3. LA PART DES SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS

Le Salut Public du 17 mai 1853 écrivait, dans ses colonnes, que les sociétés de secours mutuels et les caisses de retraite étaient maintenant des institutions complètement accréditées, mentionnant que tout ceci était le résultat de l'heureuse impulsion et des généreux encouragements qu'avait bien voulu donner le gouvernement. Jusqu'à ce que soit constituée, en 1890, la section active du corps de sapeurs-pompiers lyonnais, une seule société de secours mutuels, la société enregistrée sous le numéro 134, soit la société de secours mutuels du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon2121, exerçait sa bienfaisance. C'est à cet organisme que viendra donc s'adjoindre, d'ailleurs un peu tardivement à la constitution de la division active, la société enregistrée sous le numéro 344, soit la société de secours mutuels dite de la section active des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon2122. La première société, celle portant le n° 134, fut en fait formée juste au moment où fut créé le bataillon lyonnais, en toute logique, puisqu'il s'agissait, chez les sapeurs-pompiers, d'une nouvelle structure administrative mais aussi opérationnelle du service d'incendie officiant sur le territoire lyonnais2123. La vocation de cette institution, comme toute structure de cette classe, était de venir, en premier lieu, au secours des malades et des vieillards. Son fonctionnement se basait sur un principe simple, celui de la mutualité, soit un système connu de solidarité entre les membres d'un groupe professionnel, bien qu'il s'agisse plus ici de l'occupation d'une fonction, et reposant sur l'exercice d'une entraide mutuelle lorsqu'un membre en exprimait le besoin. C'est d'ailleurs dans ce modèle de formation que se repèrent le plus la conscience et la manifestation d'un esprit de corps sous la fonction de sapeur-pompier, non représentative à cet instant d'une profession mais d'un service exprimant d'autres motivations -notamment personnelles- que celle de la recherche d'un profit, même si des nuances sont à admettre ; une société à travers laquelle les particuliers pouvaient également prendre part à la reconnaissance qui était éventuellement exprimée dans la distribution de secours par une prise de participation dans l'institution sans toutefois pouvoir bénéficier des avantages qu'elle accordait. Les communes, sous le régime de la loi de 1851, pouvaient, de plus, trouver des avantages, encore qu'il ne puisse s'agir d'aucun facteur substitutif à leurs devoirs, à ce que de telles institutions s'établissent. Celles-ci pouvaient effectivement concourir à l'amélioration de la situation d'un soldat du feu malade ou blessé, et, en ce sens, éventuellement alléger la charge de pension sous le régime communal. C'était, en outre, des structures pour lesquelles les pouvoirs publics admettaient régulièrement, dans leur bienséance, des facilités dans les bases de leur fonctionnement en concédant, par exemple, la fourniture, gratuite, d'un local, d'imprimés ou l'exemption de droit de timbre et d'enregistrement2124.

Les buts énoncés par l'intermédiaire des statuts de la société de secours mutuels du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, qui se plaçait sous l'invocation de Sainte-Barbe2125, étaient, au demeurant, très clairs : celui de donner accès à la consultation d'un médecin et aux soins médicamenteux que nécessitait l'état d'un sociétaire malade ; celui de payer des indemnités pendant le temps que durait une maladie ; celui de pourvoir, en cas extrême, aux frais funéraires d'un membre sociétaire2126. Deux catégories de participants étaient donc admises dans cette société : les sociétaires directs, soit ceux qui, par la souscription d'un engagement et le rapport à la fonction, se conformaient aux statuts et au règlement de l'institution et prenaient part aux avantages conférés par l'association2127 ; les membres honoraires qui, par une simple adhésion sans autre rapport, contribuaient à la prospérité de l'institution sans participer à ses avantages2128. Les conditions d'admission se fixaient, en fait, pour les sociétaires, sur les critères d'admission au sein du corps de sapeurs-pompiers, hormis que le rapport n'était pas fait directement à la fonction, bien qu'elle en soit l'élément moteur, mais à l'exercice d'une des professions exigées pour faire partie des rangs du bataillon de la ville de Lyon2129. L'admission parmi les membres de la société de secours mutuels n'était donc pas acquise de droit et demeurait soumise au respect de l'organisme ; un défaut de paiement de cotisation, puisqu'il s'agissait de mutualité, entraînait, au même titre qu'un écart dans le service d'incendie, une sanction, qui, stade ultime, pouvait aller jusqu'à l'exclusion2130. L'administration de la société était confiée à un conseil composé de 23 personnalités qui, en dehors du président, nommé, et du commandant, membre de droit, étaient élues par la société réunie en assemblée générale2131. Sous la division du bataillon en compagnies, des bureaux, dits spéciaux, composés de 7 membres, étaient en fait placés dans chaque arrondissement de la ville, et chargés de recevoir les demandes de secours2132. L'occupation d'une charge administrative comme la simple participation à la société correspondait bien à un engagement ; par exemple, une absence non justifiée à une assemblée générale soumettait dès lors son auteur, même si l'acte était involontaire, à une amende2133.

