B. LES RÉPONSES DE L'URBANISME CONTEMPORAIN

1. DE L'IMPORTANCE ET DE L'USAGE DE MATÉRIAUX ADAPTÉS

Le risque incendie, les déclarations de feux et leurs effets ont, pour partie, pris, au fil de la situation et de l'évaluation, leur dimension. De manière à en limiter les conséquences, les progrès qui ont été réalisés ont nécessairement touché de nombreux domaines. Naturellement, celui des constructions revêtait une option stratégique. L'usage des matériaux, l'organisation du bâtiment, la destination de la construction influent effectivement, en droite ligne, sur la portée d'un départ de feu. A l'échelle de ces éléments se mesurent donc la gravité de l'embrasement, les propriétés de propagation des flammes et le montant des dégâts.

Il n'a pas été nécessaire d'attendre les derniers perfectionnements de la science et la réalisation d'innovations techniques et architecturales pour que les constatations s'imposent441 même si les temps moyenâgeux sont demeurés fidèles aux descriptions déjà abordées en matière de défense contre le feu, c'est-à-dire un état qui s'est défini comme un retour en arrière, plus ou moins prononcé, jusque, au moins, vers le XVème siècle ; et ceci, malgré quelques particularités, à l'image des villes fortifiées dont la contribution de l'usage de la pierre, sous l'angle de la préservation des biens face aux menaces d'incendie, était fixée. L'histoire du Moyen Age détient même quelques exemples manifestes de destructions massives d'édifices, de quartiers ou de villes, par le feu. En effet, les modalités de constructions ne respectaient pas de simples pratiques comme la distance entre les bâtiments ou le profil des matériaux utilisés. L'embrasement de la cité rennaise, en 1720, demeure parmi ces modèles jusque dans l'introduction et l'usage de nouveaux matériaux lors de la reconstruction et de manière à éviter le retour de pareilles catastrophes442. Dans le même ordre d'idée, mais de façon beaucoup plus contemporaine, l'incendie de la ville de Chicago, en 1871, prendra un caractère tout aussi significatif : celui d'une trame et d'une armature urbaines qui étaient inadaptées aux risques, pourtant connus et reconnus, et des dangers d'un usage massif et quasi-exclusif du bois ainsi que l'absence de réseaux.

Les auteurs de La ville en feu se sont appliqués, dans leur ouvrage, à démontrer que réduire les incendies et leurs effets était clairement la réponse à une volonté politique, soit une conduite qui a été à l'origine de l'emploi de nouveaux matériaux443 ; pas seulement au regard des enjeux économiques sous l'angle productif mais, parallèlement, sous une pression persistante : celle des assureurs et de l'opinion publique. La manière de construire et la nature des matériaux ont incontestablement contribué à la prévention des sinistres ou à en limiter leur étendue ; ce qu'avaient très tôt et très bien compris les autorités, sans forcément se donner les moyens, et tous les auteurs qui ont travaillé de près ou de loin sur le sujet. Parmi ces auteurs, Thomas RIBOUT souhaitait partout voir se substituer la pierre, la brique et le plâtre au bois et le remplacement des boiseries d'appartement par des panneaux en plâtre, des stucs, de la terre cuite444 ; les parquets en menuiserie par des carrelages soignés ; les cloisons en planches par des galandages en briques445. En fait, il préconisait, ni plus ni moins, l'emploi de matériaux, soit réfractaires, soit ayant des propriétés d'incombustibilité, dont plusieurs exprimèrent, néanmoins, leurs limites, sous certaines conditions, par exemple de résistance à la flamme446. A la suite de RIBOUT et en dehors des ouvrages qui traitaient du feu, de la prévention, des systèmes de défense ou de secours, d'autres auteurs avaient expressément ciblé leurs études ou leurs analyses sur les moyens de prévenir et limiter les embrasements dans les constructions, notamment par l'adaptation des édifices aux risques, par l'usage de nouveaux matériaux et par l'application de mesures techniques annonciatrices des dangers ou capables de stopper un incendie naissant. L'intérêt était spécialement porté au titre de la préservation de l'outil de production, l'atelier, la manufacture puis l'usine, objets de préoccupation et facteurs économiques qui demeuraient capitaux447. Il s'agissait en effet d'espaces dont la préservation était un gage de bénéfices.

