L'homme est le facteur déterminant de la composition d'un corps de sapeurs-pompiers. Sans lui, en toute logique, et quelles que soient les bonnes volontés, aucun service ne se fonde à moins d'établir une unité militaire. L'étude de l'individu choisissant d'embrasser la fonction de sapeur-pompier, de son recrutement et des conditions d'admission, donne, et ce, sous plusieurs critères, une lumière supplémentaire à l'analyse comme à la compréhension du service d'incendie qui ne peuvent définitivement se réduire à la simple lutte contre les flammes. La présentation du service, sous sa dimension humaine, peut se faire dans deux voies : les rangs -la base-, et l'encadrement -la tête-, ou, à l'inverse, de la tête à la base. Dans les principes de nomination, tout comme ceux d'avancement, l'initiative était généralement donnée aux cadres du bataillon puisque les désignations se faisaient, normalement, sur proposition du commandant, ensuite soumise à approbation, lui-même étant nommé par l'autorité supérieure. Il semblait donc raisonné de partir de l'encadrement, chefs de corps et officiers, grand état-major et petit état-major, pour aboutir à la base. De plus, la fonction de commandant conférait à celui qui en avait le titre et la charge des attributions, un rôle devant lui permettre, notamment, de garantir la diffusion de valeurs qui ne procède que dans un mouvement, défini comme classique, allant du détenteur des pouvoirs aux hommes de troupe, bien qu'exceptionnellement et sous certaines conditions, hors notions sociales, la tendance puisse s'inverser.
De façon très globale, le recrutement des officiers, ayant en charge la gestion et le commandement d'un corps de sapeurs-pompiers, se faisait sur le rang social de l'individu, son niveau de fortune et ses aptitudes au commandement, éventuellement héritées d'un grade militaire1492. Ces critères vaudront, sans peu s'écarter des motivations qui en avaient été à l'origine, jusqu'aux années 1870-1880, voire plus encore pour les corps non urbains1493. Ceux-ci répondaient en fait à plusieurs impératifs dans l'idée d'une organisation humaine où l'autorité de l'Etat ne pouvait s'exercer que de manière indirecte, justement par le chef de corps. Si de telles attentions étaient donc apportées au choix des officiers, il est à noter que les capacités techniques de l'individu ou les connaissances de l'activité n'entreront que très tardivement et progressivement en ligne de compte1494. L'évolution ne se fera que graduellement et la prééminence sociale du commandant vis-à-vis de ses hommes demeura une notion essentielle, au moins jusqu'au décret d'administration publique de 18751495. L'influence des sympathies politiques de l'individu entrait également dans les critères d'appréciation1496. Le commandant demeurait, outre ses fonctions administratives, un moyen de diffusion des idées. Il était donc primordial pour le pouvoir politique que celui-ci, s'il ne marquait pas un "zèle" nécessairement flagrant, représente plusieurs des concepts du régime auxquels il devait son accession au grade de chef de corps de sapeurs-pompiers.
Ce sont là des fondements courants, mis en avant par des auteurs comme Hubert LUSSIER, qui se seraient retrouvés, sans la référence à l'ouvrage, dans l'interprétation des informations issues de l'exploitation des archives et des documents se rapportant aux commandants du bataillon lyonnais. En revanche, sous les grades d'officiers allant du sous-lieutenant au capitaine, il se serait plutôt agi d'une perception car les sources, sur ce point, ne bénéficient pas d'une conservation complète, elles demeurent même généralement partielles ; le renvoi à une analyse d'ensemble semblait dès lors obligatoire bien que de légères nuances se notent entre le grade de chef de corps, ses applications et les conditions de son recrutement, et les officiers subalternes. Selon le règlement de 1858, portant l'organisation, l'administration, le service et la discipline du corps municipal des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, tous les officiers pris, soit en dehors des cadres du corps, soit dans les rangs des sapeurs, étaient nommés par l'Empereur1497. Chaque officier devait être en état de commander toutes les manoeuvres, de diriger les attaques et de faire exécuter toutes les instructions nécessaires et relatives au service du feu, ce qui marquait là une différence, ne serait-ce que sous la connaissance technique, par rapport à d'autres modalités retenues pour des grades supérieurs1498. Le règlement de 1871, si ce n'est la manifestation de l'exercice immédiat de l'autorité municipale, visible notamment dans la désignation d'un nouveau chef de corps, Mr BARQUI, conservait des conditions de recrutement identiques à l'acte de 1858 pour les officiers1499, y compris l'enquête de moralité et celle portant sur les sympathies politiques de l'individu. Selon le décret de 1875, les officiers devenaient dorénavant nommés par le Président de la République sur proposition du préfet soumise à appréciation du Ministre de l'Intérieur pour 5 ans, par référence à l'engagement quinquennal1500. Les hommes devaient être pris parmi les architectes, les entrepreneurs ou les personnes appartenant à des professions qui exigeaient de l'instruction et de la tenue1501.