En dehors de la mutualité, le système fonctionnait sur le service de personnes dites "visiteurs" dont le rôle était de se rendre au domicile des malades, de constater leur état, de garantir les visites du médecin, de s'assurer de l'exécution à leur égard des droits issus de leur participation à la société de secours mutuels et, dans le même temps, de noter éventuellement tout abus ou infraction2134. Le service médical et pharmaceutique était en fait régenté de manière très précise. Les médecins, assermentés, étaient payés, pour leurs visites, sous la forme d'un abonnement2135. Cette visite, lorsque le besoin en était manifesté, ne se faisait d'ailleurs pas uniquement au titre du sociétaire mais aussi pour l'épouse ou les enfants, à l'exception toutefois des situations d'accouchement2136. A chaque consultation, le médecin, de manière à justifier l'éventuel secours qui serait accordé au requérant, devait remplir une feuille de visite constatant l'état du patient, les soins nécessités et l'inscription de son incapacité de travail lorsque c'était le cas2137. Dans la fourniture et la disposition de médicaments, l'institution avait en fait des conventions avec des pharmaciens ou des établissements de bienfaisance, ce qui permettait, dans un certain sens, d'avoir un regard sur les prescriptions et la maîtrise des dépenses2138. Afin de bénéficier des avantages qui viennent d'être rapidement présentés, les adhérents devaient s'engager à payer une cotisation mensuelle qui, en 1855, se montait à 1,50 franc, soit 18 francs par an, accompagnée, à l'admission, d'un droit de réception de 10 à 15 francs selon la tranche d'âge2139.

C'est cette cotisation qui donnait droit à l'engagement des obligations tenues d'être respectées par la société envers ses membres. Ainsi, les soins du médecin et les médicaments devaient être donnés pendant tout le cours de la maladie tout en cessant lorsque celle-ci durait plus de 6 mois2140. A chaque membre malade, l'association accordait, sous conditions, une indemnité de 1,50 franc par jour pendant les trois premiers mois de la maladie et de 1 franc par jour pendant les trois mois suivants tout en sachant qu'une atteinte inférieure ou égale à trois jours ne donnait droit à aucun secours2141 ; ce qui, au terme de 6 mois, produisait approximativement une somme de 221 francs. S'il arrivait à un membre d'être plusieurs fois malade sur une année, les temps de secours s'ajoutaient jusqu'à former l'échéance maximale, soit 6 mois2142. Ces secours étaient dus, y compris quand avaient été ordonnés les eaux thermales ou un séjour à la campagne, et ce, sous les caractères qui viennent d'être évoqués2143. Au-delà de 6 mois d'une maladie, le sociétaire était alors reconnu incurable et l'allocation qui lui était accordée devenait réglée, sous certaines conditions, annuellement et en conseil, sur le revenu d'un fonds de réserve ou de ressources éventuelles dont disposerait la société2144. En cas de décès, l'article 56 des statuts de la société de secours mutuels du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, énonçait que ‘"La société assure, à ses membres, en cas de décès, un enterrement convenable, dont elle supporte tous les frais qui ne pourront jamais excéder 60 francs"2145.’ Par l'article 58, ce droit était également concédé aux épouses.

