C. ÉVOLUTION ET MOUVEMENT DES EFFECTIFS

1. MOUVEMENTS DE PERSONNEL

Par essence, un effectif n'est jamais figé1629. Il s'agit d'une donnée soumise à de continuelles variations entre les entrées et sorties de personnel, plus généralement, dans le cas présent, hors les mises à la retraite, entre les admissions et les démissions. Retracer l'évolution de l'effectif du bataillon des sapeurs-pompiers lyonnais n'a pas été envisageable sur toute la période 1852-1913 pour un fait évoqué dès les premières pages de cette partie consacrée au cadre humain : la préservation partielle des registres de contrôles. Le plus aisé fut donc de s'appuyer sur les renseignements fournis par les Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon, sur l'intervalle de temps 1881-1912, ainsi que différentes opérations de recoupement de manière à produire une analyse qualitative. Ainsi, le graphique n° 19 présente l'évolution du nombre des sapeurs-pompiers composant le bataillon de la ville de Lyon sur la période 1881-1912, hors sociétés annexes, c'est-à-dire, pour l'essentiel, sans que ne soient répertoriés les hommes formant les rangs de la musique du corps. La présentation des effectifs s'appuie sur des chiffres arrêtés au 31 décembre de chaque année, ce qui permet à l'identification de se faire sous des paramètres qui seront toujours identiques d'une année sur l'autre.

Si le diagramme offre une lecture visuelle qui s'exprime à la baisse entre les deux années choisies comme bornes, plusieurs phases peuvent toutefois se dégager : la première, entre 1881 et 1890, la seconde, entre 1891 et 1899, et la troisième, à partir de 1900 et jusqu'en 1912. Sur le premier intervalle de temps, l'expression, de façon globale, est à une légère hausse qui détermine le passage de 431 à 450 sapeurs-pompiers et ce, de 1881 à 1889, et bien que le total soit ramené à 436 en 1890. Sur le second intervalle, le mouvement, sous une tendance demeurant marquée mais sans excès, ce qui ne permet pas de choisir le qualificatif de franche diminution, fonde une baisse progressive entre les 380 sapeurs comptabilisés en 1891 et les 349 dénombrés en 1899. C'est sur le dernier intervalle que la décroissance devient très expressive avec un recensement qui passe de 324 à 86 soldats du feu, soit une réduction d'effectif de 238 personnes en 12 ans. Comparativement, et malgré 4 années de différence qui ne suffisent cependant pas à exprimer une situation réellement distincte, sur la seconde phase, en 8 ans, le bataillon n'avait "perdu" que 31 sapeurs, soit 7,7 fois moins. Pourtant, dans ce cas présent, le stade était déjà celui de la réflexion à une recomposition mais sans que les modalités n'en soient arrêtées ; des modalités qui marqueront l'état suivant. Chacune de ces phases correspond à des périodes très précises de l'histoire du corps de sapeurs-pompiers lyonnais mais ne traduit pas, malgré qu'il faille apporter des nuances, une disparition de l'attrait de la fonction et du désir d'incorporation des rangs. Ces deux dernières notions ont d'ailleurs joué souvent un rôle essentiel dans l'engagement des hommes. En revanche, la confusion ne doit effectivement pas s'opérer entre ces concepts, qui répondent à un souhait, et la réalisation de démarches pour intégrer le corps de sapeurs-pompiers. C'est sur ce tout dernier point que se traduit la difficulté du recrutement et le jeu de l'incitation, celle que les autorités cherchèrent à produire par la mise en place d'une série d'avantages qui seront accordés aux hommes.

