2. LA FORMATION AUX TECHNIQUES : MANOEUVRES DES AGRÈS ET INSTRUCTIONS THÉORIQUES

L'assimilation à une immersion dans la fonction n'était pas exclusivement celle de l'exercice d'une surveillance et du port de l'uniforme. Elle était, et avant tout, celle de la maîtrise des manoeuvres et de la théorie des incendies devant permettre aux hommes de circonscrire, dans les meilleurs délais, un départ de feu. Entre apprendre et se former, il s'agissait de matières capitales pour lesquelles la production abondante de manuels témoignera, non pas foncièrement de la richesse du sujet, chacun de ces ouvrages revenant de plus sur des principes et des fondements d'instruction identiques, mais de l'importance du phénomène, de ses effets et de ses conséquences ; donc de l'enjeu de parvenir à sa maîtrise en usant de techniques précises. Dans le cadre de l'exécution du service du feu, la notion d'apprendre matérialiserait, sous une certaine forme, l'immersion par la pure théorie dans l'action du service d'incendie. Quant à se former, le rapport serait celui à la pratique, celle de manoeuvres. Les manuels et les règlements, d'instruction et d'exercices, constitueront, ainsi, l'assise fondamentale de la base théorique et technique de l'exécution du service d'incendie, en dehors des circonstances de l'événement. Les recueils édités au XIXème siècle sous la direction d'officiers de la ville de Paris2774, de personnes ayant travaillé sur l'analyse et les risques de feux2775, ou dans la fameuse collection des manuels Roret2776, seront, à cette fin, des modèles du genre. Le bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, dans son apprentissage des techniques d'intervention sur le foyer des incendies, utilisera pleinement ces ouvrages. La formation des soldats du feu lyonnais se fera également en utilisant le support de manuels publiés par des officiers du corps tel celui du capitaine adjudant major P. LESAGE2777 ou, avant lui, de l'ancien commandant de la compagnie de Lyon, J. POYET2778. Hormis le fait d'être signés par des officiers lyonnais, ces deux recueils reprenaient, en fait, in extenso, des méthodes et des manoeuvres exposées dans d'autres manuels, c'est-à-dire issues, en grande partie, de la théorie appliquée au sein de l'unité militaire de sapeurs-pompiers de la ville de Paris. Ceci témoignait déjà d'une uniformité des techniques, dont une publication reprise par des officiers du corps donnait une mesure perçue comme locale. Ces documents offraient une présentation sensiblement analogue établissant quatre parties principales à l'instruction du sapeur qui étaient2779 : les exercices et les différentes marches ainsi que le maniement de l'arme ; une description des principaux agrès, dont la pompe foulante ; les exercices indispensables au bon fonctionnement et à la manoeuvre des pompes, l'usage de l'échelle à crochet et du sac de sauvetage ; puis, la partie "théorie des incendies", essentielle, c'est-à-dire celle des éléments se rapportant, strictement, au service du feu, de l'établissement des pompes sur les lieux d'un embrasement à l'attaque du foyer.