Par l'absence de données concrètes et qualitatives sur les officiers de Lyon, hormis leur grade, leur nom et prénom, et certaines recherches par enquête, peu d'informations percent sur une indication qui aurait pourtant été importante : la compétence et le degré professionnels des hommes en dehors de l'activité qu'ils exerçaient. En 1858, selon un état dressé au 1er novembre, sur les cinq capitaines de compagnies, deux étaient entrepreneurs, l'un était ferblantier, l'autre, un ancien militaire, capitaine en retraite, et l'information était manquante pour le dernier1502. Sur les cinq lieutenants, deux étaient ferblantiers, un autre entrepreneur maçon, le suivant employé et le dernier marinier1503. Enfin, sur les cinq sous-lieutenants, le premier était serrurier, le second, ébéniste-sculpteur, le troisième peintre en bâtiment, les deux derniers étant manquants. Hors la qualité d'entrepreneur, qui représente trois personnes, la qualité d'ancien militaire, un individu, et les paramètres qui allaient avec les critères de recrutement de l'encadrement, rien n'est accessible sur l'aptitude professionnelle des autres nommés. Au moment de la réorganisation de 1879, de même que dans le registre de matricules de cette année-là, malgré la demande d'enquête poussée, le renseignement est tout aussi aléatoire1504. Sur six capitaines de compagnie, seuls quatre sont présentés : deux menuisiers, un employé et un galochier1505 ; sur six lieutenants, quatre sont là aussi indiqués : deux ferblantiers, un forgeron et un peintre1506 ; enfin, sur les six sous-lieutenants, où l'un d'entre eux manque : deux étaient menuisiers, l'un était tourneur sur cuivre, l'autre dessinateur et le dernier plâtrier1507. En dehors d'une remarque de l'exercice de métiers, pour la plupart manuels et artisanaux, il est difficile de tirer d'autres conclusions vis-à-vis de la charge professionnelle1508.
