Aucune réelle association ne peut être faite entre les obsèques d'un sapeur mort au feu et une revue, pourtant toutes les deux se rapportent à une représentation du corps mais la première demeure douloureuse. Sur l'ensemble de cette seconde partie du chapitre V, chacun des points abordés s'entremêle à différents niveaux. Certes, il existe des traits distincts qui font qu'une catégorisation des faits est envisageable, qui renvoie au découpage du plan en différents points. Néanmoins, tout, finalement, ne se ramène qu'à des notions essentielles, celles de la fonction et du corps, derrières lesquelles il n'est autre que la vie sociale. Les unités de sapeurs-pompiers n'ont pas été un unique organe de lutte contre les incendies, opération représentant déjà un pôle de vie communautaire, mais ont également et surtout formé des vecteurs d'adaptabilité à la vie collective, de façon générale, et à la vie associative. Ce dernier aspect, Hubert LUSSIER l'a abondamment mis en avant dans son ouvrage au titre d'ailleurs évocateur dans l'allusion qui était faite au monde associatif : Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire 1770. Ces concepts ne sont mesurables qu'au ou qu'à partir du XIXème siècle, plus précisément en sa seconde moitié1771. Sur cet intervalle de temps, certains auteurs ont choisi d'employer une expression renvoyant à un âge d'or, notamment après 1875, de la fonction mais sans lui donner une signification précise sous le rapport au service1772. Il y a bel et bien eu un âge d'or mais il demeure lisible sous le critère à l'association au sens strict, sans de réels reports, tout au moins toujours perceptibles, sur le service d'incendie. Des corps de sapeurs-pompiers auraient donc pu être constitués sous le paramètre de la représentation bien qu'il faille disposer d'un matériel d'incendie et s'engager sur un budget. La création trouvait alors bien l'origine sur la menace, persistante, omniprésente, sous une échelle de proportion différente selon les lieux et les milieux avec, en fait, en toile de fond, la poursuite d'une certaine forme de représentativité sociale, correspondant à la société des dernières décennies du siècle. Toutefois, plus généralement, en dehors de ce but, c'est l'évolution de la structure des secours qui pourrait déterminer plusieurs postulats sur ce développement lié à la représentation du corps, hypothèse qui irait du concours de la maîtrise des flammes à l'image du "vainqueur", de la transition entre service d'incendie et de secours généraux, ou, tout simplement, dans le besoin expressif de la vie quotidienne et du groupe.
Il existait plusieurs types de représentations, dont différentes évocations ont été abordées, mais le propos est, ici, celui de la marque, pour l'essentiel, visuelle, et de la perception de l'institution dans la vie municipale, hors intervention. Il est évident que les corps de sapeurs-pompiers, surtout avec l'avancée du siècle et l'évolution de la société, n'ont pas simplement joué un rôle sécuritaire. Lorsqu'une façade de bois était érigée sur la Place Bellecour en vue des manoeuvres et du concours entre les compagnies, au moment du congrès lyonnais de 1894, le projet était aussi celui d'une présentation aux populations1773. Ainsi, les corps de sapeurs-pompiers, par l'intermédiaire d'une participation à la vie sociale et non pas uniquement sous la garantie de la sécurité face à l'incendie, ont souvent pris part à différentes cérémonies. Ce pouvait également être une source de reconnaissance de l'action bénéfique de ces hommes. Par la place qui leur était accordée dans des cortèges officiels, le symbole était dès lors celui de l'utilité du service qui, dans tous les cas, renvoyait à la vie sociale des groupes communautaires. La question demeure pourtant quant à savoir si ceci restait d'un fondement essentiel dans l'intérêt et la fonction directe des unités de sapeurs-pompiers, soit la lutte contre les incendies. Hors concours de pompes et manifestations fédéralistes, les revues, les participations à des cortèges, à des cérémonies, parfois à caractère politique, n'étaient pas toujours le reflet de l'institution. Une imitation servile des principes militaires, hérités de la Garde Civique, peut apporter un élément de réponse. Seulement, l'idée, toute simple, du vecteur et d'un miroir de vie à travers certains besoins sociaux, à la lumière des exigences et des recherches établies par la société de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, peut prévaloir1774.
