C. L'ASSURANCE DU PERSONNEL

1. L'EXISTENCE DE RISQUES

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Document n° 31 : Bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon - "Morts au feu !"

Etre victime de son dévouement était heureusement, sous une proportion au nombre d'interventions, surtout en milieu urbain, une chose peu courante, quoique, les sapeurs-pompiers, quelles que soient leurs unités d'appartenance, divisions, compagnies ou bataillons, quels que soient leurs modes de formation, civil ou militaire, aient eu cruellement à souffrir de la perte d'un des leurs sur le théâtre d'un événement, prenant dès lors une dimension beaucoup plus dramatique que la simple destruction ; ceci, d'ailleurs, que ce soit sur le XIXème siècle ou à une époque plus moderne. Sous l'interprétation du courage et du dévouement, quel puissant symbole que celui du don de sa vie pour la sécurité d'autrui ! D'autant que, dans le cas présent, à cette époque, la seule mission, au moins jusque sur la dernière décennie du XIXème siècle, n'était pas encore entièrement, ou presque totalement, focalisée sur le secours à personnes mais sur la sauvegarde de biens mobiliers et immobiliers, protégés au fil des ans par des polices d'assurance, et pour lesquels les hommes n'hésitaient pourtant pas à accomplir leur devoir, sans faillir, en prenant tous les risques. Dans un état dressé pour le numéro 884 de la revue corporative éditée par la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers Français, le recensement figurant les "morts au feu" ou en service commandé comptabilisait, sur la période actuelle de l'étude, allant schématiquement de 1850 à 1914, 154 décès parmi les rangs des corps de sapeurs-pompiers2159. Sur ce total de 154 sapeurs-pompiers décédés dans l'exercice de leurs fonctions, 21 étaient désignés comme membres du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, soit 13,6 % de cette somme. Il convient cependant d'apporter des corrections, sous le rapport à la ville de Lyon, et que fournira le document n° 312160, à cet état qui possède néanmoins le mérite d'avoir englobé l'ensemble des unités constituées sur le territoire national. Ce document n° 31 présente l'état des soldats du feu lyonnais décédés entre 1852 et 1913 et ne comptabilise donc pas les hommes frappés mortellement lors de l'incendie de la Maison Milanais, en 1851 ; une dernière considération renvoyant au total exprimé par la revue citée plus haut, fixé alors à 19 personnes, soit une différence de plus 1 individu avec la somme présentée par le document n° 31. Il faut savoir que l'auteur qui a établi la "‘liste des sapeurs-pompiers morts en service commandé avant 1960’" a également comptabilisé des sapeurs étant décédés des suites de blessures, parfois longtemps après l'accident, ce qui a été le cas, par deux fois, dans le dénombrement qu'il a tenu pour Lyon2161. Le document n° 31 ne tient, quant à lui, son recensement que sur les décès -et c'est déjà beaucoup- ayant eu lieu, au plus tard, dans le mois qui a suivi l'événement, notamment pour éviter une association avec des complications, quoique souvent admises, ou des facteurs exogènes. Sous ces arguments, le total deviendrait donc de 17 sapeurs-pompiers lyonnais "morts au feu" et la différence -moins 1 individu- serait donc à l'inverse de ce qui a été précédemment soutenu sous le rapport à la somme exprimée par le document n° 312162. L'explication de cet écart réside simplement dans le fait que l'état dressé dans la revue Le Sapeur-Pompier omet de citer le décès du soldat du feu lyonnais GUÉNOT, qui eut lieu en 18542163, ce qui ramène bien à un total de 18.