A la lecture des informations se rapportant à la première partie que ces ouvrages distinguaient, l'association ne faisait aucun doute avec le modèle militaire ; notamment dans la manière dont devaient être tenus les rangs, les mouvements exécutés ainsi que les marches, y compris pour se rendre sur les lieux d'une intervention ; des mobilités réglées, dans le manuel de J. POYET2780 comme dans celui de P. LESAGE2781, entre le pas ordinaire, le pas de gymnastique, les alignements, les marches de front ou de flanc, et les conversions. Le second thème discernable était une référence directe à la théorie technique des agrès d'extinction et de secours2782. Il s'agissait alors d'une présentation et d'une description du fonctionnement et de la mécanique des principaux matériels du parc utilisés par le service d'incendie dans ses missions. Cela n'était en fait, ni plus ni moins, qu'une introduction aux deux parties notables qui suivront, représentant, à elles seules, l'âme essentielle de l'exécution stricte du service de feu, des instructions, des exercices et des manoeuvres s'y rapportant2783. Cette réalisation conduira à faire des sapeurs-pompiers des spécialistes de la lutte contre les incendies, et bientôt, des professionnels. Dans la description des méthodes issues de ces deux dernières parties, soit la théorie des incendies, tout était également codifié en ce qui concerne la manière dont étaient dirigées, à l'origine, les manoeuvres militaires. Malgré l'appartenance civile des rédacteurs, officiers lyonnais, tous les modes d'exécution se référaient, notoirement, à l'unité militaire des sapeurs-pompiers de la ville de Paris, valeur de référence et témoignage d'une expérience. Plus que le renvoi à un modèle militaire, c'est l'incendie en lui-même et le mode d'intervention qui commandaient l'expression et l'exercice du service sous des principes catégoriques de discipline qui, associés à la formation des hommes, étaient capables d'aboutir à une maîtrise parfaite des techniques. L'efficacité et l'orientation des interventions en dépendaient. Seulement, la réalité de terrain viendra régulièrement bousculer, du fait des propriétés de la flamme et des circonstances, de lieux, de temps, d'origine et de nature de déclaration, les principes les mieux établis. Néanmoins, et c'était là également un des principaux buts, par l'apprentissage, la théorie, l'instruction et les manoeuvres, le sapeur acquérait des réflexes, des automatismes. Il développait ses facultés dans l'appréciation des dangers et la manière de conduire l'intervention, entre reconnaissance, sauvetage et attaque du foyer.

La manoeuvre de la pompe ordinaire demeurait l'exercice le plus régulièrement exécuté dans le cadre de l'instruction des hommes, notamment pour ceux engagés dans les rangs du bataillon de la ville de Lyon, au moins pour le personnel volontaire des compagnies d'arrondissement. Il s'agissait en effet de l'engin le plus couramment amené sur les lieux d'un incendie jusqu'à ce que le Dépôt Général réponde presque totalement aux demandes de secours et ne décale avec une pompe à vapeur. Ceci ne signifiait néanmoins pas que les pompes à 4 roues n'étaient plus utilisées ou que, quelle que soit la sortie des agrès, le matériel était nécessairement mis en batterie. Dans le système de distribution des secours à l'échelle de l'agglomération lyonnaise et le fonctionnement sous un réseau de postes et dépôts, les pompes ordinaires, appelées encore à 2 roues ou parisiennes, constituaient une armature fondamentale. A cet effet, tous les locaux du service étaient généralement pourvus de cet engin. Sa manoeuvre s'exécutait sous le service de 3 hommes, c'est-à-dire 2 servants et un chef d'agrès ; ce qui renvoie directement à la logique du nombre des hommes occupant les corps de garde, hormis que ce chiffre fut souvent porté à 4 dans la cité lyonnaise, le dernier homme jouant, en fait, un autre rôle que celui du maniement de la machine, ordinairement celui de la transmission des informations. A la réquisition du poste, tout se codifiait alors entre le chef, son premier et son deuxième servants2784, ceux-ci étant, en sus des manoeuvres de mise en batterie puis de l'attaque du feu, chargés, bien évidemment et avant tout, d'assurer la traction de la pompe jusque sur les lieux de l'alerte. La correspondance était bien celle de l'application d'ordres précis et de manoeuvres préalablement codifiées qui exprimaient, symboliquement, la maîtrise technique et la discipline des hommes. Ces étapes techniques renverront alors à un aspect s'appréciant purement sous l'angle de l'intervention, abordée ultérieurement, malgré le pas entre théorie et réalité du phénomène sous ses propriétés et les circonstances de sa déclaration ; ce à quoi les hommes se préparaient également en se formant par l'intermédiaire d'une théorie des incendies adaptée aux natures de feux. A cette fin, les officiers POYET2785 et LESAGE2786 en décrivaient, dans leur manuel respectif, les principaux fondements. Quand la manoeuvre n'était pas celle de la réquisition pour un départ de feu, elle était celle de l'instruction mensuelle à laquelle les hommes étaient astreints par leur engagement dans les rangs du service d'incendie. Quoi qu'il en soit, dans les deux cas, sous le nombre, celui des pompes et celui des hommes, l'exécution des ordres se faisait alors au son du clairon2787, remplaçant celui du tambour2788, voire du sifflet2789. L'école des sonneries faisait donc partie de l'apprentissage jusqu'à ce que les techniques d'interventions se modifient, principalement sous la réduction de l'usage des pompes à bras dont la cadence du maniement de levier était, un temps, donnée aux sons. De plus, au fil des formations, les hommes connaissaient parfaitement leur rôle et l'ordre des manoeuvres pour qu'il soit de moins en moins fait appel à une diffusion des directives au clairon, exception faite, parfois, pour les plus fondamentales. C'était en fait l'application d'un usage militaire qui avait l'avantage, au milieu du siècle, de rendre audibles les ordres d'exécution qui, lorsqu'ils étaient donnés à la voix étaient, sinon, couverts par les bruits et les cris résultant de l'événement, des peurs, de la panique mais aussi des actions menées simultanément comme le déménagement des valeurs qui pouvaient être sauvées des flammes.

