Légiférer de manière à établir des normes ou des règles de prévention a défini une première réponse dans la défense des biens contre une destruction par le feu. User de matériaux ou de techniques d'édifications propres à éviter la propagation des flammes a été une seconde réponse. Créer des unités de secours capables d'intervenir efficacement et rapidement sur les lieux d'un incendie déterminera une troisième réponse. Ces caractères, par leur fonctionnement en concomitance, de plus en plus flagrant, ont contribué à la diminution, au moins, des effets du feu. Seulement, cette atténuation portait également le résultat d'un critère jusque là sous-entendu et qui s'interprète en fait sur les progrès et les innovations techniques réalisés sur le XIXème siècle. Défendre un bien contre une déprédation par le feu était, de ce fait et également, le jeu d'intérêts particuliers, collectifs et industriels, pris sous un angle privé.
Un industriel désireux de protéger son bien économique avait plusieurs possibilités dont une orientation obligataire, si l'activité qui l'occupait comportait un risque, mais qui ne le protégeait nullement en des termes propres480 ; des devoirs envers sa richesse et son outil de production mais qui l'obligeaient à l'initiative, soit volontaire, soit forcée. La seconde idée exploite le rôle moteur qu'a pu jouer l'assurance incendie dans le développement de plusieurs critères de sécurité. La première attention, la plus intéressante peut-être, revêt la mise en sécurité sous son propre chef. C'est dans cette perspective, essentielle, qu'entrent en ligne de compte les progrès techniques réalisés sur le siècle. Ces innovations, bien que la mesure en soit difficile, participeront de façon manifeste à l'atténuation du nombre des départs de feu qui, somme toute, est toujours demeuré sous-représenté au regard d'un non-recensement des embrasements éteints sans l'intervention des hommes du feu. Dans la garantie de son patrimoine, un manufacturier pouvait, d'abord, choisir de s'équiper d'agrès d'extinction classiques comme des pompes à bras. A cet équipement, il lui était possible de former, en parallèle, des membres de son entreprise à leur manoeuvre. C'était là un moyen rapide d'intervention sur le lieu puisqu'il s'agissait d'un dépôt dans la société en elle-même. Si les personnes formées montraient des traits de courage identiques aux sapeurs-pompiers, les difficultés résidaient dans la disposition de l'eau et la faiblesse du débit des pompes à bras face à un brasier industriel. Ce fut, en tout cas, une première approche sous l'angle de la sécurité incendie qui fut prise par des fabricants lyonnais481. Les mesures les plus intéressantes demeureront surtout celles qui ont été le fruit de la révolution industrielle et de la réflexion scientifique et technique : réseaux de sprinklers, extincteurs automatiques, aspirateurs de poussières, révélateurs d'incendie auxquels s'ajoutaient des appareils plus compacts.
L'apparition des sprinklers a constitué un progrès significatif. C'était là un appareil d'extinction automatique d'un départ de feu, toujours prêt482. Il en existait plusieurs types mais tous fonctionnaient selon un principe identique : la disposition, en partie haute des pièces, d'un réseau de tuyaux d'eau alimentés sur lesquels étaient vissés, à distances égales, de petits dispositifs, appelés sprinklers483. Ce mécanisme, tête en jargon technique, était obturé par un ensemble de petites pièces inoxydables, réunies à température normale par une soudure en métal fusible. Calculée pour fondre à une température donnée, prémonitoire d'une déclaration de feu, la soudure se détériorait et libérait un jet violent. Ce jet projeté sur un petit disque, qui formait une pièce du sprinkler, inondait alors une surface donnée, un espace bien déterminé puisque seuls les appareils qui étaient soumis à un échauffement se déclenchaient484. C'était là un procédé qui demandait néanmoins un bénéfice : celui de disposer facilement d'une alimentation en eau, un approvisionnement fondé, soit sur le réseau urbain d'une cité lorsqu'il existait, soit sur des réservoirs extérieurs.