Il est établi que les désignations d'officiers, hors commandants1509, soumises à approbation de l'administration d'Etat sur proposition, se sont fréquemment faites par avancement, selon les états de service1510. En dehors de critères extérieurs, une attention était donc quand même apportée à l'exécution du service qui pourrait expliquer que dans les deux états présentés antérieurement, de 1858 et de 1879, ne se lisent pas nécessairement un degré professionnel élevé quoique l'appréciation soit toute relative à cette époque sur la fonction d'artisan. Cet avancement ne se mesure pas directement du fait de la disparition d'une grande partie des registres des contrôles mais demeure visible en fonction de cas précis, par exemple la réorganisation de 18791511. Trois années avant que ne soit définitivement arrêtée la recomposition des rangs selon les directives de la commission établie à cette fin, une enquête sur les cadres du bataillon avait été conduite1512. Dans cette dernière, qui émanait en fait du chef de corps, à une période trouble que caractérisaient le contexte local et national et les rapports entre administrations, étaient relevés les traits personnels des individus et soulignées leurs capacités. L'attention était autant portée sur leur physique, leur caractère que leurs capacités ou leurs aptitudes au service1513. A l'extrême, il y était respectivement mentionné, les quatre notions suivantes : "‘mauvais physique qui annonce l'hypocrisie", "sournois", "nulles", "très mauvais officier’"1514. Deux principaux éléments entraient vraisemblablement dans l'analyse : des rapports humains conflictuels entre commandant et officiers subalternes et la crainte vis-à-vis de la survenue d'événements extérieurs, principalement politiques. A un capitaine étaient confiées la direction et l'administration d'une compagnie, autant dire que, comme dans les corps de troupe de l'armée, son influence sur les hommes du rang pouvait être importante, à l'encontre de l'autorité ou dans un usage de pressions1515. La présentation de la conduite individuelle des personnes et de la manifestation de leurs opinions politiques était prépondérante mais à nuancer. Dans les propositions de nominations de 1879, tous les officiers, hormis le commandant WILLAMME et un sous-lieutenant1516, furent réintégrés dans leurs postes ou à un grade supérieur1517. Tous étaient enregistrés par la commission comme ayant des sympathies, manifestées ou confirmées, républicaines. Mais plus que la revendication d'une étiquette politique, les commissions, municipales ou de réorganisation, comme l'administration centrale, savaient très bien qu'écarter certains officiers aurait engendré d'abondantes démissions, ce qui, dans un souci de maintien et d'assurance de la sécurité incendie, n'était nullement acceptable ; d'autant que le recrutement des hommes du rang s'opérait déjà difficilement.
Au moment de la mise en conformité du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon avec le décret de 1875, un récapitulatif de tous les officiers avait donc été produit par l'association de fiches de renseignement sur chaque homme transmises par le commissariat spécial de la Préfecture du Rhône au secrétariat général pour la police1518.. Ces fiches, outre les classiques indices d'état civil, revenaient sur la situation conjugale des individus, la moralité, la considération et la situation politique1519. Ces documents reflétaient ceux de 1876 où étaient consignés la tenue, le physique, la constitution, la santé, le caractère, les capacités, la manière de servir, la conduite et la moralité des individus1520. Comme en 1876 où une inimitié entre le commandant et les hommes semblait décelable, de tels sentiments subsisteront, bien que moins notoires, jusqu'à la veille du XXème siècle, sous l'autorité du chef de bataillon RANGÉ. Dans une liste nominative de 1888 contenant le nom des officiers dont le mandat était expiré et pour lequel il y avait lieu de demander le renouvellement par le Ministre de l'Intérieur, plusieurs hommes y étaient mal notés1521. Si ces hommes étaient tout de même inscrits sur la liste, la supposition se fonde sur des paramètres comme ceux sous-entendus précédemment, essentiellement de l'écartement d'officiers qui provoquerait des démissions. Il entrait sans doute également le désir de ne pas faire perdre aux individus les avantages acquis pendant le temps de service accompli chez les sapeurs-pompiers, voire une pression de la municipalité. Les propositions de désignations étaient faites par le commandant et approuvées par l'autorité supérieure à d'autres moments que ceux de recompositions humaines, dans le cadre de l'avancement par reconnaissance du mérite et de concours internes. L'un et l'autre ne sont pas directement mesurables du fait de la disparition ou de la non-conservation des éléments s'y rapportant. Seulement, à la lumière de ce qui fonctionnait pour les hommes du rang, il ne fait que peu de doutes que le système valait aussi, et de plus en plus au fil des années, pour les officiers1522. Ce principe ne s'appliquait évidemment pas aux fonctions de commandant, un grade qui demeurait régi par des règles de nominations précises bien que celles-ci évoluèrent progressivement et qui, pour l'agglomération lyonnaise, fonderont autour de sa charge de nombreuses attentions.
LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p. Chapitre V.
Ibidem 1.