Au regard des ambitions affichées par les statuts de la société de secours mutuels, exprimées ici au travers d'un livret de sociétaire datant de 1855, statuts qui s'adaptèrent continuellement aux modifications du corps et de la société lyonnaise, la disposition de substantiels capitaux était néanmoins nécessaire ; d'autant plus que le projet était également formulé de distribuer des pensions de retraite2146. Le fonds de fonctionnement se basait donc sur les cotisations des membres participants, des membres honoraires, du produit des amendes, celles issues des manquements au règlement de cet organisme, des dons et de legs de particuliers, des subventions accordées par l'Etat, le département et la ville de Lyon, et des intérêts de fonds placés2147. Seulement, aucun état n'est actuellement accessible ou disponible, de manière complète, pour fournir un tableau des secours qui furent attribués dans le cadre de cette société. Pourtant, à n'en pas douter, le bénéfice de son action a du être important car le service d'incendie soumettait les sapeurs-pompiers à de rudes conditions qui faisaient qu'il n'était pas rare que le service ait, à court ou à long terme, une incidence sur la santé des hommes qui ne disposaient encore que de peu de moyens, y compris dans l'accessibilité aux soins ; ce qui peut, dès lors, rendre compte de la nécessité presque fondamentale de telles sociétés et donne la dimension de la loi de 1851.

L'adaptabilité des statuts de la société de secours mutuels du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon à l'évolution sociale s'est faite, environ, tous les 5 ans2148. Cette société fonctionnait encore au moment où fut instituée celle dite de la section active du bataillon de Lyon. Cette dernière reprenait dans ses intentions la plupart de celles qui animaient la société de secours mutuels n° 134 : donner des soins médicaux et les médicaments nécessaires aux membres participants, blessés ou malades ; payer une indemnité pendant la durée de l'incapacité de travail découlant de l'atteinte par une blessure ou une maladie ; constituer des pensions de retraite et donner des allocations annuelles renouvelables ; fournir aux épouses et enfants habitant sous le toit d'un membre les soins médicaux que leur état pouvait inspirer ; accorder aux membres participants, malades, blessés ou infirmes, des secours exceptionnels en cas de besoins urgents ; enfin, pourvoir aux funérailles des sociétaires ainsi que de celles des épouses ou veuves non remariées2149. Seuls changeaient les bénéficiaires, issus des rangs professionnels du corps lyonnais. Comme sa grande soeur, cette société fonctionnait sur des membres participants et des membres honoraires, sous certains critères d'admissibilité2150. Un conseil, répondant à des principes, réglait l'administration et le fonctionnement licite de l'institution2151. Ce dernier se déterminait également sur des "visiteurs" chargés de faire appliquer les modes d'activité de l'organisme2152. Deux types de recettes fondaient l'organisation financière de la société2153 : les recettes normales, constituées des cotisations et des droits d'admission des membres participants ainsi que de l'intérêt provenant de ces sommes, et les recettes complémentaires, constituées des cotisations des membres honoraires, du produit des amendes, propres au code de cette association, des dons et legs de particuliers, des subventions accordées, du produit de manifestations festives organisées par la société ainsi que de l'intérêt provenant de ces sommes. Ces recettes réglaient deux catégories de dépenses2154 : les dépenses dites normales, pour les secours en cas de maladies, pour les retraites et les frais de gestion ; les dépenses dites complémentaires comme les allocations annuelles renouvelables, les secours et dépenses exceptionnels.

