Depuis la fondation des sapeurs-pompiers, et même avant, sous la formation des unités ou des groupes déterminés comme devant porter une action efficace contre le feu, plusieurs valeurs ont été prêtées aux hommes qui en constituaient les rangs. Généralement, elles furent celles du courage et du dévouement qui fondèrent, d'ailleurs, la devise des corps de sapeurs-pompiers aux côtés bientôt d'une autre, "sauver ou périr". Ce sont là des notions qui dérivaient directement de l'opération conduite sur un foyer et qui demeuraient visibles par la population lors d'une intervention, ce qui ne devait pas occulter d'autres principes comme ceux de la solidarité sociale et de l'intérêt porté à autrui. Ces derniers concepts demeuraient, notamment, largement sous-entendus lorsque l'allusion était faite au service volontaire des hommes de condition moyenne, "brave ouvrier ou petit commerçant", qui, rentrant chez eux après une journée de dur labeur pour profiter d'un instant de repos avec leur famille, n'hésitaient pas, à l'appel de la générale, à tout quitter pour aller mettre leur vie en péril au service de la protection des biens privés et collectifs, économiques et sociaux1715. Cependant, si la représentation des valeurs a été perçue par la population, les travers l'ont aussi été. Ainsi, si chacun savait reconnaître le mérite des sapeurs-pompiers lorsque l'heure était grave, chacun savait aussi rire ou se "moquer" des attitudes ou des comportements de ces unités, entre le caractère militaire et l'association.
En s'arrêtant à la définition du sapeur-pompier donnée dans le Dictionnaire du XIX ème siècle de P. LAROUSSE, ressortaient plusieurs caractères qui tendaient à établir en fait une typologie concernant les individus1716. Le soldat du feu y était décrit comme un homme étant généralement de taille moyenne, aux épaules larges et à la poitrine bien développée, sous un physique avantageux. Il y était encore fait mention d'un individu vu comme l'enfant gâté des parisiens et dont il était dit que tous le suivaient de l'oeil avec complaisance lorsque le sapeur était à la parade ou sur l'intervention1717. Seulement, en poursuivant la lecture, le rapport se prêtait, en fait, spécialement au sapeur-pompier de la ville de Paris qui, par son caractère militaire, se devait d'une certaine tenue, d'une certaine discipline, d'un certain ordre, d'une certaine allure, auxquels l'administration militaire ne permettait aucune négligence, aucun écart et aucun manquement. L'ouvrage précisait encore que l'estime et l'affection portées par la population résultaient autant des services rendus que des traditions d'honneur et de délicatesse continuellement démontrées par les hommes1718. C'est un peu plus loin que la mention était faite, plus directement, du sapeur-pompier, dès lors qualifié "de province", où il était précisé, en introduction, que le Français avait l'habitude de rire de tout même des états les plus respectables1719 ; ce qui laissait présager une perception populaire différente selon les caractéristiques organisationnelles des corps. Le dictionnaire dépeignait effectivement une différenciation perceptive évoquant ainsi : ‘"(...), ce qui achève de donner au pompier provincial une physionomie qui appelle le sourire, c'est sa tournure empruntée, son embonpoint en révolte ouverte avec l'uniforme, son casque aux formes archaïques’"1720. A cette définition, suivait la référence à un homme brave et dévoué, toujours prêt à se porter au danger, avant de poursuivre : "‘Mais la malice du caractère français, tout en tenant compte du dévouement, ne veut pas faire grâce du petit côté amusant qui s'attache à ce nom de pompier ; elle s'acharne sur ce malheureux casque, sur cette bedaine qui fait craquer l'uniforme, et avant tout sur cette figure débonnaire qui forme, il faut bien le reconnaître, un si plaisant contraste avec l'air coquet et l'allure dégagée du pompier parisien’"1721.