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Document n° 40 : Manoeuvre publique des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon - Secours dans les incendies : l'usage du sac de sauvetage - Fin XIXème siècle

Manoeuvres, exercices, instructions et théorie étaient donc pratiqués régulièrement, mensuellement depuis les anciens règlements codifiant le service d'incendie dans les communes qui composeront l'agglomération lyonnaise ; soit bien avant que celles-ci ne s'unifient, en 1852, et que ne soit formé le bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon. Ce principe, ancien, repris dans le code de 18592790, ne sera en fait jamais remis en cause sous l'exercice volontaire de la charge. Il s'adaptera, en revanche, à l'exercice professionnel de la fonction et de l'exigence de la promotion de grade. L'exécution des manoeuvres et des exercices était aussi l'occasion, pour le corps de sapeurs-pompiers, de faire des démonstrations publiques, généralement appréciées. Le but n'était pas uniquement un rapport soucieux à l'image, à la popularité et à la représentation, dans le sens du spectacle. Il était également celui, paramètre essentiel, de familiariser la population avec les agrès et les techniques utilisées, avant tout dans les modes de secours. Le document n° 40 présente ainsi une manoeuvre publique du corps de sapeurs-pompiers de la ville de Lyon sur l'utilisation du sac de sauvetage2791. Il était primordial, à plus d'un titre, que le public puisse assister à de telles démonstrations2792. Il était évident du bien-fondé de l'appréciation visuelle des procédés. Celle-ci contribuait, outre à habituer, à, plus fondamentalement, atténuer l'appréhension qui ne manquerait pas de gagner les victimes d'un sinistre lorsque les hommes devaient pratiquer un sauvetage en usant, par exemple, de ce moyen2793 ; et ce, précisément dans le cas des incendies où l'image était tenace sous le symbole des flammes et la peur, doublée d'une précipitation, à l'origine de nombreux accidents et décès civils. En ayant vu l'exécution de la manoeuvre, la sûreté de réalisation et de maîtrise des sapeurs dans l'usage de ces modes de secours, la confiance était censée gagner les populations et ne pas mettre en péril la conduite d'un acte de sauvetage ; ce, quel que soit le mode d'opération, dans le cas du document n° 40, celui du sac de sauvetage ; mais il pouvait être celui de la toile de sauvetage, de l'échelle à crochet ou de l'échelle aérienne. Cette pratique de démonstrations et de la conduite d'exercices publics, bien que le désir manifesté soit celui de l'information des populations, dans leur intérêt, et de la formation des soldats du feu, correspondait également, dans l'esprit de la seconde moitié du XIXème siècle, à une recherche par l'image et la représentation, cette fois dans le sens du spectacle ou d'une réunion ayant un caractère festif ; ce qui donnait une autre appréciation au service d'incendie, par cet intermédiaire, celui d'un vecteur de vie municipale et associative en milieu urbain dont il n'existe aujourd'hui des traces, sous ce mode précis, que dans les campagnes françaises, en dehors de la participation à des défilés ou, de façon très ponctuelle, à certaines classes de manifestations.

