B. SERVICE PROFESSIONNEL

1. UNE PROFESSION : UN SALAIRE

La motivation pouvait être différente entre le sapeur-pompier accomplissant son service de manière volontaire et l'homme embrassant la profession de sapeur-pompier. La distinction fondamentale entre les deux se déterminait en fait sous un rapport à l'argent : le premier marquant son désintéressement, le second accomplissant son service en échange d'un salaire. Le vécu de la fonction et du devoir était dès lors, lui aussi, foncièrement distinct bien que, en fait, se reconnaisse une transmission des valeurs et des devoirs attachés autant au service qu'à la fonction que l'argent ne pouvait pas faire disparaître. Lorsque le lien est fait aux traitements alloués aux chefs de bataillon, notamment à partir du commandant WILLAMME, dont l'indemnité fut fixée à 3.000 francs, il est difficile de ne pas attacher cette "rémunération" à un service qui était souhaité comme constant et remarqué comme accaparant sous ce grade, d'autant plus que l'homme, comme la plupart de ses successeurs, était un ancien militaire qu'un retour à la vie civile laissait sans un revenu professionnel. La considération pouvait, de ce fait, porter, malgré le désir manifesté de la fonction honorifique, sur l'exercice de la charge comme d'une profession. Il en irait identiquement sous le grade de capitaine-adjudant-major. Le fait que la base du traitement demeure inchangée au moment de l'entrée en vigueur d'une réglementation des personnels des services municipaux de la ville de Lyon pourrait également concourir à apporter une confirmation à cette orientation, sous ces grades d'officiers supérieurs, à une assimilation professionnelle. Le vote de l'indemnité accordée au chef de bataillon sous un montant de 3.000 francs fut prononcé en 18741905. Néanmoins, la ville de Lyon fonctionnait déjà, à l'intérieur de son service d'incendie, avec une petite brigade de professionnels autour d'une structure appelée atelier de réparation et dont la localisation se faisait au Dépôt Général des pompes à incendie.

Cet atelier trouvait son origine dans le désir de l'Etat-Major du bataillon d'apporter une surveillance constante sur les réparations que nécessitait le bon fonctionnement des agrès d'extinction et de sauvetage1906. Par cette formation, le projet était également d'accélérer les travaux en limitant les intermédiaires. Le but était encore celui de faire confectionner, au sein de cet atelier, les outils et les instruments indispensables au service comme les boyaux de refoulement et d'alimentation en eau. Si le recrutement des ouvriers devant constituer cette structure s'opéra à partir de janvier 1865, l'arrêté définitif de constitution ne fut pris que le 17 mars 18651907. Dans cette création, la perspective était aussi celle de l'équipement futur de la ville de Lyon avec des pompes à vapeur qui demanderaient une surveillance et une attention mécanique particulières pour leur bon fonctionnement et que seraient alors habilités à délivrer les ouvriers du Dépôt Général. La décision était donc prise de composer un atelier formant une brigade de 9 hommes1908. Celle-ci se trouvait chargée d'exécuter tous les travaux, sans exception, de réparation et d'entretien du matériel ainsi que d'obtempérer à tous les ordres qui lui étaient donnés dans l'intérêt du service1909. Les hommes étaient également astreints à faire, à tour de rôle, et bien que l'arrêté n'emploie pas, à leur encontre, le titre de sapeurs-pompiers, le service de garde de jour au poste de l'Hôtel de Ville ainsi qu'un service de renfort dans les deux théâtres municipaux, le Grand-Théâtre et les Célestins1910. Surtout, ils devaient se porter sur tous les incendies et répondre aux ordres qui leur étaient donnés1911. Il devient donc difficile de ne pas voir dans cette organisation une structure professionnelle. En échange de ce service, chacun des hommes recevait un salaire annuellement proportionnel à sa fonction dans l'atelier ainsi qu'une indemnité de logement alors que l'habillement, l'équipement et l'armement étaient fournis par la ville1912.