Dans son ouvrage, Hubert LUSSIER notait cette double perception par l'image dans le titre d'un de ses chapitres en choisissant de l'intituler, sous une forme interrogative, prestige ou dérision 1722. Dans son étude, ciblée sur un département mais ouverte sur un entendement global et national, l'auteur écrivait que le temps n'était pas si éloigné où, sous son aspect le moins flatteur, la réputation du pompier le voulait ami de la bouteille, des fêtes, l'organisateur de kermesses, un préposé au folklore, arrosant plusieurs fois l'an la Sainte-Barbe1723 ; et ce, malgré la popularité des pompiers qui tenait, en tout premier lieu, au mérite que leur reconnaissaient invariablement les bénéficiaires de leurs actions. Sous ce registre de l'estime, la présentation par Louis LUMIÈRE de films sur des manoeuvres d'incendie aurait rencontré de vifs succès1724. Sans cesse se serait donc côtoyée la double représentation sous l'uniforme, pompeux avant de devenir fonctionnel, et, apparemment, le clivage entre sapeurs-pompiers de la capitale et sapeurs-pompiers "du reste" de la France. François BOURNAND, dans l'ouvrage de vulgarisation qu'il consacra au régiment de sapeurs-pompiers de la ville de Paris, sous le distinctif des couches sociales, plaçait en fait une acclamation et une appréciation communes : ‘"Voilà les pompiers ! (...), les hommes les envient ces braves qui passent ; les petits pieds aristocratiques de nos jolies mondaines trépignent d'impatience, leurs mains fines et gantées applaudissent à tout rompre ; (...) : Vive les pompiers ! C'est l'ovation mondaine. Ils sont passés devant les tribunes, salués de hourras frénétiques"1725 ; "(...), ils pénètrent dans le bois. La foule, la grappe humaine, qui attend à la lisière, bat des mains, crie : Bravo les pompiers ! et emboîte le pas avec eux. On les suit, on court pour les voir, on leur jette les épithètes populaires les plus flatteuses. C'est l'ovation du peuple"’ 1726. S'agissant là des soldats du feu parisiens, l'image transcende l'attrait pour l'institution. Renvoyé au pompier de province, comme choisissait de le nommer la définition du dictionnaire du XIXème siècle, l'homme, s'il recevait une manifestation d'enthousiasme identique de la part de la population lors de revues ou même de manoeuvres en public, était volontiers, le reste du temps, sujet à des remarques moins flatteuses légitimant une partie de sa catégorisation. A la fin du XIXème siècle, le pompier serait, en outre, apparu dépassé par le progrès et la modernité à tel point que l'aspect démodé serait devenu un des traits caractéristiques de l'image du personnage selon H. LUSSIER1727. Tout ceci fournit dès lors un éclairage au comportement de la presse quotidienne et du public à l'encontre du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon bien que se remarquent, sous le commandement des officiers RANGÉ et PERRIN, les premiers changements dans l'attitude populaire. Sous ces images, la caricature et la chanson auraient abondamment exploité le genre1728. Tantôt par une association flagrante, tantôt en un sous-entendu, il arrivait que les journaux publient des dessins humoristiques sous l'exercice de la fonction1729, alors que les couplets de chansons pouvaient insister sur certains traits ‘: "Au retour, il s'permet / le nectar ... hygiénique : / un pompier, ça s'explique, / doit avoir un plumet"1730.’
