Au fil des années, il deviendra, de plus en plus, possible de qualifier le feu de cheminée comme un accident car, en fonction des nombreux progrès ou de la rapidité d'intervention des hommes du feu, de moins en moins de ces sinistres ne dégénéreront en un embrasement destructeur ; encore que, ici, la relation ne soit faite qu'au brasier dévastateur et non pas aux conflagrations de faible ou de moyenne importance. La prévention, dans pratiquement tous les cas, déterminera le premier processus limitatif aux effets, dans la volonté qu'elle exprimait tout au moins ; l'histoire du péril incendie en porte le témoignage965. Si les vices de construction représentaient une origine réelle dans la naissance des feux de cheminée, leur reconnaissance fut précoce. L'arrêté de police de 1672, précédemment évoqué et repris par Alfred BLANCHE dans son dictionnaire d'administration, mentionnait, en effet, la défense qui était faite à toutes les corporations du bâtiment de poser aucun âtre ou foyer contre des poutres ou solives et de faire passer aucune pièce de charpente dans les tuyaux966. Cet acte contenait, en outre, une injonction à destination de tous les propriétaires de maisons et aux locataires de faire nettoyer soigneusement les cheminées des lieux qu'ils habitaient967. Le danger du vice de construction était symptomatique puisque, au XIXème siècle, et malgré les progrès réalisés dans l'édification des bâtiments, il était encore courant d'avoir pour origine d'un feu de cheminée une solive traversant, par exemple, la gaine, cause rajoutant au danger le fait que le feu pouvait se déclarer longtemps après que le bois se soit mis à se consumer. La non-application de règles simples engendrait donc des conséquences néfastes. Il est également intéressant de voir, sous un autre angle, que si de nouvelles techniques d'édification ou de nouveaux matériaux apparaissaient, les procédés architecturaux persistaient parfois dans des inconséquences. Le Salut public du 16 avril 1869 notait ainsi, dans ses colonnes, ‘"l'imprévoyance incorrigible des architectes campagnards qui font passer une poutre à travers une cheminée, (...)" et qui "est une cause fréquente d'incendie".’ Si le mot "campagnard" était employé au sens de la définition de l'individu issu de la campagne, c'était également avec une connotation fortement péjorative. Toujours dans le cadre des constructions se déterminaient les conduits dévoyés ou la réunion de plusieurs gaines en des hauteurs différentes ; des faits qui, heureusement, au fil des années, attireront de plus en plus l'attention des bâtisseurs au titre de la sûreté publique et des éléments qui, par leur association, donnent une autre analyse à la réduction des déclarations de feux de cheminée.
Alfred BLANCHE notait donc que les cheminées devaient être établies avec des précautions convenables et entretenues dans un bon état968. D'abondantes ordonnances et règles de police édifiaient plusieurs mesures, que ce soit pour la construction des cheminées, des fours, ou leur entretien969. L'utilisation de la brique, de la pierre de taille ou l'adossement des foyers contre des murs de maçonnerie et non contre des cloisons devaient être, par exemple, appliqués970. L'irrespect de ces prescriptions entraînait l'application des articles 471 et 474 du code pénal971. L'obligation étant faite des soins à apporter dans l'entretien, le nettoyage ou la réparation sous le rapport à la cheminée, punissait donc comme négligence tout manquement à ces principes. L'imprudence soumettait le contrevenant à une amende et le récidiviste à une peine de prison972. L'ensemble de ces contraintes n'était pas pris au titre de l'entrave des libertés mais bien dans la préoccupation de la garantie des richesses et également de la vie économique et sociale ; une option que déterminaient la charge et l'exercice de l'autorité municipale, notions que des lois, comme celle de 1790973, avaient mises en lumière en donnant l'initiative aux magistrats municipaux qui détenaient, dès lors, dans leurs prérogatives, le droit de prendre tous les arrêtés qu'ils jugeaient nécessaires dans le cadre du concours à la sauvegarde des biens et des individus. Pourtant, malgré toutes les mesures et les ordonnances prises, les vices de construction persisteront au même titre que le défaut de ramonage, constance soulignée maintes fois, par non-respect974, et que le renvoi sans cesse effectué aux arrêtés illustrait pour partie.
