2. À LA SOURCE DES INCENDIES

Réaliser une taxinomie des embrasements selon leur origine a répondu, à l'image de ce qui fut fait selon la nature, à une interprétation empreinte de subjectivité. Dans chaque rapport de feu, l'information n'a pas toujours été clairement mentionnée et laissait la place à des suppositions. Afin d'éviter de commettre des erreurs dans la précision du répertoire des sources de feu, chaque fois que le doute s'est présenté, plutôt que de classer l'origine dans un répertoire qui ne lui correspondait que partiellement, le placement s'est fait dans la catégorie "autres causes". Dans cette division furent également répertoriées les causes inconnues. En dehors de cette classe, l'état porte six autres groupes de sources qui sont : les vices de constructions, les modes d'éclairage, les modes de chauffage, les imprudences, les manipulations industrielles et les accidents de vie quotidienne. Chacun d'entre eux répond, en outre, à des caractères qui lui sont propres. Les origines comptabilisées comme des vices de construction sont essentiellement dérivées de celles se rapportant aux gaines de cheminées ; excepté que dans le cas présent, l'embrasement n'a pas donné lieu à un feu de cheminée mais bien à un incendie. L'exemple le plus caractéristique peut se fonder sur l'enchevêtrure, un assemblage de pièces de charpente formant généralement un cadre, et la trémie, espace réservé dans un plancher pour l'âtre d'une cheminée ou pour une circulation verticale. La classification selon les modes d'éclairage reprend, en fait, tout ce qui se rapporte, de près ou de loin, à la production de lumière et qui est utilisé couramment par les populations. D'identiques paramètres, mais sous l'angle de la production de chaleur, déterminent le classement des modes de chauffage. Parmi les imprudences se répertorient en fait tous les accidents survenus par irrespect des règles sécuritaires : par exemple, une lampe à pétrole posée sur des matières inflammables, une cigarette jetée imprudemment. Le choix des manipulations industrielles correspond en fait à des exercices professionnels à l'intérieur d'espaces économiques du type de la manufacture ou de l'usine. Cette cause prendra, le plus fréquemment, la forme, soit de l'explosion, soit de l'usage de matières facilement inflammables. Quant à la dénomination de vie quotidienne, elle fonde, en fait, tous les accidents de la vie domestique dans l'usage, sans précautions, à des tâches ménagères par exemple, de substances combustibles ou naturellement inflammables. L'ensemble de cette classification ressemble, sous quelques notions, à celle qui est accessible, pour certaines années, dans les Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon ; pour partie seulement car il est des choix, comme le séchage des linges, groupés dans les sources liées au chauffage pour les Documents administratifs et statistiques, qui ont été, dans la présentation décrite ici, affectés à d'autres sources. Pour l'exemple choisi, il s'agira de l'imprudence. Pour des raisons maintes fois mises en avant, le travail d'analyse ne commence qu'à l'année 1886. Enfin, toutes les interprétations qui vont faire l'objet d'analyses parmi les pages qui suivent, et concernant l'origine des embrasements, n'ont qu'une valeur d'hypothèse car les causes inconnues sont généralement en proportions annuelles trop importantes pour avoir une valeur d'exactitude.

Le groupe nommé "autres causes", qui comprend les causes inconnues, représente, en effet, la proportion la plus importante dans les origines de feu1037. Même à la période moderne, il demeure encore difficile d'établir la cause de certains brasiers sans un appel à l'analyse technique et scientifique. Il devient alors aisé de comprendre que les causes inconnues composent, à l'intérieur de ce groupe, de 40,5 %1038 à 100 %1039 des origines. Plus significativement, la moyenne se fixe à 92,1 %. Cependant, ce ne sont pas les seules sources fondant cette classe. Se placent également, par exemple, parmi ces causes, les incendies ayant pour origine une escroquerie ou des explosions engendrant un feu mais ne rentrant pas dans les catégories précédentes. Devant la difficulté à déterminer l'origine du feu, il devient dès lors compréhensible que le répertoire des autres causes détermine un nombre et une proportion qui soient importants. Demeurent, néanmoins, des exceptions comme les années 1886, 1887 et 1895 où la proportion des incendies déterminés par une autre cause ne figure respectivement que pour des pourcentages de 18,4, 23,9 et 17,1, taux relativement bas qui, en fonction des connaissances pour l'époque sur la détermination des sources d'incendie, ne permettent pas d'accorder un fort crédit aux autres répertoires définis pour ces années-là. Rien ne peut en effet expliquer que pour 1886, 1887 et 1895, les chefs de postes ou le commandant aient été en mesure de déterminer presque catégoriquement l'origine des feux de façon précise et que cela n'a pas pu être le cas sur les 25 autres années concernées. Rien non plus ne permet d'établir quel a été l'exact but recherché, si ce n'est celui d'imaginer le désir des pouvoirs publics, par la connaissance approfondie des causes, de définir des mesures adaptées à la prévision ou à la prévention. Seulement, ces notions ne se vérifient pas formellement. Suivant ces données, que ce soit donc au nombre1040 ou à la proportion1041, la classification des autres causes restera importante sur toute le période 1886-1913.