Il arrivera très couramment que des reproches soient adressés, à Lyon, aux chefs de bataillon pour leur méconnaissance des techniques, des procédés et des manoeuvres d'interventions, par la presse, parfois les conseillers, jusqu'aux années 1890-1895. Ces allégations n'étaient pas toujours fondées, surtout celles issues des colonnes de la presse écrite.
Ibidem 1. Concept de l'ascendance morale par l'ascendance sociale.
LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p. Chapitre V.
AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929. Règlement pour l'organisation, l'administration, le service et la discipline du corps municipal des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon en date du 14/11/1858. Articles 7 et 8.
Ibidem 6. Article 9.
AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929. Règlement du 10/04/1871 / VILLE DE LYON. - Sapeurs-pompiers - Règlement et ordres de services du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Rey-Sézanne, 1871, 48 p.
RIVIERE M. - Pandectes françaises – Nouveau répertoire de doctrine, de législation et de jurisprudence, Paris, Chevalier-Maresq/Plon-Nourrit, 1886-1905, 59 vol., volume n° 51, pp. 219-238. La nomination par l'autorité gouvernementale était aussi destinée à rehausser le commandement et à en faciliter son exercice.
Ibidem 9.
AML, 1270 WP 005 – Sapeurs-pompiers : Personnel : - Officiers : Nominations, mutations ; 1818-1939.
Etat au 01/11/1858.
AML, 1270 WP 005 – Sapeurs-pompiers : Personnel : - Officiers : Nominations, mutations ; 1818-1939.
Etat au 01/11/1858.
AML, 1270 WP 004 – Sapeurs-pompiers : Effectifs : Registre de matricules ; 1879.
Idem 13.
Idem 13.
Idem 13.
A moins de compulser d'autres sources comme les registres d'état civil mais qui aurait réclamé du temps.
Jusqu'au chef de bataillon PÉGOUT, officier du corps avant d'être nommé chef de bataillon après le capitaine JATOWSKI.
Idem 12.
AML, 1270 WP 003 – Sapeurs-pompiers : Effectifs : - Reconstitution du bataillon ; 1879.
Idem 12. Notes sur tous les officiers et assimilés du corps - 1876.
Ibidem 21.
Ibidem
21. Bien qu'il faille faire un rapprochement au contexte et utiliser l'information avec précautions, certains officiers y étaient très mal notés. Pour ne prendre qu'un seul exemple, il était écrit, au sujet d'un
capitaine : "passion haineuse contre l'autorité supérieure, l'autorité préfectorale", "homme à craindre en temps ordinaire et très dangereux en cas d'émeute".
Procès-verbaux des séances du conseil municipal – 1893 ; vol. 2, séance du 21/02, pp. 137-143.
C'est probablement là parmi les faits qui permettaient à Mr AFFRE, conseiller municipal, de dire, lors de la discussion du budget, à propos de certaines désignations de personnel, ici de sous-officiers, et bien qu'il s'agisse d'un autre contexte : "Vous n'ignorez pas que dans le bataillon, les compagnies se considèrent comme de petites républiques, (...)"
L'un pour ses positions, l'autre pour une moralité condamnable.
AML, 1270 WP 003 – Sapeurs-pompiers : Effectifs : - Reconstitution du bataillon ; 1879.
Peut-être faut-il voir dans le zèle que mettaient les services de renseignements, police en tête, dans les enquêtes menées sur les sapeurs-pompiers, l'antagonisme révélé concrètement par l'accident de la
Rue Ferrandière entre les différents services de sécurité.
AML, 1270 WP 005 – Sapeurs-pompiers : Personnel : - Officiers : Nominations, mutations ; 1818-1939.
Idem 28. Notes sur tous les officiers et assimilés du corps - 1876.
Idem 28.
AML, 1270 WP 005 – Sapeurs-pompiers : Personnel : - Sous-officiers et sapeurs : Nominations, mutations ; 1802-1933. Exemple d'un concours interne du grade de sergent au grade de sergent-major le 05/09/1881 :
une dictée, la rédaction d'un rapport d'incendie et quatre opérations de calcul.