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Document n° 32 : Etat du service de santé du corps de sapeurs-pompiers de la ville de Lyon sur la période 1896-1911
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Le bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon a connu des années noires, notamment les décennies 1870-1879 et 1890-1899 où deux fois 6 sapeurs trouvèrent la mort sur ces périodes, soit les deux tiers des morts sur 20 ans ; le "comptage" est même plus sombre encore et peut se baser sur 14 ans car la seconde décennie recensera en fait l'ensemble de ses décès sur les années courant de 1890 à 1893. L'accomplissement du service d'incendie comportait des risques qui donnent la mesure et la dimension de l'élément capital qu'établissait l'acte législatif de 1851 sur la dispense des secours et pensions à accorder aux sapeurs-pompiers victimes de leur dévouement dans les incendies, à leurs veuves et leurs enfants. Ces événements, donc dramatiques à plus d'un titre, représentaient le danger par excellence, pas uniquement pour les populations, mais aussi pour les hommes qui étaient chargés de lutter contre leurs effets. Sur 18 décès de sapeurs-pompiers, sur la période 1851-1913, 15 l'ont été pour des sapeurs-pompiers livrant leur combat contre les flammes2164. Le feu tuait autant par l'élément qu'il est que par la particularité de ses propriétés, de ses manifestations, sous un rapprochement à la perversité dans son malin plaisir à se jouer des moyens engagés pour le circonscrire. Par exemple, le sapeur SIGOD luttait avec peine contre les flammes lorsqu'une partie de plancher, attaquée par le feu, s'effondrait sur l'homme sans qu'il ne lui soit possible de se dégager2165. Le sapeur SIVELLE, juché sur la toiture d'un bâtiment incendié, arrosant les décombres, voyait un chevron dévoré par les flammes se rompre, entraînant l'homme dans sa chute qui, blessé, décédera peu après2166. En 1903, le feu était maîtrisé et pourtant, effet pervers, une structure bâtie surchauffée cédait sous le poids des hommes intervenus sur le foyer d'un incendie, entraînant dès lors dans la mort le sapeur BOYER, blessant grièvement son compagnon d'infortune2167. Dans chaque circonstance, la flamme a joué de ses propriétés, de son imprévisibilité et surpris ces hommes qui, déjà de nombreuses fois, avaient côtoyé l'élément et ses dangers sans oser imaginer, sous une forme d'inconscience, qu'il viendrait un jour leur ôter la vie. C'est devant ces risques, face à des situations tragiques, que le désir d'assurance des personnels de service d'incendie s'est manifesté le plus significativement, et ce, pour la ville de Lyon, au lendemain de l'incendie dit de la Place Morand, survenu le 9 avril 1871, et qui fit 3 morts dans les rangs du bataillon des sapeurs-pompiers2168. Seulement, les risques pouvaient aussi être ailleurs, et c'est là le cas des trois décès manquants, l'un ayant eu lieu pendant une manoeuvre, l'autre au cours d'un service de garde et le dernier, au départ d'un véhicule automobile d'incendie sur une intervention.

En usant d'une assurance, le voeu traduit était très simple. Les pouvoirs publics municipaux, obligés, depuis la loi de 1851, d'inscrire au budget de leurs communes les secours et pensions à accorder aux sapeurs-pompiers victimes de leur dévouement, estimaient que le montant des indemnités était trop fortement tributaire de l'état des finances municipales2169. Les édiles jugeaient donc que pouvaient être distribués des secours, souvent plus importants ou supplémentaires, sans que soient soustraites leurs obligations, par la souscription d'une assurance, d'autant plus que l'affectation des sommes distribuées était généralement très large. C'est à partir de là que s'opère en fait la confusion entre l'attribution de secours et pensions dans le cadre de la loi de 1851 et l'application des clauses et modalités d'assurance. Les risques étaient nombreux comme en témoigne l'importance du nombre de sapeurs fréquemment touchés, soit par une lésion traumatique, soit lors d'un accident, que ce soit en intervention ou en service2170. D'ailleurs, les modalités d'assurance étaient amenées, de plus en plus, à s'étendre sur l'indemnisation des incapacités de travail et donc la concession de pensions. Dans tous les cas, les chiffres demeuraient évocateurs de l'exigence et de la rudesse du service, principalement sur l'état physique des sapeurs-pompiers ; ne serait-ce que sous les chiffres se rapportant aux décès observés, hors accidents, mais relevant néanmoins de blessures ou de maladies contractées durant le service d'incendie2171. Le nombre d'entrées à l'hôpital est tout aussi révélateur2172. Quant aux maladies internes généralement rencontrées, elles étaient caractéristiques des conditions d'interventions, se localisaient couramment sur les voies respiratoires, et étaient souvent des maladies issues de travaux dans des conditions de froid et d'humidité2173 ; ce à quoi se rajoutaient, notamment, l'absence de commodités, pour le séchage ou les soins du corps, ou le manque de repos entre l'accomplissement du service d'incendie et le travail journalier, entraînant de la fatigue et l'affaiblissement de l'état physique général ou la dégénérescence d'une affection en maladie chronique. Le service de santé des sapeurs-pompiers fera d'ailleurs progressivement l'objet d'études scientifiques destinées à améliorer autant les conditions d'interventions que l'état de santé des hommes2174.