L'invention de ce moyen efficace de défense contre le feu remonte au milieu des années 1870, en Amérique, et en étroite liaison, notamment, avec la protection des industries du coton. Toutefois, sa version définitive, sous l'usage d'un déflecteur qui projette l'eau dans plusieurs directions, a été mise au point légèrement plus tard, en 1881, par GRINNELL485. Ce fut là un incontestable mode de prévention à l'extension d'un embrasement et à une limitation des dégâts, principalement au regard des premières minutes d'un feu naissant où la tournure de l'événement se détermine. Dans le cas présent, l'intervention était très prompte et sans le concours de l'être humain. Ce sont malheureusement des systèmes d'extinction qui, s'il était bon de les voir fonctionner en des lieux économiquement ou symboliquement forts, allaient avoir du mal à s'implanter, à cette époque, sur le territoire national français pour une raison qui, hors exceptions et il y en aura favorablement, restait une réticence face à des produits de provenance étrangère486 ; ce qui supposait un retard de l'industrie française dans l'initiative et les domaines de sécurité incendie. Cette prudence, protectionniste et économique, a parfois coûté cher à la vue de plusieurs des destructions qui auraient pu avoir des effets limités s'il y avait eu à disposition l'installation d'un réseau de sprinklers. Parmi la lignée des progrès qui se rapportaient à une conception similaire d'une extinction automatique figurent encore les drenchers487. A l'inverse des sprinklers, qui fonctionnaient en intérieur, ce réseau se matérialisait sous la même forme "d'extincteurs" mais extérieurs. Leur utilité se fondait sur la proximité, le rapprochement de bâtiments à risques. Ils permettaient, ainsi, une défense contre l'embrasement par rayonnement ou transport de matières incandescentes lorsqu'un incendie se déclarait entre des bâtiments voisins.
Sprinklers et drenchers conservaient une dépendance manifeste dans l'équipement en réseau d'alimentation en eau. L'approvisionnement ne s'établira que graduellement et lentement malgré des bienfaits, forcément flagrants dans le cadre de la lutte contre le feu. Disposer de l'eau ne suffisait donc pas. Encore fallait-il développer des canalisations aux pressions suffisantes ; ce qui demandait généralement plusieurs perfectionnements dont certains ne vont apparaître que sur le dernier tiers du XIXème siècle. Petit à petit, ces innovations dans la protection des patrimoines se sont diffusées au même titre que les aspirateurs de poussières ou les révélateurs d'incendie. Un environnement de poussières en sustentation peut fonder une explosion et engendrer un incendie488. Afin d'écarter cette menace, la solution technique la plus appropriée était de procéder, dans les lieux qui comportaient de tels risques, à l'installation d'aspirateurs de ces poussières. Les minotiers Joseph et Louis MILLIAT avaient, par exemple, installé de semblables appareils dans leur industrie489. Les révélateurs de départs de feu étaient des mécaniques un peu plus complexes, hors celles qui fonctionnaient au déclenchement d'une vanne de sprinklers. Ils étaient aussi coûteux à l'installation et à l'entretien. Leur action était faite pour signaler automatiquement un incendie par une mesure de l'élévation de la température des locaux où ils étaient installés490. Ils se composaient, tantôt de thermomètres métalliques, tantôt de fils fusibles ou inflammables. Dans la première configuration, une température donnée établissait le contact de deux lames qui, en s'infléchissant l'une vers l'autre, déclenchaient une sonnerie d'alarme491. Dans la seconde situation, c'était la fusion ou l'inflammation des fils et leur rupture qui déclenchaient, là aussi, une sonnerie. Dans la même perspective que les réseaux de sprinklers, ces innovations se sont diffusées plus ou moins rapidement. Quoi qu'il en soit, des industriels lyonnais se sont très tôt équipés comme Mr VARENNE. Ce distillateur, au lendemain d'un sinistre survenu à proximité de ses locaux, fit la démarche d'équipement en avertisseurs d'incendie492. Après plusieurs essais, son choix se fixa sur des thermomètres à mercure qui devaient le garantir, non pas contre la déclaration, mais favoriser une annonciation prompte d'un événement dramatique ; ce qui, se faisant, devait permettre une alerte rapide et une intervention qui devait l'être tout autant.