Comme ce fut écrit, le principal de ces représentations, sous la définition qui lui a été ici donnée, s'attache aux cérémonies et aux revues, autant sous un angle national que local. La référence à la Nation se fait sous la fête de l'Empereur1775, au moment du Second Empire, et au 14 juillet sous les principes républicains. Les sapeurs-pompiers prenaient, dans les deux cas, part aux festivités. Outre le fait que les gardes soient doublées à cette date -mais il s'agit là d'un pur aspect du service d'incendie-, les locaux et postes dans lesquels prenaient position les sapeurs-pompiers du bataillon de la ville de Lyon étaient pavoisés1776. Les documents ne font pas mention, jusqu'à la décision, en 1880, de célébrer le 14 juillet comme fête nationale française, d'une participation directe du corps aux cérémonies1777. En revanche, à partir de ce choix, le bataillon lyonnais participera à chaque défilé dans lequel, d'ailleurs, il apparaîtra armé jusqu'à la veille du XXème siècle où il sera demandé au bataillon d'assister à la revue avec son matériel, beaucoup plus approprié pour des spécialistes du maniement des agrès de lutte et de sauvetage1778. Le bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon participera également aux funérailles de personnalités, à des cortèges ou à des escortes officielles, comme ce fut le cas lors des visites de l'Empereur, en 1852 et 18691779. Ce sont, en revanche, d'ordinaires revues que passèrent les présidents de la République Sadi CARNOT, en 1888, et Félix FAURE, en 18961780. Symboliquement, celles-ci se déroulaient Place des Terreaux, face à l'Hôtel de Ville. Cependant, dans tous les exemples qui viennent d'être pris, il s'agit le plus fréquemment d'événements ponctuels, emblématiques de la vie nationale, qui, par une association à l'Etat, ont pu contribuer, soit à renforcer, soit à changer l'image, selon les circonstances, des corps de sapeurs-pompiers. Sans prendre pour référence de semblables événements, des revues étaient couramment passées1781. En 1864, Le Salut Public du 22 novembre s'attachait à dépeindre celle passée par le nouveau préfet du département du Rhône, Mr CHEVREAU, Cours Napoléon. Le quotidien évoquait alors une rue qui, sur toute sa longueur, entre Rhône et Saône, était couverte de pompes et de voitures contenant les paniers et les divers engins pour combattre les incendies, ce qui, compte tenu de l'état du matériel, à moins de forts espacements, était légèrement exagéré ; encore que, dans ce cas, il s'agisse d'un nouvel exemple se rapportant à un événement, la nomination d'un représentant administratif exerçant alors l'autorité de tutelle sur le corps. Il était pourtant des revues, en dehors des manoeuvres publiques, sans motifs apparents, où seuls le goût et le souci de la représentation valaient1782. Le Petit Lyonnais du 15 mars 1880 présentait ainsi une revue dirigée par l'officier commandant le bataillon de la ville de Lyon, Mr PITRAT, suivie de ce qu'il qualifiait d'une "promenade militaire" dans laquelle les sapeurs-pompiers traversèrent, avec leurs pompes à bras, deux pompes à vapeur et une échelle aérienne, les principales rues de la ville. Dans ce cas précis, il pouvait bien s'agir d'une expression de la vie municipale, certes d'une grosse agglomération urbaine, sous son service d'incendie1783. Rien n'était donc figé à la lutte contre le feu ; au contraire, tout était ouvert sur la vie sociale, ce qui parfois a d'ailleurs pu porter préjudice, en ce sens, à l'image de la fonction avec des revues pompeuses ou la recherche de l'apparat1784.