De manière à réduire les interventions sur les feux de cheminée, en parallèle aux modes d'édification, se plaçait l'entretien des conduits. Sur les dénombrements opérés quant au comptage des feux de cheminée, les registres de 1898 et 1904 mentionnaient respectivement 256975 et 253976 incendies. Sur ces sommes, l'année 1898 comptait 148 feux ayant pour origine une absence de ramonage et 122 pour l'année 1904977 ; ce qui représentait, pour l'une et pour l'autre, 57,8 % et 48,2 % du total des états communiqués. Compte tenu des ordonnances régulièrement affichées ou diffusées, notamment par voie de presse978, et des obligations faites, cela représentait des pourcentages encore très importants, surtout à l'époque où ils se situent. Procéder au ramonage n'était surtout pas un fait absent de toute responsabilité comme il ressort des arrêtés pris, à l'image de celui du 18 octobre 1852979. Cet acte fut pris sous la considération des nombreux feux de cheminée qui avaient eu lieu depuis quelques mois, des sinistres interprétés comme le résultat de la négligence ; sous-entendu la coupable faute des propriétaires ou des locataires qui ne faisaient pas ramoner leur cheminée conformément aux articles 1 à 5 de l'arrêté de police du 28 décembre 1831980. Par ce document, l'administration locale rappelait également le devoir qui lui incombait dans le soin de prévenir les accidents et dans les peines que prévoyait le droit pour tout non-respect981. L'article 458 du code pénal portait ces sanctions comme une amende de 50 à 500 francs dans le cas d'une communication de l'incendie à des propriétés mobilières ou immobilières qui appartenaient à autrui, notamment pour l'embrasement causé par la vétusté ou le défaut, soit de réparation, soit de nettoyage, des fours ou cheminées982. Quant à l'article 471, celui-ci mentionnait une condamnation par amende de 1 à 5 francs pour ceux des individus qui auront négligé d'entretenir, réparer ou nettoyer, les fours et cheminées983. L'article 474 punissait, lui, d'une peine d'emprisonnement de 3 jours ou plus, en cas de récidive, les personnes mentionnées à l'article 471984. A l'énoncé de ces peines, l'enjeu devenait manifeste. L'insistance avec laquelle étaient sans cesse rappelés aux populations actes et conséquences donne toute sa dimension au risque et à la peur de ses effets ; des éléments qui donneront à leur tour la légitimité aux arrêtés comme celui pris par le préfet du département du Rhône le 18 octobre 1852 et publié dans les quotidiens locaux.
L'article 1er, s'il imposait le ramonage des cheminées, assortissait ce dernier de prescriptions suivant l'usage qui était fait de l'âtre985. Ainsi, les gaines de cheminée de logements d'habitation, qui ne servaient pas à la cuisine, n'astreignaient leur propriétaire ou leur locataire qu'à un seul nettoyage par an ; les conduits de cheminée utilisés dans la cuisine de particuliers, à une fois par semestre, tandis que celles où était employé continuellement un combustible devaient l'être une fois par trimestre. Ce ramonage devait s'opérer avec des racloirs ou avec des balais en fil de fer mais aucunement avec des fagots, des balais de bois ou toute autre substance combustible, susceptibles, par les morceaux qui pouvaient s'en détacher et rester accrochés dans la gaine, d'occasionner de futurs accidents986. La recommandation était faite aux ramoneurs de visiter l'intérieur des cheminées qu'ils nettoyaient987. Le devoir leur incombait de signaler au commissaire de police du quartier la nature des dégradations lorsqu'ils en notaient la présence sous peine, pour non-respect de ces prescriptions, de se voir condamnés à une amende988. L'article 5 astreignait tous les ramoneurs actuellement présents dans la ville de Lyon, et ceux qui viendraient à y exercer leur activité, à se présenter sous 8 jours à dater de la publication de l'arrêté à la division de la police municipale, dans les locaux de la préfecture ; une exigence afin de se faire recenser mais surtout de manière à y retirer une autorisation d'exercer leur profession. Pour l'exercice de cette fonction, ils devaient aussi tenir un registre, présenté tous les 15 jours au commissaire de police du quartier989. Afin de signifier son travail, le ramoneur était également obligé de remettre aux propriétaires ou aux locataires un billet constatant le jour où le nettoiement avait été opéré990. Sans l'inobservation de toutes ces règles et tous ces devoirs, un ramoneur se voyait ôter l'exercice de son activité professionnelle et du maigre subside qu'il pouvait en retirer991. Ce ramonage, sous sa définition, était généralement exécuté par des personnes, hommes ou enfants, venues de la Savoie, en migration saisonnière992. Celles-ci se chargeaient en fait de parcourir les gaines en travaillant au racloir : ‘"(...). L'enfant venait de s'installer dans une gaine de cheminée et s'escrimait au racloir, (...)"’ 993. Toutefois, malgré ces précautions, et par défaut d'attention, les feux de cheminées perduraient.
