2. LES SECOURS ACCORDÉS PAR LA VILLE DE LYON

Si le code de 1807 comportait, dans son article 27, une référence aux pensions mais sous la dénomination d'une indemnité de retraite, l'article 25, sous son intitulé, pouvait seulement supposer de la distribution d'un secours2094 ; encore que, dans ce cas, il ait manifestement plus eu la vocation d'une récompense pour un acte ayant mis en péril la vie du sauveteur que pour une blessure reçue, bien que parfois les deux aillent de pair. Il était ainsi précisé qu'il était constitué, chaque année, un fonds extraordinaire de 1.200 francs, auquel pouvait s'ajouter le montant des retenues de traitement, devant être réparti, sur l'avis des commissions de surveillance pour le secours contre l'incendie et municipale, en gratifications pour les gardes-pompiers qui s'en seront rendus dignes2095. C'est dans l'article 26 que la notification y était plus ouverte puisque ce point admettait la réserve du conseil municipal à voter des encouragements extraordinaires en faveur de celui ou ceux des gardes qui auraient été victimes de leur dévouement sur le théâtre d'un sinistre ou en service2096. Quel que soit le renvoi, la décision était presque continuellement un libre arbitre qui permettait donc bien de reconnaître, à cette date, le droit à une pension de retraite et, seulement, l'éventuelle disposition d'une pension de secours dans le cas d'un accident. Or, l'un et l'autre étaient aussi importants dans la vie sociale d'un individu engagé dans les rangs de la compagnie des gardes-pompiers de Lyon. La faculté à disposer d'une retraite permettait, comme l'exprimera le rapporteur de la commission chargée de travailler à la constitution d'une caisse spéciale en faveur des retraités du bataillon, en 1885, de procurer un soulagement dans une période difficile de la vie sociale des personnes2097. Pourtant, la situation était tout aussi critique, toujours sous le critère de l'existence sociale, pour un sapeur, accomplissant volontairement un service pour la sécurité d'autrui, lorsque celui-ci se trouvait dans l'incapacité d'occuper l'exercice de sa profession, outil de survie économique de l'individu et du ménage, par suite d'une blessure ou d'une maladie contractée durant son service de feu ; encore qu'il puisse disposer, parfois, du soutien accordé par le bénéfice d'une société de secours mutuels.

Au moment où fut promulguée la circulaire de juin 1851 sur l'application des principes législatifs de la loi d'avril 18512098, le désir fut manifesté par les représentants municipaux de la ville de Lyon de se mettre en mesure de constituer une caisse communale de secours et pensions. Seulement, à la lecture du règlement des sapeurs-pompiers de 1858, il n'est fait aucune mention de l'éventuelle disponibilité du capital d'une telle institution ; une création peut-être négligée sous les bouleversements administratifs qui furent introduits au moment de la réunion des communes suburbaines à la cité lyonnaise pour composer une agglomération et qui ne permirent pas d'organiser promptement un organisme pourtant si utile. Quoi qu'il en soit, l'article 21 de la réglementation de 1858 spécifiait que des secours pouvaient être accordés aux sapeurs-pompiers dans le cas de blessures reçues ou de maladies contractées dans le service et donc de nature à motiver des secours exceptionnels2099. En fait, les choses changèrent graduellement avec l'admission d'une idée, louable, par l'intermédiaire de laquelle les communes, et en l'occurrence la ville de Lyon, espéraient se dégager de leurs obligations et qui n'était autre que le concours à l'assurance des personnels de service d'incendie2100 ; un souhait qui fit son chemin à partir d'une décision prise lors d'une séance du conseil municipal en novembre 18712101. C'était là une attention d'autant plus digne que, comme l'expriment les documents n°s 31 et 322102, les sapeurs-pompiers étaient fréquemment victimes de leur devoir2103. Toutefois, cette volonté ne dégageait pas, comme il le fut souhaité, les autorités municipales des obligations que leur imposait la loi de 1851. Les actes réglementaires de 1871 et 1879, n'ayant pas reçu d'assentiment administratif et n'introduisant pas de modifications significatives, c'est au règlement de 1896 qu'il faut ensuite se référer pour connaître les impératifs qui devaient alors être respectés. Ainsi, l'article 136 établissait que tout sapeur qui recevait des blessures dans un service ou contractait une maladie entraînant une incapacité de travail, temporaire ou permanente, avait droit à des indemnités ou à une pension suivant les circonstances2104 ; et ce, dans les conditions exprimées par la loi du 5 avril 18512105. D'autres articles réitéraient, quant à eux, les conditions à remplir pour qu'un report soit accordé aux veuves et aux enfants, comme le non-remariage ou l'absence de séparation2106. Seulement, dans cette répartition, des bouleversements ne tarderont pas à être introduits du fait du vote de la loi de finances de 1898, son article 59 et le décret d'exécution de 18992107. L'association se fera alors, plus ou moins distinctement, avec la notion d'assurance, et qui sera abordée ultérieurement2108.