En tant qu'organe de la vie communautaire, le corps participait également à des cérémonies officielles comme celles de l'inauguration de bâtiments, pas encore pour avoir pris part à la réflexion sur l'aménagement et l'application des règles de prévention mais simplement sous l'image d'un corps administratif1785. Il s'agissait d'une représentation extérieure comme l'étaient de nombreuses revues. Dans certains cas, celui de concours de manoeuvres, par exemple, toujours sous une perception sociologique, l'expression, en dehors des concours ouverts au regard du public, était celle d'une représentation interne à la fonction, dans l'idée de la corporation. Le but des concours de pompes ou de sauvetage était bien évidemment celui du partage des connaissances, de la formation et des rencontres entre compagnies, mais comment, en fonction des paramètres sociaux, ne pas voir également une certaine projection représentative dans leur manifestation ? C'était, par ailleurs, l'occasion de renforcer l'esprit de corps, ce qu'avait très bien perçu la Fédération en organisant, à chaque tenue de ses congrès, de semblables concours1786. Le bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, par son image, celui d'une unité intervenant quotidiennement pour faire face aux risques concentrés dans une grosse agglomération, fut abondamment sollicité afin de participer à des concours, pour l'essentiel régionaux1787. Il le fut également dans le cadre d'événements nationaux, voire internationaux, mais le rapprochement pourrait dès lors se faire avec un aspect fondamentalement plus technique, correspondant à une approche plus pure du service d'incendie1788. Ces invitations étaient également des symboles de fraternité. L'exemple le plus caractéristique demeure la tenue du concours national et régional de manoeuvres de pompes à incendie qui eut lieu dans la ville de Vienne, en 19111789. Un concours ainsi qu'une exposition étaient organisés à l'occasion du centenaire de la fondation de la compagnie des sapeurs-pompiers viennois et du congrès de l'Union départementale des pompiers de l'Isère. Le corps de la ville de Lyon fut invité, et à plusieurs titres : pour son modèle de structuration, maintenant sur une division casernée et l'usage d'un matériel automobile, en tant que voisin mais surtout comme section d'honneur eu égard aux nombreuses interventions des pompiers de Lyon sur certains gros sinistres que connut la ville de Vienne1790. Une autopompe et 12 hommes furent donc envoyés pour représenter la ville de Lyon. Ces concours pouvaient également être une vitrine pour les villes au travers des récompenses attribuées. Ce n'est pas sans fierté que la municipalité lyonnaise accueillit la médaille d'or attribuée par Mr le Ministre de l'Intérieur à la section lyonnaise qui fut envoyée au concours de Saint-Etienne, en 18881791. Entraient encore dans cette vision d'une représentation interne qui serait celle, beaucoup plus complexe, de sentiments individuels face à une présentation externe, en public par exemple, les différentes manifestations festives organisées autour du service d'incendie. En 1889, se déroula une cérémonie qui fut appelée "Fête des sapeurs-pompiers lyonnais"1792. Bien que la manifestation soit publique et consiste en des démonstrations de techniques d'intervention, le but était également d'accentuer le sentiment de fierté des hommes, sapeurs-pompiers, pour la fonction, émotion que l'admiration du public contribuait à augmenter. Cette fête, proposant également des démonstrations de gymnastique, se déroula dans la soirée du 17 août 1889, Place Bellecour, lieu central de la presqu'île lyonnaise1793. Pour l'occasion fut construite une façade en bois représentant la hauteur d'une maison de 3 étages avec mansardes, soit 7,50 mètres par 181794. Après un défilé, furent présentées les manoeuvres de gymnastique, applicables au sauvetage avec le matériel en usage au bataillon, puis l'attaque d'un feu de cave, avec 2 établissements, et d'un feu en étages, avec 3 pompes1795. Le regard du public permettait aussi à la population de se familiariser visuellement avec les exercices de sauvetages et d'évacuation, surtout lorsqu'il s'agissait, dans des situations critiques, de pratiquer le secours de personnes par l'intermédiaire d'une toile ou d'un sac de sauvetage. Découvrir l'exécution de la manoeuvre contribuait à rendre l'appréhension d'un secours, dans l'utilisation de l'un de ces agrès, moins dangereuse pour la victime ou le sinistré.
