvres331. Sous l'angle de la lutte contre le feu, fléau, calamité ou risque urbain, il est indéniable que l'aménagement urbanistique comme l'aération des tissus urbains ont contribué, non pas à diminuer la fréquence des départs de feu, car c'est un autre problème, mais bien à en limiter les écarts ou la propagation. Lorsqu'un départ de feu était signalé, à Lyon ou en d'autres espaces, il y avait de fortes chances que, par concomitance d'une alerte tardive et d'une organisation des secours plus ou moins efficace, les dégâts ou la communication de l'embrasement soient catastrophiques ; ce à quoi des rues larges apporteront, par exemple, un élément de réponse. Au titre des aménagements se mentionnent les progrès en réseau, pour celui intéressant directement la menace, l'amélioration de la disponibilité de l'eau ainsi que les voies de circulation, dans le cadre de la facilité du déplacement des agrès de secours. Pour résumer, ces notions ont directement intéressé la diminution des dangers de propagation, la rapidité d'intervention et la disposition de l'élément indispensable à toute attaque du feu : l'eau. Ces évolutions ont permis, progressivement, et pour partie, la maîtrise du risque à un moment où celui-ci se déplaçait graduellement. Si sa présence se manifestait toujours au sein du tissu urbain, il prenait une nouvelle dimension avec le développement de récentes branches économiques, surtout dans l'agglomération lyonnaise.

Notes
316.

Ibidem 237.

317.

PELLETIER A. (sous la direction de) - Grande encyclopédie de Lyon et des communes du Rhône, Roanne, Horvath, 1981, 577 p. ; pp. 116 et suiv.

318.

BAYARD F. / CAYEZ P. (sous la direction de) - Histoire de Lyon (tome 2) – Du XVI ème siècle à nos jours,
Le Coteau, Horvath, 1990, 480 p. ; pp. 263 et suiv.

319.

GIRAUD J.M. - Gaz et électricité à Lyon, 1820-1946 : des origines à la nationalisation, Lyon, Université Lumière Lyon 2, Thèse d'Histoire, 1992, 2 vol. (1160 p.).

320.

BOURILLON Fl. - Les villes en France au XIX ème siècle, Gap, Ophrys, 1992, 197 p. ; pp. 123-127.

321.

BOURILLON Fl. - Les villes en France au XIX ème siècle, Gap, Ophrys, 1992, 197 p. ; pp. 123-127.

322.

DUBOIS-MAURY J. - La vulnérabilité de la ville à l'incendie, Annales de la Recherche Urbaine, 1988,
n° 40, pp. 65-72.

323.

Il sera revenu sur ce point postérieurement, notamment dans la partie de ce travail qui s'intéressera au personnel du corps de sapeurs-pompiers de la ville de Lyon.

324.

PELLETIER A. (sous la direction de) - Grande encyclopédie de Lyon et des communes du Rhône, Roanne, Horvath, 1981, 577 p. ; pp. 116 et suiv.

325.

BAYARD F. / CAYEZ P. (sous la direction de) - Histoire de Lyon (tome 2) – Du XVI ème siècle à nos jours,
Le Coteau, Horvath, 1990, 480 p. ; pp. 245 et suiv. L'espace devant constituer le parc de la Tête d'Or est aménagé à partir de 1856.

326.

PELLETIER A. (sous la direction de) - Grande encyclopédie de Lyon et des communes du Rhône, Roanne, Horvath, 1981, 577 p. ; pp. 116 et suiv.

327.

Ibidem 248.

328.

Ibidem 248.

329.

Ibidem 248.

330.

BAYARD F. / CAYEZ P. (sous la direction de) - Histoire de Lyon (tome 2) – Du XVI ème siècle à nos jours,
Le Coteau, Horvath, 1990, 480 p. ; pp. 321 et suiv.

331.

PELLETIER A. (sous la direction de) - Grande encyclopédie de Lyon et des communes du Rhône, Roanne, Horvath, 1981, 577 p. ; pp. 116 et suiv.