Changer la perception et l'image de la fonction, de l'institution, passait par une réflexion et l'introduction de changements radicaux. Ces notions, liées à une sensibilité par la vision, étaient très importantes car, dans un sens, le citoyen confiait à ces hommes la sauvegarde de ses biens et, dans certain cas, la préservation de sa vie. Le fait que soient facilement notés les écarts des hommes fondait l'association entre la société du XIXème siècle, et particulièrement les fondements régissant celle de la fin du dit siècle, la transition des services et la transmission de plusieurs valeurs sociales dont les sapeurs-pompiers pouvaient et surtout devaient être les représentants. Cet attachement, sous une certaine forme à une représentation symbolique par la fonction, allait devenir une préoccupation première. Le symbole des corps devait demeurer attaché au courage et au dévouement et ne pouvait souffrir, ne serait-ce qu'en fonction de ces principes, par essence nobles, d'une quelconque interprétation sous une évocation sociale moins méritoire. Ce souci par l'image, les pouvoirs publics, autorité et administration, mais aussi officiers, lui manifestèrent, à partir du décret d'administration publique de 1875, une attention particulière. Il est difficile de répondre à une question qui chercherait à établir à partir de quand l'image, hors service d'incendie, se serait dégradée. Le changement de régime politique, sous l'effet de la guerre de 1870-1871, semble produire un stade -mais sous quelle définition- révélateur d'un état, d'une situation patente ou déclencheur, c'est là toute l'ambiguïté de l'interrogation. Dans tous les cas, sous l'exposé des motifs du décret de 1875, sans qu'aucun article ne fasse pourtant une référence explicite, la réflexion allait devenir évidente1731. Cela allait également être, comme ce fut présenté antérieurement à propos de la fédération, un objectif corporatiste1732. Sur les dernières décennies du siècle, le projet fut donc déterminé d'uniformiser les tenues, de modérer les instincts festifs, de rétablir l'ordre dans les rangs, faire disparaître les casques à chenilles et les décorations factices de manière à rétablir une image, hors intervention sur les flammes, favorable1733. La préoccupation portait également le souci du recrutement, de la transmission et de la diffusion de plusieurs des principes républicains.
Sous l'exemple de la ville de Lyon, plusieurs des caractères précédemment évoqués ressortent. Ceux-ci, même s'ils donnent un aspect plus ou moins flatteur, ne doivent pas être occultés surtout qu'ils demeurent visibles et représentés. Il faut donc les reconnaître en tant que partie de l'histoire des corps de sapeurs-pompiers, ce qui n'enlève, de toute manière, aucunement les valeurs attachées à la fonction et aux hommes qui composèrent les rangs. Les articles de la presse quotidienne lyonnaise comportent peu de références ouvertes sur la représentation de la troupe pour une période historique comme le Second Empire. C'est à partir de la décennie 1870 que la perception devient plus directe, encore que, en fonction de plusieurs des particularités propres au contexte historico-administratif de l'agglomération lyonnaise, il soit souvent mal aisé de faire la part entre la réalité des faits et, suivant les tendances et les sympathies politiques des journaux, la volonté d'exagérer des caractéristiques alors utilisées à mauvais escient. Dans une simple note, datée de 1881, le commandant PITRAT s'insurgeait contre des articles souvent mensongers de différents journaux, racontant de faux accidents, toujours liés à un problème de service, en rajoutant sur de minimes, évoquant l'indiscipline des rangs1734. L'officier supérieur voyait dans ces actes la contribution à une propagation d'une image négative du service d'incendie et le fondement d'une attitude de plus en plus impertinente de la part de la population et vis-à-vis des hommes. Plus que la référence au service, dont l'intervalle de temps 1880-1890 portera une trace indélébile dans l'histoire du corps de sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, au physique, à la tenue et à l'uniforme, c'est le report sur certaines conduites, celles de la consommation d'alcool, qui ressortait le plus couramment dans l'association à l'image bien que, surtout à cet instant, le propos soit fréquemment à l'exagération. A l'évocation de la commémoration annuelle de la Sainte-Barbe, l'allusion avait déjà été portée sur l'autorisation des festivités de 1877 dont d'autres renvois, antérieurs ou postérieurs, porteront également la marque. Si Le Salut Public du 4 décembre 1872 évoquait le déroulement récent de la fête