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Document n° 7 : L'accident tragique du Quai de l'Archevêché – 1903

L'incendie est un danger et un risque complexes dont il n'a pas toujours été facile d'appréhender les mécanismes. Il garde d'ailleurs, aujourd'hui, un fort caractère d'imprévisibilité malgré toutes les précautions prises. Il s'avère en fait que l'emploi et l'usage de nouveaux matériaux dans l'édification des bâtiments se sont faits avec timidité, malgré l'impulsion qui avait été donnée à plusieurs types de construction et de matériaux par les différentes expositions universelles organisées, notamment depuis celle de Londres ayant eu lieu en 1851 et l'édification du Crystal Palace ; ce qui explique, dans une certaine mesure, l'importance de plusieurs sinistres, la persistance des modes de propagation ou de l'étendue des dégâts jusque sur le milieu du XIXème siècle, voire la fin du siècle, et l'usage qui sera encore parfois fait d'une technique singulière de défense : la part du feu448. Ce résultat demeurait issu d'une conjugaison de progrès techniques insuffisants, de mise à disposition de l'eau avec difficulté et de méthodes d'intervention qui n'évoluaient que lentement. Parmi les matériaux les plus propices à garantir la structure des bâtiments figurait, en premier lieu, la pierre. Celle de Villebois était propre à l'architecture lyonnaise. Pourtant, si elle préservait l'édifice, elle n'était pas sans danger. Dans le cas de cette roche, excellente par ailleurs, c'était sa nature calcaire qui fondait des craintes dans le cas d'un incendie. Par suite de la chaleur produite, accumulée par le matériau, et un brusque refroidissement de celui-ci, une dilatation pouvait dès lors se produire, phase qui, dans certain cas, conduisait en fait à la rupture de la pierre ; ce qui se produira malheureusement plusieurs fois dans l'agglomération lyonnaise avec, parfois, des conséquences tragiques, y compris dans le rang des soldats du feu449. En association à la pierre continuait de s'utiliser le bois dont la disparition dans l'armature des édifices est en fait relativement récente comme cela est démontré dans La ville en feu 450. Il est à noter que cet élément, lorsqu'il est employé en très grosse section, présente, à l'inverse de ce qui est supposé au titre d'aliments des flammes, une résistance efficace au feu en raison d'une mauvaise conductibilité451. Seulement, une fois le feu déclenché dans un édifice construit en bois452, surtout au regard de délais d'intervention relativement longs et de l'organisation tardive des réseaux comme la distribution d'eau, la propagation des flammes se faisait généralement importante et destructrice, jusqu'à un point extrême que caractérise l'embrasement de la ville de Chicago, cité édifiée, à l'origine, sous la pression démographique et l'emploi massif du bois453. Les exemples ne manquent pas non plus, à une échelle plus restreinte, pour la cité lyonnaise sur la période 1852-1913454.