Lorsqu'un accident survenait durant l'exercice de la charge de sapeur-pompier, pire, lorsqu'il y avait un décès, il n'était pas rare de voir s'exprimer, en dehors de l'hommage rendu par les rangs et les populations lors des obsèques, la reconnaissance des uns et des autres au travers de souscriptions ouvertes au profit des familles2109 ; ce qui pouvait déjà procurer le synonyme d'un réconfort bien que rien ne puisse consoler la perte d'un être cher. Quand l'accident ne portait pas à cet extrême, c'est-à-dire quand une blessure était reçue ou une maladie contractée dans l'exercice du service d'incendie, toute une série d'enquêtes, de procès-verbaux et de pièces, devait être fournie par l'intéressé de façon à pouvoir obtenir une compensation en fonction du préjudice qu'il estimait avoir subi2110. Cette estimation, rapport aux situations économiques et sociales, se faisait rationnellement sur l'incapacité de travail qui découlait d'un accident ou d'un incident, puisque, de toutes les manières, que l'atteinte soit physique ou morale, l'une et l'autre exprimaient une conséquence forcée sur l'activité professionnelle. Ceci, rappelons-le, était relativement important car le choix et l'accomplissement du service d'incendie, l'occupation de la fonction de sapeur-pompier, se remplissaient, à cet instant, de manière libre, volontaire, désintéressée, pour ne pas dire gratuite ; la solde, bien que des avantages soient concédés, et que le développement actuel y porte la référence au titre des secours et pensions, ne proposait qu'une maigre compensation. Il était alors capital que, face à toute situation critique issue de circonstances parfois dramatiques, pour un ménage comptant un soldat du feu parmi les siens, une solution rapide, quelquefois durable, soit apportée. Le sentiment qui animait la décision d'indemniser un sapeur victime de son dévouement était d'ailleurs souvent plus fort qu'une simple reconnaissance, peut-être s'apparentait-il à une équivalence admirative. Dans tous les cas, il était primordial que, face à un événement qui pouvait laisser ou conduire une famille à la misère par le décès, et donc la perte d'un revenu, ou une incapacité d'exercer sa profession pour un sapeur, un réconfort soit apporté à un homme qui, sans même penser à lui ou aux risques qu'il pouvait courir, acceptait de se mettre au service de la collectivité et de la sécurité de son prochain ; encore que le rapport ne soit pas foncièrement sur le sauvetage des vies humaines mais se ramène à des biens économiques ou sociaux dont la fortune est difficilement proportionnable à la perte de la vie ; bien que, sous un certain degré de destruction, il y ait un rapport de perte ou de sauvetage mais qui est celui à la vie sociale que le développement des sociétés d'assurance permettait néanmoins de compenser.

La décision d'indemniser un sapeur-pompier victime de son dévouement ainsi que le vote du montant de l'indemnité se faisaient donc après enquête2111. Sur la période courant entre la promulgation de la loi de 1851, l'expression du voeu de l'assurance de l'effectif du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon et la signature de contrats d'assurance, les secours et pensions ont été délivrés en s'appuyant sur les finances municipales2112. Les sommes versées, comme l'exprimait l'article 5 de la loi de 1851, étaient proportionnelles à l'estimation du préjudice, à la situation économique de l'individu, souvent issu des strates sociales de condition moyenne -comme l'étude de la forme, la composition et l'évolution des effectifs l'a démontré2113-, à la profession qu'il occupait et au salaire journalier qu'il percevait2114. Lorsqu'une assurance des personnels d'incendie fut souscrite, à partir de 1871 pour l'agglomération lyonnaise, rien, en fait, ne soustrayait les municipalités, qui croyaient pourtant se dégager de leurs obligations, des devoirs que leur imposait la loi de 1851. Si bien que, malgré certaines clauses à l'engagement des sapeurs à compter de 1871, une allocation, prenant la forme d'un complément, pouvait être réclamée auprès de l'administration municipale2115 ; ce qui était d'autant plus justifié que le paiement des polices d'assurance devant protéger le personnel s'effectuait, en fait, dans le cadre de la ville de Lyon, au moyen d'une retenue sur traitement déguisée en une augmentation dont, seule, une partie était affectée à la solde, l'autre partie étant donc utilisée pour assurer les hommes2116. En dehors des secours et pensions, que le texte de 1851 définissait comme temporaires ou permanents, se plaçait le secours une fois donné, soit une aide ponctuelle. Souvent employé pour venir en soutien aux veuves2117, il était couramment chargé de répondre à une demande précise : une situation s'étant dégradée ou des difficultés passagères, par exemple. Il pouvait, de plus, s'ajouter à une pension annuelle ou viagère, ce qui constituait fréquemment un supplément appréciable. Son usage, dans le cadre de l'unité lyonnaise, fut avant tout dans la concession d'une aide aux veuves de sapeurs-pompiers décédés en activité sans encore avoir eu droit à une retraite2118 ; d'autant que son bénéfice pouvait être accordé plusieurs années de suite à un même titulaire. Si ce droit n'était pas reconnu, ou quand une veuve n'avait pas droit à la réversibilité de la pension de retraite de son mari, la possibilité était toujours donnée d'essayer d'obtenir une aide, voire une pension, auprès de la caisse des victimes du devoir2119. Cependant, quelle que soit la forme de l'indemnisation accordée, qu'elle soit issue des prérogatives reconnues par l'acte législatif de 1851, des modalités d'assurance, rien ne supprimait les contentieux à l'image de celui issu de l'accident du sapeur BESSON, en 1890, lors d'une démonstration d'attaque d'un incendie2120. Quoi qu'il en soit, le règlement fut à l'avantage de la famille du réclamant, qui avait ici payé de sa vie, certes, non pas sur le théâtre d'un incendie mais sur celui de la représentation du corps, circonstance pour la moins exceptionnelle pour laquelle l'assurance devant couvrir les risques du service se montrait réticente à respecter ses engagements. Parmi les secours et pensions qui pouvaient être alloués aux sapeurs-pompiers, suivant une forme bien ancrée dans le tissu socio-économique de la société du XIXème siècle, figuraient encore ceux étant issus des sociétés de secours mutuels ; une forme de mutualité renvoyant à la conscience du groupe ou du corps, dernier terme d'ailleurs approprié à la définition classique d'une unité de sapeurs-pompiers.