Au moment de son organisation, la brigade formant l'atelier de réparation comprenait : un sergent-chef mécanicien, au traitement de 1.200 francs ; un ouvrier ferblantier pompier, un forgeron, un peintre, un menuisier et un cordonnier sellier recevant, tous, un traitement de 950 francs ; deux manoeuvres, au traitement de 900 francs chacun, et un garde magasin recevant 1.000 francs1913. La comparaison est difficile à établir sous la solde de sapeur puisque le service n'était pas accompli sur un mode identique entre le sapeur de 1ère classe des compagnies et l'ouvrier de l'atelier. Le premier voyait, par exemple, son service influencer l'exercice de son activité professionnelle et sa vie privée alors que le second était rétribué convenablement sur ce service sans répercussions sur d'autres sources qu'un déséquilibre, selon les gardes, dans sa vie familiale. Une différence de mesure entre la solde et le traitement se déterminait donc souvent au désavantage du premier. L'atelier fonctionna sur les bases de son établissement de 1865 jusqu'en 1870 où un nouveau projet d'installation de l'atelier d'entretien du matériel d'incendie fut étudié1914. C'est à partir de cette date qu'il devient délicat de retracer l'évolution de cette brigade et que la décision fut par ailleurs prise de traiter certaines des réparations avec un entrepreneur privé1915. La réalisation des travaux demeurait imposante puisque le service voulait que chaque matériel sorti sur une intervention ne soit pas rangé en l'état mais envoyé à l'atelier pour une révision complète et remplacé, le temps de cette vérification, par un matériel de réserve1916. Après chaque incendie, les pompes étaient donc amenées au Dépôt Général pour être démontées, graissées et remises en état, sous la surveillance du capitaine-adjudant-major, officier ayant en charge le bon fonctionnement du matériel. L'atelier aurait dès lors subi une dissolution partielle sous le choix effectué de confier les travaux d'entretien des agrès auprès d'une source extérieure au service. Des coûts élevés d'activité ont pu également entrer en jeu. Pourtant, régulièrement, il était fait référence, parmi le personnel du Dépôt Général, à des ouvriers. Ainsi, en 1881, dix hommes ayant cette qualité étaient comptés1917. Dans un arrêté du maire de 1883, il s'agissait cette fois d'un règlement qui portait la référence aux ouvriers employés à l'atelier du Quartier Central avec les amendes encourues pour tout manquement à la discipline et reprenant, dans ces grandes lignes, à propos du service d'incendie, l'arrêté de création de 18651918. En 1889, à côté de grades et d'affectations qui laissaient présager la future création de la section active, cinq ouvriers étaient encore comptabilisés1919. Si les actes font défaut sur la continuité effective du fonctionnement de l'atelier, l'interprétation du service permet néanmoins de retracer l'évolution de cette petite structure à l'intérieur du bataillon lyonnais. L'atelier n'aurait fait que subir des mutations. Au moment de la guerre de 1870-1871, son service aurait été simplement allégé, sous la baisse du personnel du corps, en confiant certaines tâches à des prestataires privés avant que cette orientation ne soit finalement conservée. A partir de cet instant, sous des effectifs plus ou moins importants, il aurait continué de fonctionner sous d'autres modalités jusqu'à ce que lui soit substituée la section active de 1890, et ce, pour plusieurs raisons : non seulement pour assurer l'efficacité du service mais, plus sûrement, la bonne marche des pompes à vapeur. Ces agrès réclamaient en effet un personnel aguerri et constamment instruit dont les ouvriers-mécaniciens recrutés pour former l'atelier présentaient le meilleur intérêt. Confier les réparations des agrès à des agents extérieurs a encore correspondu à l'exigence du service de cette brigade. Les hommes de l'atelier étaient présents au Dépôt Général, ce qui les rendait aptes à répondre à toutes les réquisitions. Du fait de leur obligation, selon le code de 18651920, ils se devaient en plus de se porter sur les incendies, d'assurer des gardes, ce qui entraînait forcément des retards dans l'exécution des travaux. Outre les crédits de fonctionnement partiellement accessibles, c'est bien l'exigence du service, lisible à travers les articles de presse ou les demandes sans cesse formulées à l'introduction de réformes, qui porte une confirmation au maintien de la structure sous un cadre légèrement différent de sa destination première. Il ne s'agissait plus que d'un effectif minime assurant uniquement la bonne marche des agrès de la catégorie des pompes à vapeur. La disposition, par exemple, de 6 ouvriers-mécaniciens, en 18831921, ne pouvait, ni correspondre, ni suffire à l'efficacité et à la fonctionnalité du service d'incendie de la ville de Lyon.