L'ensemble de ces manifestations, qu'elles aient la forme d'une revue, d'une cérémonie ou d'un concours, parentes d'une certaine représentation, autant dans le sens du "spectacle" que de la perception psychologique à travers l'image, déterminait donc, sous des modalités précises, des caractéristiques de la vie sociale du XIXème siècle liées au service d'incendie ; et, sous l'échelle locale, de la vie municipale de l'agglomération lyonnaise. Tout ceci se fixait hors une stricte référence à l'intervention contre le feu. Les corps de sapeurs-pompiers s'inscrivent donc bien dans une histoire des sociétés qui ne se limite pas stricto sensu à la lutte contre le feu mais dépasse celle-ci pour annexer à une histoire de la gestion des risques une histoire sociale et associative.
LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p.
Cela devient facilement interprétable avec la connaissance de l'histoire des sapeurs-pompiers.
DALMAZ P. - Histoire des sapeurs-pompiers français, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, 128 p.
AML, 781 WP 025 – Exposition Universelle Internationale et Coloniale de Lyon ; 1894 : - Congrès international des sapeurs-pompiers : Organisation ; 1890-1898.
Ne serait-ce que sous un rapport à l'image, explicite ou implicite, dont le report sur le monde moderne ne ferait qu'apporter une confirmation.
Célébrée le 15/08 de chaque année jusqu'en 1869.
AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.
Idem 285.
AML, 1270 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Représentation du bataillon : - Revues et défilés ; 1880-1923.
Idem 285 / Le Courrier de Lyon du 18/09/1852 revenait sur le parcours emprunté par le Prince-Président tout au long duquel étaient postés des sapeurs-pompiers.
Idem 285.
Voir le document n° 27 : Revue des rangs - Milieu du XIX ème siècle. LUSSIER H. - Les sapeurs-pompiers au XIX ème siècle – Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L'Harmattan, 1987, 174 p. Crédits photographiques en position centrale de l'ouvrage. Il s'agit ici d'une revue ayant lieu dans la ville de Strasbourg. Au premier plan, à droite, une pompe à deux roues avec ses servants. Au second plan, derrière cet outil, les rangs de sapeurs-pompiers, à l'allure martiale, fusil sur l'épaule. En haut, à gauche, les tambours, qui réglaient la marche, les manoeuvres et les interventions avant qu'ils ne soient remplacés par les clairons. Juste au-dessous de ce peloton, près du sergent remontant les rangs, la cantinière du corps.
AML, 1270 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Représentation du bataillon : - Revues et défilés ; 1880-1923.
L'homme avait déjà été reconnu dans ses fonctions. Il ne s'agissait, ni de manoeuvres, ni de festivités programmées, la Sainte-Barbe n'ayant pas lieu à cette date.
Le Républicain du 04/09/1882 décrit une revue avec manoeuvre à la clé où le bataillon, après une inspection des effectifs, s'était dirigé, au son de la musique du corps, placée en tête du cortège, sur un lieu d'exercices.
AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.
Sous l'aspect purement technique de ces concours, des manuels furent publiés dans la fameuse collection Roret.
AML, 1270 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Représentation du bataillon : - Expositions, congrès, concours ; 1864-1939.
Idem 296.
Idem 296.
Idem
296 / AML, 1271 WP 027 – Sapeurs-pompiers : Interventions : Registres de sorties ; 1910-1927 /
1271 WP 029 – Sapeurs-pompiers : Rapports d'interventions : Registres ; 1908-1911 ; 1909-1920. Le dernier gros embrasement sur lequel le bataillon de la ville de Lyon fut appelé en renfort remontait au 14/08/1910.
A cette date, un incendie déclaré dans une usine viennoise nécessita, devant l'importance du sinistre qui fit
1.600.000 francs et le danger de sa propagation, l'intervention des sapeurs-pompiers lyonnais.
Idem 296.
AML, 1271 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement du bataillon : Registres d'ordres ; 1884-1892. Ordre portant le numéro 612.
Idem 301.
Idem 301. C'est cette même façade qui fut utilisée lors du concours organisé en 1894, au moment du congrès de sapeurs-pompiers se déroulant pendant l'Exposition Universelle Internationale et Coloniale.
Ibidem 301.