La description d'une manoeuvre menée sous le regard des populations urbaines, portant d'autre part à l'assimilation des sapeurs-pompiers sous des caractéristiques populaires précises, témoignant de la perception moderne encore discernable sous l'exercice de la fonction, sera essentiellement le propre du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Plusieurs raisons sont en fait à la source de l'observation qui ne sont que le résultat de la dynamique du développement de la société à compter, notamment, de la Révolution Française. Dans le cas actuel, il s'agira, pour l'essentiel, de la structuration réalisée des corps de sapeurs-pompiers mettant à la disposition des populations un service public d'incendie puis de secours ; de la relation des événements et, avant tout, de la vie locale progressivement plus diffuse ; de la persistance du risque incendie et sa manifestation avant que les missions des hommes ne se diversifient et que leur instruction devienne plus exigeante que celle de la mise en batterie d'une pompe à 2 roues. Sous ce rapport, entremêlant formation des hommes et représentation, qui finalement n'était que le produit de la vie d'une forte cité au XIXème siècle, faisant des sapeurs-pompiers un organe de sécurité et un instrument de vie publique, des indices demeureront fournis par les articles de presse. Le Salut Public du 2 mars 1857 présentait ainsi, dans ses colonnes, une manoeuvre s'étant déroulée Place de la Charité. Il écrivait, à cette occasion, que le bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, après avoir fait "jouer" les pompes, s'était livré à des exercices de gymnastique qui avaient vivement intéressé la foule. Ces exercices avaient été l'ascension des différents étages d'un bâtiment à l'aide d'une échelle de corde2794. Ils donnèrent également l'occasion de faire, à cette date, l'essai d'une nouvelle ceinture de sauvetage, la Condamine 2795. Dans le sens de ce vecteur de la vie municipale, en dehors du strict accomplissement du service et de l'instruction des hommes, les nombreux quotidiens locaux présenteront donc fréquemment ces exercices publics exécutés par les sapeurs du bataillon. Un article publié dans Le Courrier de Lyon du 8 septembre 1852, peu après la création du bataillon, donnait d'ailleurs un certain sens à la manifestation. Le quotidien décrivait la réunion du corps, intervenue quelques jours plus tôt, Place des Terreaux, où des exercices de feu avaient été exécutés au son du clairon après un défilé des sapeurs à la tête duquel marchait la "vivandière" du service, en grande tenue. Le choix du lieu de manoeuvres n'était, cependant, pas uniquement celui d'espaces géographiques symboliques de la cité. Il était aussi celui d'espaces pratiques, ceux présentant notamment des facilités d'accès, de place pour que les engins et les hommes puissent s'y rassembler ou de disponibilité de l'eau, par exemple. Pour les instructions relatives à l'usage de la pompe à vapeur, les exercices avaient ainsi généralement lieu sur la Rive droite du Rhône, sur le bas-port, Quartier Perrache, près du Pont Napoléon2796.

En dehors des exercices publics, entre représentation et information des populations, les hommes s'immergeaient, en outre, dans leur rôle de serviteur du feu, par l'accomplissement et l'apprentissage de techniques précises, celles des établissements en eau et de l'attaque d'un foyer, par exemple. Il arrivait alors que les hommes investissent une construction vouée à la démolition, isolée du reste d'un pâté de maisons, ce que rendaient possible les travaux d'aménagement entrepris à cette époque, pour s'y exercer dans des conditions proches du réel, en usant d'un simulacre de feu, y compris de l'attaque d'un feu de cave2797 ; dans ce dernier cas, pour habituer les hommes à travailler dans un espace clos et à évoluer avec l'appareil à feux de cave ; ce qui établissait une liaison avec l'exercice de la cave à fumée, lieu où étaient brûlés des copeaux et de la paille et dans lequel les sapeurs entraient, équipés de leur appareil, pour s'y déplacer, généralement à la recherche d'objets. Néanmoins, devant les réticences manifestées par les propriétaires, couramment justifiées car la maîtrise des techniques ne proposait aucune sécurité, le projet fut celui d'équiper le corps, comme cela se faisait en d'autres lieux, d'un bâtiment-école2798. Ce ne sera toutefois réalisé que très tardivement, encore que ce ne soit sous une certaine forme, restrictive dans l'usage, avec la façade de bois mise, par exemple, à disposition du corps lors du congrès des sapeurs-pompiers qui se déroula durant l'Exposition Universelle Internationale et Coloniale de 18942799. De par la disponibilité de cette façade, les hommes de la section active allaient devenir, dès lors, astreints, à partir de 1896, à des exercices hebdomadaires en usant de ce moyen tandis que les hommes des compagnies étaient assujettis à deux manoeuvres mensuelles2800. Pourtant, cela ne suffisait pas à toutes les formations si bien que le droit fut concédé aux sapeurs de s'entraîner aux manoeuvres de sauvetage dans certains des bâtiments publics et des groupes scolaires2801. Cela avait également pour bénéfice de familiariser les hommes avec les exercices d'évacuation, toujours périlleux quel que soit le cadre du risque d'ailleurs. Les périodes d'instruction n'avaient, en outre, pas comme unique but de former les hommes. Elles permettaient aussi de maintenir le matériel en état. Par des exercices périodiques, de plus fréquemment accomplis en présence des membres de la commission de sécurité et du conseil d'administration du corps, la circonstance était, en effet, celle de vérifications de l'état de l'ensemble du parc technique utilisé par le service d'incendie2802. Ces périodes étaient, enfin, l'occasion d'initier les hommes aux mouvements de gymnastique, sous un sens physique et non pas exclusivement sous celui de l'exécution de manoeuvres de sauvetages accomplies au moyen, par exemple, d'échelles aériennes ; modes d'exécution qui étaient assimilés à des exercices ayant un caractère gymnique. C'était là un point très important et destiné à développer, chez les sapeurs, certaines facultés, y compris dans l'aisance des déplacements2803.