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Graphique n° 19 : Evolution du nombre des sapeurs-pompiers composant le bataillon de la ville de Lyon sur la période 1881-1912 (hors sociétés annexes)

Chacun des trois stades repérables sur le diagramme s'appuie sur des années ruptures qui sont 1890 et 18991630. Il s'agit de deux étapes qui, s'il n'y avait pas eu une lecture de détail, après la description historique qui a été faite du corps de Lyon, seraient venues spontanément dans l'argumentaire pour expliquer l'enchaînement des phases successives. Ces deux étapes, références, sont la création de la division active et le choix définitif de l'option d'une défense contre le feu, servie par des professionnels. La décision de 1899 fondait l'officialisation d'une situation amorcée en 1890. Cette année-là, le personnel du corps comptait, au 31 décembre, 436 soldats du feu ; un an plus tard, l'effectif n'était plus que de 380 sapeurs. En 12 mois, 56 hommes avaient quitté les rangs, ce qui, annuellement et fonction des mouvements de personnes, en liaison principalement avec le contexte socio-économique, demeurait justifiable. Le fait de ne pas pourvoir à leur remplacement déterminait là une nouvelle orientation et un nouveau désir de gestion et d'organisation humaine nés de la création, en février 1890, de la section active au sein du service d'incendie lyonnais1631. Dès sa première année de formation, et malgré une composition qui se révélait minime -9 hommes opérationnels-, cette unité rendit d'immenses services pour lesquels il fut décidé, de façon tacite, dans un premier temps et pour 9 ans, de ne pas remplacer les départs des rangs, qu'ils aient la forme de démissions, abondantes, ou de retraites. De cette décision, le personnel de la section se révélera très vite insuffisant face au nombre croissant des interventions qu'il devait assurer du fait, par exemple, d'un avertissement, maintenant au moyen le plus souvent du téléphone, arrivant au Dépôt Général des pompes à incendie, siège de son casernement1632. C'est notamment cette faiblesse que le chef de bataillon RANGÉ avait mise en avant, en 1891, lors du discours prononcé aux funérailles des sapeurs DEVAUD et MIRAILLET1633. Aussi, l'effectif augmentera, mais de manière très progressive, pas assez promptement en fonction des missions à assurer, ce que mettront en lumière, soit des incendies, soit des rapports de l'état-major. Le personnel passera ainsi de 9 personnes, en 1890, à seulement 27, en 1900, puis 37, au début de 1910, et enfin 82, à la fin de 19131634, le mouvement s'accélérant au fur et à mesure du rapprochement de la Grande Guerre. C'est-à-dire qu'en 20 ans, la division active n'avait gagné que 28 sapeurs alors qu'en 3 années, elle en gagnera 45. Le fait que, tacitement, il n'ait pas été pourvu aux départs depuis 1891 explique que, au moment de la seconde année-rupture, la différence, entre début d'année et fin d'année, sera moins significative. Entre 1899 et 1900, la différence entre les dénombrements n'est que de 25 et porte essentiellement l'expression, à cet instant précis, des premières mises à la retraite qui se poursuivront jusqu'aux décisions de 1907 et 1913.

La référence aux années-ruptures que sont 1890 et 1899 conditionne, pour une grande partie, l'argumentaire aux trois phases successives notables dans l'interprétation du graphique1635. La première phase, comprise entre les années 1881 et 1890, serait une phase de maintien. Dans la recomposition des personnels de 1879, aucune réforme directe n'était introduite sur la formation humaine1636. Malgré les réflexions engagées en 1880 et 1885 face à des sinistres d'envergures ayant révélé plusieurs imperfections dont souffrait le bataillon mais devant l'inertie de l'application des décisions, le plus adapté était donc de maintenir un effectif imposant de manière à répondre à chaque réquisition dans les meilleures conditions. Sur cet intervalle de temps, la conservation d'un personnel nombreux s'imposait favorablement, ce qui explique, d'ailleurs, que les dénombrements ont pu augmenter après 1885, dans l'idée de proposer un service fonctionnel par une disposition de bras importante en attendant de pouvoir appliquer, sous certaines formes, le projet produit par Mr GRINAND 1637. Dans ce désir de maintien des effectifs, le plus difficile demeurait de combler les vides créés dans les rangs à la suite des démissions. L'imposition de l'engagement quinquennal ne supprimait pas les départs, nombreux à Lyon, et qui, à la lecture des procès-verbaux des séances du conseil d'administration ou de discipline, avaient pour principal motif l'emploi, sa recherche ou son exercice1638. Ce sont ces mêmes départs qui, à la charnière de 1890, deviendront l'expression de la réduction des effectifs sous l'impulsion de la création de la division active et auxquels s'ajouteront également les mises à la retraite ; le premier paramètre conduisant l'évolution de la deuxième phase, qui, conjugué à la deuxième variable avant que seule celle-ci ne finisse pas entrer en ligne de compte, produira l'accentuation caractéristique de la troisième phase.