L'acte de 1852, après les prescriptions relatives à l'entretien des conduits de cheminée, comportait des articles se référant au cas où l'incendie viendrait à se déclencher. Lorsqu'un feu de cheminée était signalé, le commissaire de police du quartier devait se rendre immédiatement sur les lieux994. Par enquête, le but était de savoir s'il avait été ou non procédé au ramonage qui, dans un cas négatif, induisait la rédaction d'un procès-verbal contre le contrevenant, sans aucune distinction, propriétaire ou locataire. Si le nettoyage avait été effectué, l'enquête devait déterminer si une responsabilité dans le déclenchement du feu incombait à une négligence de la part du ramoneur. Si tel était le cas, celui-ci se voyait dès lors retirer son permis d'exercer son activité, voire puni suivant les dommages ou les conséquences995. Tous les actes qui suivirent cette ordonnance reviendront, pour partie, sur chacun des éléments qui viennent d'être mis en avant. Le feu de cheminée fut une préoccupation constante que les progrès modernes, dans les modes de chauffage par exemple, n'atténuèrent que partiellement. Le souci fut incessant, sur tout le long du XIXème siècle. Comme dans la lutte incendie sous un angle beaucoup plus global, autorités, scientifiques, sociétés savantes, tous se posèrent la question du concours à la réduction des dangers et des effets dévolus à la flamme. Le moyen le plus efficace demeurait le soin apporté dans la construction des cheminées et conduits et dans leur nettoiement. C'était parmi les points fondamentaux les deux qui, dans le cadre des feux de cheminées, pouvaient agir en faveur d'une réduction des déclarations ; une diminution qui, parfois, ne se devait qu'à de dérisoires progrès comme l'usage de racloirs métalliques et non plus de bois996. La réflexion occupera en tout temps les esprits car déjà, en 1815, la Société Royale d'Agriculture de Lyon publiait un programme de prix dont l'un s'adressait à l'invention d'une nouvelle manière de ramoner les cheminées devant procurer toute sécurité997.
Faire procéder au ramonage de sa cheminée constituait, pour les propriétaires ou les locataires, le meilleur moyen de se prémunir contre un éventuel risque de départ de feu. Au nombre des incendies répertoriés, et malgré la tendance à la décroissance, les dangers ne s'estomperont que progressivement998. Lorsqu'un feu se déclenchait, le premier des réflexes des individus, auxquels il a été fait allusion, et sans doute générés par les dispositions des articles du code pénal, était d'essayer, par tous les moyens, de combattre personnellement la flamme : par des moyens, parfois saugrenus, d'autres fois en opérant une détonation, puis, au fil des perfectionnements techniques, en utilisant une grenade extinctrice ou un extincteur pour ceux des habitants qui avaient eu le soin ou les moyens d'en faire l'acquisition ; ce qui, dans les deux premiers cas, avait de fortes chances de ne produire que peu d'effets et, dans le dernier, nécessitait tout de même une certaine maîtrise. Il ne fait, en tout cas, aucun doute, au vu des nombreux articles ou arrêtés interdisant certaines pratiques, que plusieurs de ces modes étaient courants et qu'ils renforcent finalement l'hypothèse d'une large sous-estimation et donc de l'appréciation du risque999. Le ramoneur et le fumiste jouèrent des rôles importants, tout comme le sapeur-pompier, qui, dans la plupart des cas, n'intervenait qu'avec la toile à feux de cheminée, un ou des seaux d'eau ou une longueur de tuyaux, rarement une pompe. Cela supposait une confiance dans l'alerte pour éviter qu'un ou deux hommes n'interviennent en fait sur un feu de plus grosse importance avec des moyens minimes. Surtout, la rapidité primait. C'est pourquoi il fut décidé, en juin 1913, de créer, comme à Paris, un service dit de "bicyclistes" pour intervenir promptement sur tous les feux de cheminée1000. Ces mesures, prises dans un ensemble, conduiront très progressivement à une baisse de ce type d'accidents qui eurent fréquemment, parmi leurs conséquences, une communication des flammes et la transformation, par exemple, d'un feu de cheminée en un incendie d'appartement.