Au fil des ans, sous l'opération de la souscription de contrats d'assurance, une partition s'opéra en fait entre les charges conservées par les communes et les risques couverts par les sociétés d'assurance ; les premières conservant souvent, conformément au texte de 1851, les secours et pensions pour les soins médicaux, les fournitures pharmaceutiques, les secondes prenant en charge les pensions pour incapacité de travail ; un dernier point qui ne tardera pas à être repris sous la garantie de l'Etat au moment de l'application de l'article 59 de la loi de finances de 1898. Les éléments présentés dans le document n° 32 étaient donc étroitement imbriqués entre eux malgré des caractéristiques différentes, ce qui signifie que la présentation de cette pièce aurait pu être faite sous la partie abordant l'analyse des secours ; un point qui ne revêt toutefois que peu d'importance tant que le renvoi était fait, à un moment, de l'un à l'autre. Devant les risques encourus, la ville de Lyon se préoccupera donc de souscrire un contrat d'assurance couvrant le personnel de son corps de sapeurs-pompiers, dès 1871, et ce, sous un voeu de progrès comme il était dit à l'époque2175.

Notes
2159.

Le Sapeur-Pompier, n° 884, Juillet/Août 1997, pp. 483-501. "Liste des sapeurs-pompiers morts en service commandé avant 1960" (J. DEVILLE). Selon son auteur, la liste dressée est ouverte à toutes les corrections.

2160.

Voir le document n° 31 : Bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon - "Morts au feu !". Ce document a été bâti en fonction de toutes les informations recueillies dans l'exploitation des fonds archivistiques, des registres et des rapports de feu, des secours dispensés aux familles, des assurances versées et des articles de presse publiés dans les différents journaux régionaux et locaux. Cet état est dressé uniquement sur les sapeurs-pompiers lyonnais décédés entre 1852 et 1913, c'est-à-dire sur les bornes temporelles servant à la présente étude. Les renseignements fournis ici sont également accessibles dans le volume V, soit la Bible d'informations. L'orthographe des noms a été ici arrêtée définitivement et ne tient pas compte des écarts orthographiques notables d'une source à une autre ; la base est, ici, celle de l'état civil.

2161.

Le Sapeur-Pompier, n° 884, Juillet/Août 1997, pp. 483-501. "Liste des sapeurs-pompiers morts en service commandé avant 1960" (J. DEVILLE). L'auteur de cette liste compte, dans son état, le caporal GENIN Michel, décédé en mars 1865, soit 6 mois après son accident, et le caporal FAURE François, décédé en août 1886, soit
2 ans après avoir reçu ses blessures.

2162.

Voir le document n° 31, page II-409 : Bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon - "Morts au feu !".

2163.

L'homme est en fait décédé le 21/10 des suites de blessures reçues dans un incendie le 15/10/1854.

2164.

Idem 328.

2165.

AML, 1271 WP 024 – Sapeurs-pompiers : Rapports d'incendie : Registres ; 1876-1888. Rapport d'incendie du 12/05/1883. C'est ce qui pourrait être interprété à la lecture des sources.

2166.

Incendie du 24/05/1892.

2167.

Incendie du 03/12/1903.

2168.

AML, 1270 WP 024 – Sapeurs-pompiers : Incendies : Rapports ; 1852-1879. Les sapeurs LESAGE Pierre, PRÉTIAL Christophe et ROUX André.

2169.

Le budget était déjà grevé par l'affectation de pensions de retraite.

2170.

Voir le document n° 32, page II-411 : Etat du service de santé du corps de sapeurs-pompiers de la ville de Lyon sur la période 1896-1911. Les informations constitutives de ce document sont tirées des renseignements fournis annuellement par les Documents administratifs et statistiques de la ville de Lyon.

2171.

Idem 336.

2172.

Idem 336.

2173.

Idem 336. Ce sont là des caractères qu'exprime la persistance, parmi les maladies internes fréquemment rencontrées, d'affections du type des grippes, des laryngites ou encore des bronchites.

2174.

COULLAUD H. - L'intoxication par la fumée chez les sapeurs-pompiers, Annales d'hygiène et de médecine légale, tome XII, 4ème série, n° 6, Décembre 1909, pp. 409-541 / LESPINASSE L. - Les sapeurs-pompiers de Paris, causes professionnelles des maladies, hygiène prophylactique, Annales d'hygiène et de médecine légale, tome L, 3ème série, n° 1, Juillet 1903, pp. 5-36.

2175.

AML, 1270 WP 011 – Sapeurs-pompiers : Personnel : Assurances contre les accidents et contentieux ; 1871-1902.