Notes
2094.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929. Règlement du 28/10/1807 rappelé lors de l'approbation par décret impérial du 22/01/1808.

2095.

Idem 260. Article 25.

2096.

Idem 260.

2097.

AML, 1270 WP 012 – Sapeurs-pompiers : Pensions de retraite : - Caisse spéciale en faveur des retraités du bataillon des sapeurs-pompiers de Lyon : Création et fonctionnement ; 1879-1913. Propos exprimés au moment du rendu du règlement d'administration de cette caisse le 15/01/1885.

2098.

Recueil des actes administratifs du département du Rhône – 1851 ; pp. 231-237. Circulaire d'application de la loi du 05/04/1851 en date du 28/06/1851.

2099.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929. Règlement pour l'organisation, l'administration, le service et la discipline du corps municipal des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon en date du 14/11/1858.

2100.

AML, 1270 WP 011 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Assurances contre les accidents et contentieux ; 1871-1902.

2101.

Idem 265. Séance du 09/11/1871.

2102.

Voir le document n° 31, page II-409 : Bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon - "Morts au feu !" / Voir le document n° 32, page II-411 : Etat du service de santé du corps de sapeurs-pompiers de la ville de Lyon sur la période 1896-1911.

2103.

AML, 1270 WP 010 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Accidents en service, secours financiers : - Accidents en service ; 1880-1910 ; - Secours après accidents en service ; 1851-1931 ; - Secours accordés aux veuves ; 1859-1938 ; - Indemnités pour maladies ; 1867-1882.

2104.

VILLE DE LYON. – Sapeurs-pompiers – Bataillon des sapeurs-pompiers – Règlement, Lyon, Association typographique, 1896, 55 p.

2105.

VILLE DE LYON. – Sapeurs-pompiers – Bataillon des sapeurs-pompiers – Règlement, Lyon, Association typographique, 1896, 55 p. Article 137.

2106.

Idem 271. Articles 140 et suiv.

2107.

Bulletin Officiel du Ministère de l'Intérieur – 1900 ; pp. 69-85. Circulaire ministérielle du 31/12/1899 sur l'application de l'article 59 de la loi de finances du 13/04/1898 et de son décret d'exécution daté du 12/07/1899.

2108.

L'approche se fera un peu plus en avant de cette seconde partie du chapitre VI.

2109.

Le Petit Lyonnais du 19/04/1879 présentait la répartition des sommes collectées à la suite du décès du sapeur GUTTON par souscription et à l'attention de la famille du défunt. Le Progrès du 13/09/1884 revenait, quant à lui, sur le soutien apporté à la famille du sapeur JUBITZ après son décès accidentel.

2110.

AML, 1270 WP 010 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Accidents en service, secours financiers : - Accidents en service ; 1880-1910 ; - Secours après accidents en service ; 1851-1931 ; - Secours accordés aux veuves ; 1859-1938 ; - Indemnités pour maladies ; 1867-1882.

2111.

AML, 1270 WP 010 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Accidents en service, secours financiers : - Accidents en service ; 1880-1910 ; - Secours après accidents en service ; 1851-1931 ; - Indemnités pour maladies ; 1867-1882.

2112.

Idem 277.

2113.

Voir la partie du Chapitre V qui s'y rapporte.

2114.

Idem 277.

2115.

Idem 277.

2116.

AML, 1270 WP 011 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Assurances contre les accidents et contentieux ; 1871-1902.

2117.

AML, 1270 WP 010 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Accidents en service, secours financiers : - Secours accordés aux veuves ; 1859-1938.

2118.

Idem 283.

2119.

La caisse des victimes du devoir, société de bienfaisance, sera reconnue d'utilité publique par un décret du 18/05/1889. Parmi ces voeux était présenté celui de venir en aide aux victimes des incendies.

2120.

AML, 1270 WP 010 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Accidents en service, secours financiers : - Accidents en service ; 1880-1910 ; - Secours après accidents en service ; 1851-1931 / Idem 282.