Apprendre et se former, que ce soit par l'exécution d'exercices, de manoeuvres, et l'accomplissement de périodes d'instruction et de théorie, déterminaient un point essentiel pour remplir efficacement et fonctionnellement le service d'incendie. Il était donc important d'agir sur ces points qui, à en croire certains journaux ou certains rapporteurs, laissaient parfois à désirer dans les rangs du bataillon de la ville de Lyon. Lors de la création de la compagnie auxiliaire Suisse, durant le conflit franco-prussien de 1870-1871, le Docteur CHAPOT évoquait, au sujet de cette dernière, une division qui faisait de véritables répétitions d'incendie et de simulacre d'attaque de feu2804 ; une section dans laquelle se joignait à une théorie savante, une pratique raisonnée, ce qui n'était pas le cas dans le corps de Lyon. Seulement, sous la personnalité de cet homme, écarté des rangs du corps, aucun crédit ne pouvait être significativement accordé aux propos, hors s'appuyer sur des faits. Ces faits seront issus de la rédaction des rapports de feu et d'incendie mais ne donneront, finalement, que la mesure de l'organisation du corps de Lyon, des moyens dont il disposait et des obligations de service que les règlements imposaient aux hommes. Au lendemain de l'incendie du Théâtre des Célestins, survenu en 1880, Le Petit Lyonnais faisait, lui, une comparaison avec l'armée2805. Il écrivait alors que le service militaire astreignait les hommes à 5 ans de manoeuvres à raison de 8 heures par jour alors que l'entraînement des pompiers, dont dépendaient la fortune publique et la vie des citoyens, ne correspondait qu'à des instructions mensuelles. La comparaison était fortement appuyée mais marquait, avant tout, le désir de l'opinion publique de voir la ville de Lyon adapter son service d'incendie à sa population et aux risques en disposant d'une unité de sapeurs permanents, astreints journellement à des exercices et à des manoeuvres. Bien que le contexte local ait été, à cet instant précis, particulier, la corrélation était néanmoins faite avec une situation vérifiée sur laquelle reviendra Ed. THIERS2806. Dans son rapport de 1883, Antoine GAILLETON, maire de la ville, revenait, lui aussi, sur la préparation insuffisante des hommes en ajoutant que le dévouement et le courage ne remplaceraient, en aucun cas, les connaissances spéciales et l'impérieuse nécessité de l'instruction2807. La chose était entendue mais ne pouvait changer qu'avec l'introduction de réformes dont la présentation renverra, notamment, à l'évolution du service d'incendie à partir de la création de sa section active, en 1890. Plus que des attaques contre le corps, c'était, bien évidemment, le système tel qu'il avait été établi, y compris par l'intermédiaire des codes locaux ou des mesures nationales, qui était mis en défaut, révélant les progrès encore à réaliser. Ces progrès iront jusqu'à l'uniformisation des manoeuvres et des exercices, existant par l'intermédiaire des manuels mais non de fait, notamment dans les ordres. Ceci pouvait être nuisible lorsque plusieurs compagnies étaient amenées à intervenir sur le même lieu d'un incendie, ce qui se produisait dans le cadre de renforts du bataillon lyonnais2808. Le projet était aussi celui d'une formation répondant aux critères de structuration volontaire et civile des corps et non plus s'appuyant sur des manuels reprenant le modèle militaire de la ville de Paris.