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Graphique n° 11 : Proportion et répartition des incendies selon l'origine du départ de feu sur la période 1886-1913

Cette élévation de la rubrique "autres causes" ne donne qu'un reflet bien imprécis des autres groupes fondant de distinctes origines sur toute la période étudiée. Ce n'est donc que très symboliquement qu'une interprétation peut leur être accordée. Les incendies ayant pour origine un vice de construction tendraient à se réduire, vraisemblablement avec l'usage de nouveaux matériaux de construction et de nouveaux procédés d'édification1042. C'est un mouvement qui, apparemment, se manifesterait assez rapidement selon les graphiques, ce qui se mettrait, dans une certaine mesure, en opposition avec les feux de cheminée qui, bien que le recensement aille à la baisse, persistent comme nombreux. En fait, l'explication pourrait résider dans les nouvelles constructions. Si les feux de cheminée continuent de se produire, ce serait dans les maisons anciennes ; et si les incendies ayant pour cause un vice de construction allaient en se réduisant, il fallait y voir là le souci manifesté dans l'amélioration de l'habitat et son aménagement. Les déclarations d'embrasements ayant pour origine un mode d'éclairage s'exprimeraient à la hausse, d'ailleurs plus ou moins significative selon le placement1043. La disparition de la bougie ou de la lampe à pétrole au profit du bec de gaz et de l'électricité n'a pas, tout au moins dans les premiers temps, apporté tous les critères de sécurité. A l'échelle du détail, mais toujours sous la réserve de l'abondance de la classification des "autres causes", peut se noter un renforcement du dénombrement entre 1892 et 1901 auquel s'enchaînent une baisse avant une hausse ; trois étapes qui pourraient être vues, pour la première, comme correspondant à l'extension du réseau gazier et aux tous premiers développements de l'alimentation électrique, pour la seconde, comme le constat des insuffisances de sûreté et l'application des premières mesures, pour la dernière, comme la continuité dans l'usage du gaz, donc de ses dangers, l'essor de l'électricité à plusieurs types de constructions sous l'accroissement de la cité et l'utilisation, dans ses derniers retranchements pour le monde urbain, de la bougie ou de la lampe à pétrole et la confusion entre le mouvement de la flamme nue et l'inertie du filament incandescent. Au dénombrement des incendies ayant pour origine un mode de chauffage1044, le graphique exprime un mouvement qui est quasi similaire à la proportion1045. L'année 1909 présente un état de 43 déclarations de feux, soit 22,1 % des causes cette année-là, qui ne peut prétendre à une interprétation puisque toutes les autres années continuent d'être tributaires de l'importance des causes inconnues. Parmi les principales origines composant ce groupe et fondant des déclarations se placent la cheminée, la grille ou le brasero, sources qui, malgré le développement de modes de production calorifique proposant plus de sécurité, comme le poêle, demeureront des facteurs de risques.