patronale du corps, célébrée de façon libre et laïque, un retour était fait sur l'utilisation du terme libre en notant : ‘"(...), car après le festin, tous, à ce qu'il paraît, n'avaient pas su garder la dignité de l'uniforme et conserver la grâce et le bon ton qui distinguent ce corps d'élite"’ 1735. Parmi les éléments ayant contribué à une inefficacité des hommes de garde le jour de l'incendie du Théâtre des Célestins, Le Petit Lyonnais évoquait un état des hommes qui ne leur permettait pas d'assurer leur garde convenablement1736. Le bataillon avait enterré, dans la journée, un de leur clairon et, comme tout enterrement, celui-ci aurait été suivi de copieuses libations1737. Le journal, dans son édition du 3 juin, revenait sur ses propos, mais de façon pernicieuse, en mentionnant une disproportion à propos des bouteilles de vin retrouvées au poste de garde car d'anciens "cadavres" traînaient là. En 1896, l'évocation était faite d'agapes, toujours dans les postes de garde, où il y avait un abus d'alcool et parfois la présence de femmes, qui, par politesse, étaient présentées comme une compagnie1738. Ce sont peut-être là des excès qui ont contribué, un temps, à ternir l'image des soldats du feu, mais les hommes restaient de coeur et il n'était pas rare qu'une célébration de la Sainte-Barbe produise une quête à l'intérieur des compagnies et destinée à de bonnes oeuvres1739. Sous d'autres perspectives -la tenue des rangs-, le ridicule a parfois pointé mais qu'une maîtrise technique faisait s'effacer. A partir de 1898, lors des revues avec l'autorité militaire, les sapeurs-pompiers lyonnais ne défilaient plus avec leurs armes, avec lesquelles ils paraissaient risibles, mais avec leurs matériels, leurs armes naturelles comme il était écrit1740. L'image du sapeur-pompier a donc sans cesse évolué entre une défense des valeurs, lorsque la reconnaissance était portée sur les actes de courage et de dévouement, tout bonnement sur le service d'incendie, et une interprétation des excès. Il est pourtant une circonstance, malheureuse, où seuls se dégageaient toute l'estime et le mérite qui étaient rapportés à la fonction, où l'hommage devenait unanime et l'image imperturbablement fixée sur une interprétation sociale plaçant l'individu en dehors d'un cadre classique : le décès d'un sapeur-pompier en service.
Dictionnaire du XIX ème siècle, Larousse, tome 19, pp. 1375 et suiv. Définition du terme pompier.
Ibidem 224.
Ibidem 224.
Ibidem 224.
Ibidem 224.
Ibidem 224.
Ibidem 224.
LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p. Chapitre XI.
LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p. Chapitre XI.
Ibidem 232. Il n'a pas été possible de retrouver la trace de ces films mais, par l'origine géographique de la famille LUMIÈRE, installée à Lyon, il peut être supposé que ces films présentent le bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon.
BOURNAND F. - Le régiment des sapeurs-pompiers de Paris, Paris, Moutonnet, 1893, 36 p.
Idem 234.
Ibidem 233. Dans le vocabulaire artistique, pompier (adjectif), est synonyme de démodé.
Voir le document n° 25 : Trait d'humour. BFP – Almanach Hachette de 1903. J.O VIOUT, dans son ouvrage Les Chambériens et le feu, utilise également cette planche.
Le Progrès Illustré du 26/10/1902 : "Le capitaine des pompiers s'éteignait doucement" ; Le Progrès Illustré du 20/12/1903 : "Le feu chez Dupoivrot".
Citation d'un couplet de la chanson des Pompiers de Nanterre.
Bulletin Officiel du Ministère de l'Intérieur – 1876 ; pp. 368-393. Circulaire du 06/05/1876 sur les modalités d'exécution du décret du 29/12/1875 relatif à l'organisation et au service des corps de sapeurs-pompiers, suivie de l'exposé des motifs du projet de décret.
Exprimé au premier congrès de la Fédération qui eut lieu en 1882.
LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p. Chapitre XI.
AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.
LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p. Chapitre XI. L'auteur note, pour sa part : "Telle compagnie qui, pendant les 12 mois écoulés, s'est attirée l'admiration de ses concitoyens perdra celle-ci le jour de la Sainte-Barbe".
Le Petit Lyonnais du 29/05/1880.
Idem 245.
AML, 1270 WP 023 – Sapeurs-pompiers : Interventions et incendies : - Incidents survenus au cours des interventions ; 1867-1944.
AML, 1270 WP 006 – Sapeurs-pompiers : Personnel : - Banquets et bals de la Sainte-Barbe ; 1855-1878 / AML, 1270 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Représentation du bataillon : Revues et défilés ;
1880-1923.
AML, 1270 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Représentation du bataillon : Revues et défilés ;
1880-1923.