Si le plâtre faisait partie des matériaux anciens dont l'aspect bénéfique comme frein au développement du feu fut très tôt reconnu455, c'est à l'emploi des matériaux en terre cuite puis à l'utilisation du fer, du béton armé ou du verre trempé que doit s'attribuer le qualificatif d'un nouvel usage. En fait, il convient plus de parler, pour les matériaux en terre cuite, d'un usage devenu extensif, différent ou d'améliorations plutôt que de nouveauté, comme pour le fer d'ailleurs. Parmi les matériaux cuits, la brique, comme tous les matériaux à base d'argile ou de terre qui ont subi une cuisson, offrait à la chaleur une résistance d'autant plus grande qu'elle était cuite à haute température456. L'hypothèse qui est faite du développement de l'art de la briqueterie et du tuilier s'appuie donc sur le concours à la lutte contre les destructions par le feu457. Non seulement la bâtisse en brique était saine mais, dès lors, sûre contre la flamme et de longue durée. Cette industrie du matériau, par son extension, aurait alors induit une baisse des prix et donc un emploi de plus en plus courant de ces matériaux, et, par correspondance, une diminution, si ce n'était du nombre de sinistres, au moins de leur étendue. Il s'agit d'une croissance à laquelle il faut, en plus, associer la stimulation du marché sous l'influence, notamment, des compagnies d'assurance soucieuses de réaliser des profits458. Le fer était, quant à lui, déjà employé avant même le développement de l'architecture métallique, spécialement dans la construction à la vis, comme ancre ou tirant, voire dans la consolidation des murs qui étaient chargés par de gros planchers459. L'emploi, à grande échelle, de ce matériau l'a d'abord été dans les constructions réservées aux ingénieurs. Néanmoins, il semblerait que ce soit justement à la crainte des incendies qu'il faille attribuer son rôle grandissant et commun dans l'édification. La réponse à l'exigence de sécurité aurait ainsi conduit progressivement à l'abandon des constructions en bois, d'abord dans les structures productives, manufactures ou usines, au profit d'éléments en fonte pour les points d'appuis, puis, progressivement, en fer sur toute l'armature, avec cependant un point qui a longtemps été négatif : le rôle du feu sur l'élément. Ce dernier se dilate en effet sous l'action de la chaleur et se rétracte sous l'effet de l'eau. Il perd alors sa force de cohésion et compromet donc les conditions d'équilibre de la structure et de l'édifice ; ce que notait déjà ALDINI sur le premier tiers du XIXème siècle dans son Art de se préserver de la flamme 460, relayé, ensuite, par d'autres auteurs, des bâtisseurs, et jusque dans la presse461. D'autre part, avec le XIXème siècle est apparu le béton, puis le béton armé qui associait le mélange, d'une grande résistance à la compression, au fer et qui augmentait dès lors considérablement la solidité de l'ouvrage. L'expérience méthodique sur la propriété des éléments ne s'est toutefois pas arrêtée à ces quelques matériaux. Le verre ou la couverture des constructions ont aussi fait l'objet de recherches. Parmi les propriétés mécaniques de la flamme figurait, en effet, la propagation du feu par le phénomène de convection, phase qui dépend de plusieurs paramètres, y compris la qualité du verre. Des fenêtres qui se brisent sous l'effet d'une élévation de température créent un appel d'air propice à alimenter le brasier, à favoriser son développement et son cheminement. L'intérêt porté aux observations qui cherchaient la qualité du matériau a donc été capital462.

Il est injustifié de considérer plusieurs des matériaux cités, les matériaux nobles notamment, le plâtre ou la brique, comme seuls issus d'un souci d'hygiène des populations et d'une orchestration sous l'égide des autorités. Ces matériaux ont bien eu une part plus grande et foncièrement contributive dans la lutte, la prévention ou la limitation de la propagation des sinistres. A ce titre, leurs propriétés, essentiellement sous la définition de résistance au feu, ont été prédominantes463. C'est d'ailleurs le plus souvent sous l'influence de celles-ci que vont apparaître de nouveaux modes, de nouvelles façons de procéder dans la construction des structures d'édifices et dans l'aménagement des espaces. Deux principaux paramètres ont en fait fondé la réflexion : d'une part, faciliter le mouvement des populations éventuellement prises au piège, et, d'autre part, préserver les biens et les richesses le temps, par exemple, d'un sauvetage.

Notes
441.

Les romains, qui avaient une préoccupation première face aux dangers du feu -c'est maintenant établi-, s'étaient appliqués à édifier leurs cités en respectant plusieurs principes d'urbanisme bien que le terme, dans sa définition moderne, ne se prête pas nécessairement à cette période historique (HOMO L. - Rome impériale et l'urbanisme dans l'Antiquité, Paris, Albin Michel, 1971, 669 p. ; pp. 533 et suiv.). Lorsque survient l'incendie de Rome, en 64, la réglementation des constructions dans le but de limiter des effets du feu et son application était devenue quelque peu laxiste expliquant l'attention sécuritaire avec laquelle les quartiers dévastés allaient être reconstruits.

442.

NIERES Cl. - La reconstruction d'une ville au XVIII ème siècle : Rennes, 1720-1760, Paris, Cl. Klincksieck, 1972, 413 p.

443.

FRIES F. / YERASIMOS S. - La ville en feu, Paris, Laboratoire Théorie des Mutations Urbaines, Cahiers
n°s 6-7, 1993, 172 p.