La sécurité des biens et des personnes a été une partie dans laquelle s'engagèrent très tôt les industriels, notamment sous les deux angles qui étaient la préservation des richesses personnelles et la production d'appareils destinés au marché de la lutte contre le feu. La demande était en effet très forte, principalement au titre de la garantie des biens. Il n'est qu'à relever le nombre d'expériences qui se déroulait dans la présentation de procédés extincteurs à destination du particulier ou du manufacturier pour s'en persuader493, ou bien à noter le développement des sociétés qui distribuaient des matériels de protection sur la fin des années 1800 et dont le volume des catalogues était à l'image des progrès et des inventions494. Ces établissements, au même titre que les autorités, avaient durablement compris l'enjeu de la maîtrise du risque incendie. Les arguments commerciaux étaient donc partout affichés. L'Incombustibilité, établissement commercial parisien, y puisait, dans la persistance et les effets de la menace, d'abondantes incitations. Pour vanter les mérites d'un équipement en extincteurs automatiques, elle insistait, par exemple, sur le caractère permanent et autonome de l'installation495 ; une référence à laquelle s'ajoutait la garantie d'éviter la paralysie de l'entreprise au lendemain d'un incendie, la suppression du chômage et des primes d'assurance moins élevées. Ces avancées techniques ne se destinaient, évidemment, pas aux seuls industriels désireux de protéger leur outil de production. Les établissements et les bâtiments publics ont, eux aussi, bénéficier de ces caractères modernes. La diffusion y a cependant été plus lente et revêtait d'autres paramètres, pour des lieux dans lesquels des concepts propres à l'ignifugation ou l'incombustibilité des matériaux trouvaient une place essentielle. Quant au monde du particulier, il a lui aussi été la cible de l'intérêt et du progrès mais avec des instruments plus compacts : l'extincteur, par exemple. Il restait néanmoins aux individus ou aux manufacturiers qui ne pouvaient bénéficier de ces perfectionnements des méthodes plus rudimentaires, dont quelques-unes ont démontré, jusque tardivement et en certaines occasions, leurs bienfaits. Le Progrès du 10 juillet 1896 revenait, ainsi, sur le rôle qu'avaient eu les gardiens d'un entrepôt dans l'urgence de la diffusion de l'alerte, service sur lequel s'appuyaient les sociétés de commerce de matériel de sauvegarde en avançant, à l'inverse, que la distraction humaine pouvait nuire à une surveillance efficace496 ; ce à quoi la technique palliait ou se proposait de pallier.
Classement des établissements dangereux, insalubres et incommodes.
Le Salut Public du 01/07/1871 donne une description très détaillée du service organisé dans la teinturerie de Mr GILLET, Quai de Serin. Ces immenses ateliers possédaient un service de sauvetage complet au travers de l'usage de 2 pompes, l'emploi d'ouvriers exercés chaque semaine aux interventions contre l'incendie et
13 bouches à eau réparties sur la surface industrielle.
BALAY J. - De la protection et de la lutte contre le feu par une meilleure construction et une défense raisonnée des bâtiments d'après les derniers perfectionnements de la science moderne, Lyon, Rey et Cie, 1907, 31 p. ; pp. 5 et suiv.
Voir le document n° 8 : Têtes de sprinklers - 1907. BALAY J. - De la protection et de la lutte contre le feu par une meilleure construction et une défense raisonnée des bâtiments d'après les derniers perfectionnements de la science moderne, Lyon, Rey et Cie, 1907, 31 p. ; p.15.
Ibidem 95.
PETIT M. -Les grands incendies, Paris, Hachette et Cie, 1882, 302 p. ; pp. 268 et suiv.
Procès-verbaux des séances du conseil municipal – 1897 ; vol. 2, séance du 16/12, pp. 422-424.
Ibidem 95.
GRAPIN P. - Les incendies, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, 128 p. ; p. 17.
BALAY J. - De la protection et de la lutte contre le feu par une meilleure construction et une défense raisonnée des bâtiments d'après les derniers perfectionnements de la science moderne, Lyon, Rey et Cie, 1907, 31 p. ; p. 23.
Idem 102 ; pp. 5 et suiv.
AML, 1270 WP 016 – Sapeurs-pompiers : Matériel, équipement et habillement : Documents publicitaires ; 1822-1910. Parmi les documents figure le catalogue de l'Incombustibilité, fournisseur de matériel d'incendie, édité en 1908, et qui présente ce type d'appareils (pp. 65-68).
La construction lyonnaise – Mars 1884 ; tome III, n° 12, p. 139.
AML, 1270 WP 015 – Sapeurs-pompiers : Matériel, équipement et habillement : Offres de service de fabricants ; 1869-1839.
Idem 104. Dans les catalogues conservés figurent beaucoup de sociétés anglo-saxonnes. Cette liasse dispose de deux superbes ouvrages commerciaux du début du XXème siècle qui sont un document de la société SHAND and MASON (107 p.) et un autre de la société MERRYWEATHER and SONS (224 p.).
AML, 1270 WP 016 – Sapeurs-pompiers : Matériel, équipement et habillement : Documents publicitaires ; 1822-1910. Catalogue de la société L'Incombustibilité (1908, 104 p.), société parisienne (139, Rue La Fayette).
Idem 108 ; l'Incombustibilité, pp. 95-98.