L'instruction des hommes avait également un aspect purement théorique, et prenait, par ailleurs, la forme de concours au sein des rangs du bataillon, voire de partage des savoir-faire avec d'autres corps de sapeurs-pompiers. La référence stricte à la théorie avait couramment pour cadre la promotion de grade. Par exemple, en 1887, les sous-officiers désireux d'évoluer en grade étaient, sans exception, soumis à une interrogation sur l'ensemble de la théorie que devait connaître le sapeur-pompier2809. Il est transparent que l'homme devait avoir des connaissances plus ouvertes sur l'accomplissement du service de feu -c'est un principe établi- que celles se rapportant strictement à la mise en batterie des pompes et la manoeuvre de celles-ci. Seulement, se former demandait un investissement supplémentaire des hommes pour lesquels les sacrifices étaient déjà imposants. Aussi, les concours de pompes, d'exercices et de manoeuvres, qu'ils aient lieu dans les rangs du corps ou entre différentes unités, étaient des moyens de stimuler les hommes, y compris sous un sentiment de fierté à manoeuvrer leurs agrès, pour eux et l'image de leur compagnie, dans des joutes pacifiques mais formatrices par la répétition des gestes et les récompenses qu'ils pouvaient obtenir. En fait, se confondaient alors autant l'émulation que le développement de l'instruction. Dans un concours de pompes organisé, en 1892, entre les compagnies du bataillon de la ville de Lyon, le commandant présentait d'ailleurs clairement la réunion, notamment par l'octroi de récompenses, comme l'un des meilleurs moyens d'encourager au travail2810. A l'achèvement de cette manifestation, prévue le 21 août, des prix devaient donc être distribués aux compagnies, aux hommes s'étant distingués et aux instructeurs qui le méritaient par leur commandement et la récitation de la théorie2811 ; et le concours de s'achever sur la manoeuvre d'une pompe à vapeur et d'une échelle aérienne, exécutée par les hommes du dépôt général, qui n'étaient pas admis à participer ouvertement du fait de leur caractère de professionnels. C'était surtout un moyen de ne pas marquer de différence entre les hommes bien qu'elle ne soit que de façade, les uns recevant une solde, modeste, les autres un salaire. En outre, dans les procédés d'intervention, par exemple, les sapeurs des compagnies d'arrondissement sortaient au feu de moins en moins souvent2812. Avec la fin du XIXème siècle, la formation des hommes deviendra aussi celle du partage des expériences et de l'assimilation de processus fonctionnant dans d'autres unités. Ce fut là un des aspects, parmi tant d'autres, des différents congrès organisés, de la visite de délégations étrangères, voire des instructions dispensées dans d'autres corps de la région par les sapeurs lyonnais. L'exemple le plus caractéristique se rapportant aux congrès demeura celui de Lyon, en 18942813. Les chefs de corps du bataillon de Lyon assisteront ainsi à de nombreuses autres réunions dont ils tireront profit pour apporter des perfectionnements dans l'organisation du service2814, et la formation des hommes notamment. Le profit fut aussi celui de la visite de délégations étrangères qui déterminait, malgré certains retards de composition, le rôle joué par le service d'incendie de la ville de Lyon dans sa dispense de secours au niveau de la cité2815 ; une qualité effectivement pas toujours reconnue par les journaux ou l'opinion mais qui lui vaudra, toutefois, de partager avec d'autres structures son expérience et de leur faire profiter d'un savoir-faire2816, celui d'un service évoluant au sein d'une imposante armature urbaine, concentrant populations et risques. Ainsi, tous ces paramètres, entre manoeuvres, instructions, exercices, concours et congrès, déterminaient l'importance de principes, ceux d'apprendre et de se former, pour lesquels un sapeur-pompier de la ville de Lyon paya d'ailleurs de sa vie2817 ; des principes théoriques et pratiques sans l'application desquels le combat livré contre les flammes aurait été couramment voué à l'échec. Car, à l'accomplissement du service d'incendie, l'une des réponses, outre celles déjà mises en avant, passait, bel et bien, au moment d'une demande de secours et de l'intervention, par l'exigence d'une maîtrise technique parfaite.