Que l'attention soit portée à la proportion1046 ou au dénombrement1047, au titre des incendies ayant pour origine une imprudence, il ressortirait de l'analyse des chiffres ou des pourcentages somme toute peu importants. Le maximum est noté pour l'année 1911, avec 24 sinistres comptés comme provoqués par une imprudence, et la proportion la plus notable, pour l'année 1891 avec 10,9 % des départs. Sous cette classe, aucun mouvement général ne ressort en conséquence des variations qui en affectent sans cesse le répertoire. A la lecture des articles continuellement édités dans les colonnes de la presse quotidienne locale, des motifs provoquant la promulgation d'arrêtés, il ne s'agirait nullement ici du reflet du monde réel et de la conduite des populations. En fait, le dénombrement et la répartition devraient proposer des chiffres ou des pourcentages plus sérieux. Si le repérage est moins abondant qu'il n'était envisageable, certains arguments peuvent être avancés à la compréhension parmi lesquels la quantité élevée des causes inconnues, les peines prévues par le droit et, sous ce dernier point, la peur des populations. Il ne fait aucun doute que l'imposant état des causes inconnues comprend, pour une majeure partie, des imprudences mais qui n'ont pas été repérées. Il était encore inimaginable d'arriver, à la fin des années 1800, et bien au-delà d'ailleurs, de localiser le foyer de départ d'un incendie, et, par l'analyse, de se rendre compte de son origine. Nombreuses ont donc été les imprudences "non remarquées". De plus, au regard du droit et des conséquences que pouvait avoir, pour son auteur, une faute d'inattention entraînant une destruction des biens d'autrui par le feu, le doute plane sur la déclaration qui pouvait, par exemple, être faite par des témoins du drame ; ce qui dérive directement sur la peur des individus, peut-être, à provoquer les secours dans le cas d'un départ de feu lié à une imprudence, dans tous les cas, à l'avouer. L'imprudence fut, en outre, un cheval de bataille pour les pouvoirs publics et si Edouard THIERS, dans son rapport sur la réorganisation du service d'incendie de la ville de Lyon, proposait une éducation des populations, il l'imaginait à double titre1048 : d'abord, et avant tout, comme un apprentissage des dangers que pouvaient provoquer la flamme, donc la lutte contre les erreurs commises, inattention et imprudence en tête, ensuite comme la dispense des premières mesures, voire premiers secours, à appliquer face à un début d'incendie. Le passage se fait presque de lui-même entre les embrasements ayant pour origine une imprudence et les brasiers déclenchés par un geste de vie quotidienne et qui, par certains côtés, peuvent se confondre avec la cause précédente. D'ailleurs, l'idée d'Edouard THIERS se prête à ces divers concepts. Répartition et recensement présentent des perspectives identiques1049. Quant à l'expression tendancielle, toujours sous la réserve de l'abondance des "autres causes", elle se manifesterait à la décroissance. Dans ce groupe de sources se placent des gestes de la vie quotidienne, ne serait-ce que dans l'usage de l'encaustique dans l'entretien des bois. La baisse pourrait éventuellement être la conséquence des modernités, y compris, avec le XXème siècle, dans le développement de produits synthétiques moins dangereux sous l'angle de l'inflammabilité. Dans tous les cas et de toutes les manières, les chiffres ne valent que de façon indirecte, le feu gardant encore la plupart de ses caractères d'imprévisibilité.