La composition d'un atelier, à l'origine de réparation et d'entretien des matériels, a constitué l'embryon du service professionnel de la ville de Lyon même si la structure s'est modifiée au fil des années pour finalement céder sa place à la création d'une section active, en 1890. Cette formation a fondé le point de départ dont les dispositions du règlement de 1865 concernant cette constitution et surtout le fait de verser un traitement correspondant à un salaire professionnel ne font aucun doute de la définition et la forme du service qui étaient accomplies. Seulement, cette structure, sous un effectif trop restreint, n'a jamais été assimilée comme un service professionnel, d'autant plus que le travail des ouvriers se ciblera progressivement sur une maîtrise technique, utile mais unique, dans l'usage des pompes à vapeur. C'est pourquoi les réflexions organisationnelles de THIERS et de GRINAND ne prenaient pas explicitement en compte l'appui sur cette petite unité et visaient, pour l'un, des transformations et améliorations, pour l'autre, une structuration nouvelle du service. Sous l'influence du rapport de Mr GRINAND, le bataillon de la ville de Lyon allait d'ailleurs prendre une nouvelle orientation avec la perspective d'établir, à terme, un fonctionnement sur un personnel entièrement professionnel et un service d'incendie réorganisé structurellement et matériellement1922. La base fut posée en février 1890 avec la création d'une section active de 9 hommes, hors grand et petit états-majors, qui pouvait, en termes de service, correspondre à ce qui avait été précédemment demandé aux hommes de l'atelier sans que n'aient été décidés directement l'entretien, la réparation d'agrès ou la confection de matériels1923. Néanmoins étaient compris dans ce personnel des ouvriers. L'effectif de départ s'avéra vite insuffisant étant donné que les communications téléphoniques propres au service d'incendie aboutissaient toutes, avec le développement du réseau, au Dépôt Général des pompes à incendie, siège de la division et de l'Etat-Major1924. C'est d'ailleurs à cet instant, devant les sorties et les interventions de plus en plus nombreuses de cette division, que fut donnée l'orientation de ne plus pourvoir au recrutement des personnels constituant les compagnies d'arrondissement. Le personnel de la section active fut donc progressivement augmenté pour atteindre, hors officiers d'encadrement, 21 personnes, en 18961925, et jusqu'à 39, en 19061926.

message URL DOC30.gif
Document n° 30 : Etat du salaire annuel des sapeurs-pompiers professionnels composant la section active du bataillon de la ville de Lyon pour les années 1896, 1902 et 1906

La rémunération des hommes composant la nouvelle entité professionnelle du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon était, bien évidemment, en fonction de leur grade1927. Sur la base du sapeur de 1ère classe, comparativement à une moyenne des revenus observée à l'échelle nationale dans le secteur privé, le salaire était en dessous de ce qui était couramment noté1928. Fonction de l'exercice d'activités dans le secteur artisanal, le traitement du soldat du feu se trouvait être, là encore, pour de nombreux cas, inférieur aux rétributions liées à plusieurs métiers. En revanche, sous le rapport à des emplois administratifs, comme celui d'instituteur, recevant de 1.000 à 1.500 francs suivant l'échelon à la veille de 19001929, la correspondance était de niveau semblable. Il n'en demeurait pas moins que l'exigence de la fonction était totalement distincte entre les deux professions. Le traitement des sapeurs n'était donc pas nécessairement en rapport avec la rudesse du service, les sacrifices consentis et les risques pris. Il est irréalisable de présenter un rapport journalier sous le traitement perçu par les hommes de la section pour le comparer à la solde d'un sapeur de compagnie car, entre les deux, il y avait une différence fondamentale qui se posait sur la qualité du service. Dans le cadre d'un service volontaire, les hommes se devaient de répondre à toute réquisition, du jour et de la nuit, 365 jours par an, ce qui facilitait le rapprochement à une proportion quotidienne. Sous un service professionnel, le fonctionnement était totalement réorganisé avec une alternance de journées de piquet d'incendie, plus tard de secours, de réserve et de repos, à laquelle se rajoutaient des périodes de congés. L'astreinte ne se déterminait dès lors plus sur des contraintes similaires entre les deux services et empêche d'autant une comparaison pertinente sous un rapport à l'indemnité. Avec le développement de l'effectif de la section, des distinctions continueront de s'opérer entre les sapeurs et les ouvriers employés au Quartier Central pour l'exercice de différentes tâches. Toutefois, si, en 1896, les ouvriers auxiliaires recevaient 1.400 francs annuels1930, en 1903, le salaire des ouvriers, pour 10 heures de travail quotidien, se différenciait selon la profession1931. Ainsi, le traitement d'un mécanicien conducteur allait de 1.600 à 3.000 francs selon sa classe1932 ; celui d'un palefrenier, de 1.600 à 2.100 francs ; celui d'un chauffeur, d'un forgeron, d'un chaudronnier, d'un ajusteur, d'un tourneur, d'un menuisier, d'un charron, et d'un bourrelier, de 1.600 à 1.900 francs ; quant au manoeuvre, son traitement, invariable, s'établissait sur une indemnité de 1.600 francs. Par rapport à ce qui sera observé pour un sapeur de 1ère classe, avec des perspectives d'avancement différentes, la distance entre les indemnités était de 200 francs1933. Seulement, l'exigence du service était totalement distincte entre les 10 heures journalières demandées, en 1903, aux ouvriers et l'astreinte du service d'incendie pour les sapeurs-pompiers avec, par exemple, le fonctionnement sur des gardes de 24 heures. La rémunération et son montant déterminaient logiquement une correspondance de service.