L'interprétation qui vient d'être faite sur le mouvement des effectifs l'est sur une perception externe, celle du nombre. D'autres affectations, sous des notions différentes, comme la mobilité interne, sont appréciables et entrent dans l'analyse liée au personnel. Il s'agit pour l'essentiel, dans cette perspective de l'intériorité, de concepts déterminés sur l'avancement des hommes dans la charge de sapeur-pompier puis la responsabilité et l'occupation d'une fonction de sous-officier, voire d'officier. La promotion au sein du corps lyonnais se faisait généralement, hors l'entrée en jeu de conflits d'intérêts et de rapports humains conflictuels, selon le principe du tableau d'avancement sur lequel étaient portés les hommes les plus méritants. Les notions de mérite et de services rendus représentaient des fondements manifestes qui ne doivent cependant pas non plus occulter l'importance de la maîtrise pratique et théorique des manoeuvres propres au service d'incendie1639. En 1866, était ainsi instauré, semestriellement, un examen général et théorique dans chaque compagnie à la conclusion duquel les hommes ayant fait preuve de connaissances confirmées et mesurées étaient inscrits sur le tableau d'avancement1640. C'était là une manière d'encourager les sapeurs dans l'acquisition d'un savoir-faire mais c'était aussi une façon d'entretenir leur motivation par la possibilité d'accéder à un grade supérieur, à la solde plus élevée ; ce qui, pour l'individu, pouvait de plus améliorer les conditions d'obtention de certains avantages comme une pension de retraite légèrement plus importante du fait d'un traitement augmenté. En 1888, la question de l'avancement des hommes était définitivement réglée par la voie de concours, à moins de circonstances exceptionnelles, comme un acte de courage honorant son auteur1641. Les hommes avaient donc tout intérêt à travailler leur instruction. Le mode le plus adapté, et qui se répandra dès lors, consistait en une convocation des sapeurs des différentes compagnies pour des concours de pompes, de sauvetage et de stratégie internes au bataillon de la ville de Lyon devant un jury composé du commandant et des officiers1642. Cet examen remplaçait, sous une certaine forme, les théories récitées qui avaient cours jusqu'alors1643. La "récompense" par l'instruction fondait l'incitation des hommes à remplir pleinement leur fonction, y compris dans l'assistance aux manoeuvres mensuelles. Un ordre de 1893 rappelait ainsi la prise en compte, pour l'avancement, de l'assiduité des hommes dans le suivi des instructions1644. Dans tous les cas, à la mesure des sources disponibles, l'avancement se faisait suivant le principe de la voie hiérarchique. Malgré des résultats explicites dans la maîtrise de manoeuvres ou de techniques d'interventions, démontrés dans un concours, un sapeur de 1ère classe devait passer par le grade de sous-officier avant d'espérer accéder à un grade supérieur ; il en allait de manière identique pour un sous-officier.