A la vue des représentations graphiques figurant les départs de feu ayant pour origine une manipulation industrielle, le corollaire se fait de lui-même avec le répertoire des embrasements selon les natures de feu. Le mouvement, avec toutefois quelques nuances et écarts, y est ressemblant. Avant une décroissance, à partir de l'année 1911, l'état ou la proportion passent respectivement, de 1886 à 1910, de 7 à 34 déclarations1050 ou de 4,8 % à 17,5 % des totaux ; hors années exceptionnelles, comme 1889, avec 2 déclarations ou 1,2 % du total. Ces chiffres sont supposés présentés à la baisse lorsque le rapport est fait au groupe des "autres causes". Néanmoins, le mouvement corroborait l'idée du développement de l'économie et des différents secteurs industriels de l'agglomération lyonnaise, un essor qui, au regard de ces chiffres, pourrait être évoqué comme effectué dans des branches de l'industrie nécessitant l'emploi de la flamme, la production calorique ou le travail mécanique. Une association peut dès lors être faite avec les industries de la chimie et de la métallurgie, par exemple, secteurs qui, pour la transformation des matières ou plus simplement pour leur fonctionnement industriel, utiliseront le four, la machine à vapeur ou l'outil mécanique. Sous ces trois exemples se retrouvent plusieurs des causes mises en évidence jusqu'à maintenant. Le four représentait des dangers liés à la chaleur, à la flamme ou aux matières brûlées pour produire la dite chaleur, et à l'entretien des conduits d'alimentation. La machine à vapeur, qui reprend d'ailleurs certains de ces caractères, fixait, en plus, le risque d'explosion et, de ce fait, de propagation par projection de matières enflammées, chauffées ou incandescentes. Enfin, la machine-outil, en droite ligne de ce qui fut expliqué au chapitre 1er, soit au titre des propriétés physiques et mécaniques de la flamme, fondait un péril sur la cinétique au travers, notamment, de l'engendrement d'électricité statique. Quant à la baisse qui semble s'amorcer sur les 3 dernières années de la période concernée, sans doute est-elle due à l'image mémorielle laissée par des conflagrations comme celle qui frappa l'usine RIVOIRE et CARRET en 1908, l'application et le respect de mesures sécuritaires et préventives et le remplacement de certains processus industriels de transformation des matières. Car, il parait indiscutable, malgré la garantie offerte par l'assurance incendie, que le souci des industriels, quant à la sécurité incendie de l'espace productif, était plus que manifeste ; l'attention était omniprésente, une destruction par le feu ayant trop d'implications, y compris à la survie de la société. Cette augmentation des incendies d'espaces industriels, en relation directe et logique avec les causes de manipulations, pourrait en plus se mettre en liaison avec l'implantation économique, avec un essai de localisation des incendies.

Notes
1037.

Voir le graphique n° 11, page I-217 : Proportion et répartition des incendies selon l'origine du départ de feu sur la période 1886-1913. Ce graphique a été construit avec les données chiffrées accessibles dans le volume V. Il s'agit ici d'une présentation synthétique de l'information. Pour chaque classe d'origines, par année puis périodiquement, ont été construits des diagrammes ou des histogrammes, disponibles dans le tome V, établis sous le critère du nombre, pour permettre les comparaisons. Le choix a été ici fait du document synthétique afin de ne pas encombrer le développement de tracés représentant les sept catégories d'origines répertoriées.
Il conviendra néanmoins de s'y reporter pour bénéficier d'une meilleure interprétation visuelle.

1038.

Année 1887.

1039.

Années 1902 et 1907.

1040.

Se reporter à l'histogramme, page V-263 : Revue de détail : évolution du nombre des feux ayant pour origine une cause inconnue ou diverse sur la période 1886-1913.

1041.

Voir le graphique n° 11 : Proportion et répartition des incendies selon l'origine du départ de feu sur la période 1886-1913.

1042.

Se reporter à l'histogramme, page V-260 : Revue de détail : évolution du nombre des feux ayant pour origine un vice de construction sur la période 1886-1913.

1043.

Voir le graphique n° 11, page I-217 : Proportion et répartition des incendies selon l'origine du départ de feu sur la période 1886-1913 / Se reporter à l'histogramme figurant à la page V-261 : Revue de détail : évolution du nombre des feux ayant pour origine un mode d'éclairage sur la période 1886-1913.

1044.

Se reporter à l'histogramme figurant à la page V-261 : Revue de détail : évolution du nombre des feux ayant pour origine un mode d'éclairage sur la période 1886-1913.

1045.

Voir le graphique n° 11, page I-217 : Proportion et répartition des incendies selon l'origine du départ de feu sur la période 1886-1913.

1046.

Idem 249.

1047.

Se reporter à l'histogramme, page V-262 : Revue de détail : évolution du nombre des feux ayant pour origine une imprudence sur la période 1886-1913.

1048.

THIERS Ed. - La réorganisation des sapeurs-pompiers de Lyon, Lyon, Association Typographique, 1881,
118 p. Mesures préventives.

1049.

Voir le graphique n° 11, page I-217 : Proportion et répartition des incendies selon l'origine du départ de feu sur la période 1886-1913 / Se reporter à l'histogramme, page V-263 : Revue de détail : évolution du nombre des feux ayant pour origine une cause de vie quotidienne sur la période 1886-1913.

1050.

Se reporter à l'histogramme, page V-262 : Revue de détail : évolution du nombre des feux ayant pour origine une manipulation industrielle sur la période 1886-1913.