Dans tous les cas, la société de secours mutuels de la section active s'obligeait à distribuer les soins médicaux et médicamenteux exigés par l'état de santé d'un membre participant et à payer une indemnité journalière de 2 francs pendant les trois premiers mois d'une atteinte physique, puis de 1 franc pendant les trois mois suivants, soit une somme jusqu'à concurrence d'un total de 264 francs2155 ; soit une différence de 43 francs entre ce qui était mentionné dans le livret de sociétaire de la société de secours mutuels du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, en 18552156, et l'indemnité totale éventuellement perçue sous les modalités des statuts de la société dite de la section active et exprimées, ici, pour 1902. L'augmentation était donc de 19,5 % sur 47 ans pour une indemnité censée compenser la perte d'un revenu salarial alors que dans le même temps, bien que les sources diffèrent, le salaire journalier, supérieur dans tous les cas à 2 francs, en 1900, avait doublé, parfois plus selon les professions2157. Ce qu'il faut néanmoins retenir, c'est qu'il s'agissait ici, d'abord et à présent, d'un rapport à l'exercice de la profession de sapeur-pompier, mais que surtout le but n'était que de fournir un secours qui n'était en fait que complémentaire à la réception d'autres aides qui, ajoutées les unes aux autres, arrivaient à des sommes décentes et éventuellement compensatoires à des pertes de revenus. La société accordait, par ailleurs, des pensions viagères et des allocations annuelles, sous certaines conditions, à ses adhérents, si bien qu'à une situation à l'origine critique, une solution bénéfique était généralement trouvée2158. La concession de pensions de retraite, l'accord de secours et pensions, qu'ils aient la forme légale issue de l'acte de 1851 ou soient le fruit de la constitution de sociétés de secours mutuels, portaient donc une part contributive à l'amélioration de l'état social des sapeurs-pompiers, et de leurs familles, lorsqu'il arrivait que ceux-ci soient victimes de leur dévouement ; une part à laquelle allait contribuer également l'Etat, à l'aube du XXème siècle, sous des modalités d'assurance.

Notes
2121.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 134 du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imp. Nigon, 1855, 32 p.

2122.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 344 dite de la section active des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imprimerie Nouvelle Lyonnaise, 1902, 45 p.

2123.

Dans un article publié dans Le Salut Public du 03/12/1866, il est écrit que la société de secours mutuels du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon existait depuis 14 ans, ce qui ramène à 1852, soit l'année de composition du dit bataillon.

2124.

Bulletin Officiel du Ministère de l'Intérieur – 1876 ; pp. 368-393. Circulaire du 06/05/1876 sur les modalités d'exécution du décret du 29/12/1875 relatif à l'organisation et au service des corps de sapeurs-pompiers, suivie de l'exposé des motifs du projet de décret (pp. 384 et suiv.).

2125.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 134 du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imp. Nigon, 1855, 32 p. Article 73.

2126.

Idem 291.

2127.

Idem 291. Articles 2 et 3.

2128.

Idem 291. Articles 2 et 4.

2129.

Idem 291. Article 6.

2130.

Idem 291. Articles 8 et 9.

2131.

Idem 291. Articles 10, 11 et 12.

2132.

Idem 291. Articles 15 à 18.

2133.

Idem 291. Article 24.

2134.

Idem 291. Article 19.

2135.

Idem 291. Article 34.

2136.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 134 du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imp. Nigon, 1855, 32 p. Article 34.

2137.

Idem 302. Article 36.

2138.

Idem 302. Articles 37.

2139.

Idem 302. Articles 38. Le sociétaire était admis entre 18 et 35 ans, l'âge de 30 ans étant fixé comme rupture entre un droit de réception à 10 ou à 15 francs selon l'infériorité ou la supériorité à cet anniversaire.

2140.

Idem 302. Article 42.

2141.

Idem 302. Articles 43 et 44.

2142.

Idem 302. Article 45.

2143.

Idem 302. Article 46.

2144.

Idem 302. Articles 47 à 51.

2145.

Idem 302.

2146.

Idem 302. Article 64.

2147.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 134 du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imp. Nigon, 1855, 32 p. Article 61.

2148.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.

2149.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 344 dite de la section active des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imprimerie Nouvelle Lyonnaise, 1902, 45 p.

2150.

Idem 315. Articles 2 à 7.

2151.

Idem 315. Articles 8 à 16.

2152.

Idem 315. Article 17.

2153.

Idem 315. Article 24.

2154.

Idem 315. Article 25.

2155.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 344 dite de la section active des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imprimerie Nouvelle Lyonnaise, 1902, 45 p. Article 35.

2156.

VILLE DE LYON. - Société de secours mutuels - Statuts de la société de secours mutuels n° 134 du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, (livret de sociétaire), Lyon, Imp. Nigon, 1855, 32 p. Article 43.

2157.

DUPEUX G. - La société française (1879-1970), Paris, Armand Colin, 6ème éd., 1986, 271 p. Chapitres 2 et 3.

2158.

Idem 321. Article 51. Pour pouvoir bénéficier d'une allocation, il fallait être au moins âgé de 50 ans et avoir acquitté la cotisation de membre pendant au moins 15 années.