Ne pas pouvoir disposer de registres de matricules pour le corps de sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, en dehors de spécimens, fonde un handicap. Il demeure mal aisé, par une lecture décennale ou plus, de reconstituer complètement des parcours personnels permettant de suivre l'évolution, selon des notions de modalités et de rapidité, et suivant différents critères, y compris celui de l'avancement. Aucun travail de perception humaine n'est, non plus, formellement envisageable entre les apparentes périodes historiques du corps lyonnais, sous l'influence des contextes politiques, nationaux et locaux, hormis la prise en considération de paramètres valables de manière générique dans d'autres institutions sociales. Plus schématiquement, il conviendrait de dire qu'il est difficile de dégager des paramètres humains, sous le nombre, qui soient exclusivement appropriés au corps de sapeurs-pompiers en dehors des rapports directs qui peuvent être fait au service d'incendie. Pourtant, à la vue du centre d'intérêt que représentait la lutte contre les incendies et l'institution en elle-même1645, peu de doutes subsistent sous une dimension humaine très importante, en dehors du fait de la constitution des rangs, et sous une mesure ayant certainement eu une influence considérable dans plusieurs des orientations, des choix, des attitudes comme des positions affirmées par la troupe et qui affectèrent le service1646. En plusieurs occasions, comme par exemple au moment de la recomposition de 1879 et la professionnalisation du corps, le cadre humain fut déterminant. La difficulté du recrutement, évoquée fréquemment par le conseil d'administration du bataillon de la ville de Lyon1647, ou la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers Français1648, malgré l'attrait de la fonction, a même éventuellement pu conditionner les progrès organisationnels du bataillon lyonnais. Dans cette perspective, les principes de financement n'auraient pas été le seul facteur de la lente conduite des réformes. Cette dernière vision pourrait alors se mettre directement en rapport avec la population de l'agglomération hormis que d'autres notions, comme les progrès techniques, entraient également en ligne de compte devant donner une lecture différente aux interprétations.

Notes
1629.

Voir le graphique n° 19, page II-322 : Evolution du nombre des sapeurs-pompiers composant le bataillon de la ville de Lyon sur la période 1881-1912 (hors sociétés annexes). L'ensemble des renseignements et des informations sur les effectifs, présenté par l'intermédiaire de ce graphique, est accessible dans le tome V.

1630.

Voir le graphique n° 19 : Evolution du nombre des sapeurs-pompiers composant le bataillon de la ville de Lyon sur la période 1881-1912 (hors sociétés annexes).

1631.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.

1632.

Idem 140.

1633.

L'Echo de Lyon du 05/10/1891.

1634.

Idem 140. En poursuivant un peu plus en avant la représentation graphique, à la date de 1914, le mouvement de la courbe aurait imprimé une inversion de la tendance avec un accroissement des effectifs. En mars 1914,
le corps comptait en effet 4 officiers d'état-major et 102 hommes du rang.

1635.

Voir le graphique n° 19, page II-322 : Evolution du nombre des sapeurs-pompiers composant le bataillon de la ville de Lyon sur la période 1881-1912 (hors sociétés annexes).

1636.

Idem 140. Arrêté ministériel du 31/07/1879 autorisant la création du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon sur la base d'un corps de 456 hommes.

1637.

Idem 144.

1638.

AML, 1270 WP 002 – Sapeurs-pompiers : Conseil d'administration du bataillon : - Comptes-rendus de séances ; 1863-1928 / AML, 1270 WP 007 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Conseil de discipline : - Procès-verbaux des séances ; 1876-1925.

1639.

AML, 1270 WP 008 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement et services du bataillon : - Règlement et consignes d'ordre général ; 1863-1911.

1640.

Idem 148.

1641.

AML, 1271 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement du bataillon, Registres d'ordres ; 1884-1892 ; 1892-1900. Ordre du 27/12/1888 enregistré sous le numéro 582.

1642.

Ibidem 150.

1643.

Idem 148.

1644.

Idem 150. Ordre du 09/02/1893 enregistré sous le numéro 58.

1645.

Le renvoi peut alors se faire sur l'objet de plusieurs articles de presse.

1646.

Ces notions pourraient faire l'objet de la conduite de recherches très ciblées.

1647.

AML, 1270 WP 002 – Sapeurs-pompiers : Conseil d'administration du bataillon : - Comptes-rendus de séances ; 1863-1928.

1648.

Evoqué lors du premier congrès de la Fédération, en 1882, alors Fédération des officiers et sous-officiers de sapeurs-pompiers de France et d'Algérie.