444.

RIBOUT Th. - Corps législatif - Commission du conseil des Cinq Cents - Vue et projets de résolutions présentés par Thomas Ribout sur les moyens de rendre les incendies plus rares et moins funestes, Paris, Imprimerie Nationale, 1799, 134 p. ; pp. 6 et suiv.

445.

Ibidem 57.

446.

ALDINI J. - Art de se préserver de la flamme, Paris, Huzard, 1830, 170 p. ; pp. 88 et suiv.

447.

BALAY J. - De la protection et de la lutte contre le feu par une meilleure construction et une défense raisonnée des bâtiments d'après les derniers perfectionnements de la science moderne, Lyon, Rey et Cie, 1907, 31 p. ; MEUNIER E.M. - Traité des causes des sinistres dans les usines - Guide pratique du manufacturier pour l'emploi des moyens préventifs des incendies dans les établissements industriels, Lille, Lefort, 1864, VIII-294 p.

448.

AML, 1270 WP 024 – Sapeurs-pompiers : Incendies : - Rapports ; 1852-1879. Dans un rapport dressé le 23/10/1856, une description est faite d'une intervention et de l'attaque d'un foyer dont l'unique moyen de procéder à sa maîtrise fut de pratiquer la part du feu.

449.

Voir le document n° 7 : L'accident tragique du Quai de l'Archevêché - 1903. Le Progrès Illustré du 13/12/1903. Lors d'un incendie déclaré au 25 Quai de l'Archevêché, le 03/12/1903, et alors que tous dangers paraissaient écartés, une pierre palière, surchauffée par l'incendie, se rompait et entraînait avec elle 2 hommes qui s'attachaient à noyer les décombres au 4ème étage. Si l'un d'eux parvint à se rattraper dans sa chute, ce ne fut pas le cas du soldat du feu Claude BOYER, tué sur le coup.

450.

FRIES F. / YERASIMOS S. - La ville en feu, Paris, Laboratoire Théorie des Mutations Urbaines, Cahiers
n°s 6-7, 1993, 172 p. ; pp.17 et suiv.

451.

BELTRAMELLI R. - Traité de prévention, Paris, France-Sélection, 1974, 1478 p. ; pp. I.41 et suiv.

452.

Surtout utilisant le bois pour les planchers, les cloisons.

453.

DUBOIS-MAURY J. - La vulnérabilité de la ville à l'incendie, Annales de la recherche urbaine, 1988, n° 40, pp. 65-72.

454.

Le Courrier de Lyon du 26/06/1872 revient sur un immense incendie qui eut lieu dans la nuit du 24 au 25/06. Ce brasier détruisit 9 corps de bâtiments pour lesquels il était dit que les pauvres furent les plus mal traités, leurs baraques de bois ayant flambé comme des fétus de paille tandis que les locataires des maisons construites en pierre pouvaient sauver leurs biens. Le Progrès du 16/07/1904 insiste sur le montant des dégâts d'un embrasement survenu quelques jours plus tôt dans un immeuble ancien à l'ossature en bois.

455.

Le plâtre offre une résistance thermique du fait de l'important pourcentage d'eau qui le compose.

456.

BELTRAMELLI R. - Traité de prévention, Paris, France-Sélection, 1974, 1478 p. ; pp. I.41 et suiv.

457.

FRIES F. / YERASIMOS S. - La ville en feu, Paris, Laboratoire Théorie des Mutations Urbaines, Cahiers
n°s 6-7, 1993, 172 p. ; pp. 17 et suiv.

458.

Ibidem 70.

459.

Ibidem 70.

460.

ALDINI J. - Art de se préserver de la flamme, Paris, Huzard, 1830, 170 p. ; pp. 88 et suiv.

461.

Le Courrier de Lyon dans son édition du 15/12/1864 publie un article sur les effets du feu sur les structures métalliques au titre de la cohésion de l'édifice.

462.

Le Courrier de Lyon du 01/10/1874 revient sur une expérience faite à propos du verre trempé qui offrait de grandes qualités et qui résistait à la chaleur.

463.

BARTHELEMY B. / KRUPPA J. - Résistance au feu des structures béton-acier-bois, Paris, Eyrolles, 1978,
277 p.