RIVIERE M. - Pandectes françaises – Nouveau répertoire de doctrine, de législation et de jurisprudence, Paris, Chevalier-Maresq/Plon-Nourrit, 1886-1905, 59 vol. ; volume n° 51, pp. 219-238.
BLANCHE Al. (sous la direction de) - Dictionnaire général d'administration, Paris, Dupont, 3ème éd.,
1884-1885, 2 vol. ; p. 368.
Ibidem 170.
BLANCHE Al. (sous la direction de) - Dictionnaire général d'administration, Paris, Dupont, 3ème éd.,
1884-1885, 2 vol. ; p. 368.
Ibidem 172.
Ibidem 172.
Ibidem 172.
Ibidem 172.
ALLEMANDOU P. / FUSILIER R. - Traité sur l'organisation des corps et le statut des sapeurs-pompiers communaux, Paris, SERPIC/France-Sélection, 1968, XL-475 p. ; pp. 15 et suiv. Loi prise sous l'assemblée constituante – Titre XI, article 3, alinéa n° 5. "(...) le soin de prévenir par des précautions convenables et celui de faire cesser par la distribution des secours nécessaires, les accidents et fléaux calamiteux tels que les incendies, (...)"
Le Salut Public du 14/02/1857, traitant, dans une de ses chroniques, des feux de cheminée, revenait sur l'origine de ceux-ci et écrivait qu'ils demeuraient d'ordinaire causés par le peu de soin que mettaient les propriétaires à se conformer aux arrêtés concernant le ramonage.
Dénombrement effectué par recoupements entre les rapports d'incendie conservés (AML, 1271 WP 045 – Sapeurs-pompiers : Feux de cheminée : Rapports : Registres ; 1898-1920) et les statistiques éditées dans les Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon (Lyon, Imp. Vve L. Delaroche, 1899, 712 p. ;
pp. 361 et suiv.) ou le Bulletin Municipal Officiel (tomes 1 et 2, 1898).
Dénombrement effectué par recoupements entre les rapports d'incendie conservés (AML, 1271 WP 045 – Sapeurs-pompiers : Feux de cheminées : Rapports : Registres ; 1898-1920) et les statistiques éditées dans les Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon (Lyon, Imp. Vve L. Delaroche, 1905, 612 p. ;
pp. 319 et suiv.) ou le Bulletin Municipal Officiel (tomes 1 et 2, 1904).
Idem 179 / idem 180.
Le Courrier de Lyon du 12/01/1860 mentionnait que, suite à une décision prise le 2 janvier, l'affichage venait d'être à nouveau fait, devant le nombre des feux de cheminée, d'un arrêté de police du 31/10/1854 sur l'obligation du ramonage des cheminées.
Publié dans Le Salut Public du 21/10/1852.
Idem 183.
Idem 183.
BLANCHE Al. (sous la direction de) - Dictionnaire général d'administration, Paris, Dupont, 3ème éd.,
1884-1885, 2 vol. ; p. 368.
Ibidem 186.
Ibidem 186.
Idem 183.
Le Salut Public du 21/10/1852. Article 2.
Idem 190. Article 4.
Ibidem 191.
Idem 190. Articles 6 et 7.
Idem 190. Article 8.
Idem 190. Article 9.
Des vallées de la Maurienne ou de la Tarentaise.
Le Salut Public du 10/11/1854, le jeune savoyard et le ramonage.
Idem 190. Article 10.
Idem 190. Article 11.
Le Salut Public du 25/05/1855 évoquait l'usage des fagots de bois qui étaient attachés à une corde et tirés de manière à faire tomber la suie, en quelque sorte l'ancêtre du hérisson. Non seulement le ramonage ne se faisait sous ce mode qu'imparfaitement mais posait le risque des branches restées coincées dans les interstices de la gaine. Comme un écho, Le Salut Public du 04/09/1855 contenait une publicité pour appareils à brosses métalliques mus par des ressorts.
Le Journal de Lyon du 07/01/1815.
Se reporter au graphique n° 8, page I-202 : Evolution du nombre de feux de cheminée sur la période
1881-1913.
AML, non coté – Recueils et règlements de police municipale. Les recueils accessibles contiennent plusieurs ordonnances de ce type.
AML, 1270 WP 018 – Sapeurs-pompiers : Matériel : - Acquisitions, surveillance, entretien et réparations ; 1793-1935. Missive du commandant au maire de la ville de Lyon le 09/06/1913.