Notes
1905.

Procès-verbaux des séances du conseil municipal – 1874 ; vol. 1, séance du 18/02, pp. 427-429.

1906.

AML, 1270 WP 003 – Sapeurs-pompiers : Effectifs : - Services divers : Organisation et fonctionnement : Atelier de réparations ; 1863-1883. Lettre du commandant en date du 14/05/1863 à la commission municipale.

1907.

Idem 72.

1908.

Idem 72. Arrêté du 17/03/1865. Article 2.

1909.

Ibidem 74. Article 3.

1910.

AML, 1270 WP 003 – Sapeurs-pompiers : Effectifs : - Services divers : Organisation et fonctionnement : Atelier de réparations ; 1863-1883. Arrêté du 17/03/1865. Article 4.

1911.

Ibidem 76. Article 5.

1912.

Ibidem 76. Article 7.

1913.

Idem 76. Traitement à la création de l'atelier.

1914.

AML, 1.S.112 : Plan ; Lyon ; Sapeurs-pompiers ; Atelier ; Vers 1870 : Projet d'installation des ateliers d'entretien du matériel d'incendie ; Plan au 1/50ème.

1915.

Idem 76. Lettre du préfet au commandant en date du 30/12/1870 l'informant de cette décision.

1916.

Idem 76.

1917.

Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Administrative Chanoine, 1882, XLIII-295 p. ; pp. 103-108.

1918.

Idem 76.

1919.

Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon, Lyon, Imp. L. Delaroche, 1890, 691 p. ;
pp. 335 et suiv.

1920.

AML, 1270 WP 003 – Sapeurs-pompiers : Effectifs : - Services divers : Organisation et fonctionnement : Atelier de réparations ; 1863-1883. Arrêté du 17/03/1865.

1921.

Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Administrative Chanoine, 1885,
456 p. ; pp. 197-201.

1922.

VILLE DE LYON. - Sapeurs-pompiers - Commission d'études pour la réorganisation du bataillon des sapeurs-pompiers, Lyon, Association Typographique, 1885, 29 p.

1923.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.

1924.

AML, 1270 WP 022 – Sapeurs-pompiers : Installations d'avertissement et de sécurité : - Réseau téléphonique ; 1886-1938. Dans un rapport du commandant adressé au maire le 17/11/1890, l'officier supérieur stipulait qu'il y avait lieu de renforcer assez rapidement le personnel composant la section active.

1925.

AML, 1271 WP 088 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement du bataillon : Correspondance : Registres ; 1895-1896 ; 1896 ; 1896-1897. Document du 23/02/1896.

1926.

VILLE DE LYON. - Personnel des services municipaux – Règlement général, Lyon, Imprimerie Nouvelle Lyonnaise, 1906, 34 p.

1927.

Voir le document n° 30 : Etat du salaire annuel des sapeurs-pompiers professionnels composant la section active du bataillon de la ville de Lyon pour les années 1896, 1902 et 1906. L'emploi du signe égal est l'expression de la conservation d'un traitement identique. Le trait en diagonale marque l'absence du grade.
Les sources sont, pour l'année 1896 : Ibidem 91 ; pour l'année 1902 : AML, 1271 WP 091 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement du bataillon : Correspondance : Registres ; 1901-1902 ; 1902 ; 1902-1903 ; pour l'année 1906 : Idem 92 ; p. 18. Les sommes présentées sont celles correspondant à des débuts de classe dans un grade.

1928.

DUPEUX G. - La société française (1879-1970), Paris, Armand Colin, 6ème éd., 1986, 271 p. Chapitres 2 et 3.

1929.

Ibidem 94.

1930.

Voir le document n° 30, page II-376 : Etat du salaire annuel des sapeurs-pompiers professionnels composant la section active du bataillon de la ville de Lyon pour les années 1896, 1902 et 1906.

1931.

AML, 1270 WP 092 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement du bataillon : Correspondance : Registres ;
1903-1904. Salaire au 01/12/1903 des ouvriers employés au Dépôt Général selon leur profession pour 10 heures de travail.

1932.

Sous le traitement de la dernière classe, 3.000 francs, l'indemnité était supérieure à celle accordée jusqu'au capitaine-adjudant-major de 2ème classe, c'est dire l'importance qui était attachée à la maîtrise technique sous la mécanique, notamment dans la perspective du développement de la traction automobile.

1933.

Idem 96.