Notes
2774.

PAULIN G. - Nouveau manuel complet du sapeur-pompier, ou théorie sur l'extinction des incendies, Paris, Roret, 2ème éd., 1850, VIII-272 p. Pour ne citer qu'un seul auteur de cette classe.

2775.

MICHOTTE F. - Manuel d'instruction technique des sapeurs-pompiers, Paris, Comité Technique contre l'Incendie et les Accidents, 1909, 24 p. Pour ne citer qu'un seul auteur de cette classe.

2776.

Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers Français. - Manuel des concours, Paris, Mulo (manuel Roret), 1909, 372 p. Pour ne citer qu'un manuel de cette classe.

2777.

LESAGE P. - Ville de Lyon - Sapeurs-pompiers municipaux - Théorie, Lyon, Nigon, 1862, 126 p.

2778.

POYET J. - Nouvelle théorie pratique des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Nigon, 1850,
132 p.

2779.

Idem 155 / Idem 156.

2780.

POYET J. - Nouvelle théorie pratique des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Nigon, 1850,
132 p. ; pp. 11 et suiv.

2781.

LESAGE P. - Ville de Lyon - Sapeurs-pompiers municipaux - Théorie, Lyon, Nigon, 1862, 126 p. ; pp. 5 et suiv.

2782.

Idem 158 ; pp. 42 et suiv. / Idem 159 ; pp. 112 et suiv.

2783.

Idem 158 ; pp. 62 et suiv. ; pp. 97 et suiv. / Idem 159 ; pp. 73 et suiv.

2784.

POYET J. - Nouvelle théorie pratique des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Nigon, 1850,
132 p. ; pp. 62 et suiv. ; pp. 97 et suiv. / LESAGE P. - Ville de Lyon - Sapeurs-pompiers municipaux - Théorie, Lyon, Nigon, 1862, 126 p. ; pp. 32 et suiv. ; pp. 73 et suiv.

2785.

POYET J. - Nouvelle théorie pratique des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon, Lyon, Imp. Nigon, 1850,
132 p. ; pp. 97 et suiv.

2786.

LESAGE P. - Ville de Lyon - Sapeurs-pompiers municipaux - Théorie, Lyon, Nigon, 1862, 126 p. ; pp. 73 et suiv.

2787.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929. Arrêté rendu le 15/02/1858 sur le service des clairons.

2788.

Les tambours disparaîtront définitivement des rangs du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon en 1858.

2789.

Idem 165. L'allusion est portée dans un document signé du commandant LACHAL et daté du 21/07/1869.

2790.

Idem 165. Arrêté du 16/04/1859 pris à la suite du règlement du 14/11/1858 sur le service et l'instruction du corps des sapeurs-pompiers municipaux de la ville de Lyon. Article 22.

2791.

Voir le document n° 40 : Manoeuvre publique des sapeurs-pompiers de la ville de Lyon - Secours dans les incendies : l'usage du sac de sauvetage - Fin XIX ème siècle. Musée des sapeurs-pompiers du Grand Lyon.
La manoeuvre se déroule sur la partie Ouest de l'actuelle Place Bellecour. Pour l'exécution de cet exercice de sauvetage, le support était celui de la façade de bois utilisée pendant le congrès de 1894. Parmi les détails du document se notent : la tenue de sortie des officiers, au premier plan ; la tenue de travail des sapeurs, un homme se dessinant dans le prolongement des officiers ; et, légèrement à droite de ces derniers, près de la base d'arrivée du sac de sauvetage, au second plan, la partie arrière de l'échelle de sauvetage MARTIN-VINCENT (MAGIRUS).

2792.

Idem 169. Sur ce document, la présence de la foule, venue assister à la démonstration, est, ici, visible au dos de la façade d'exercices et sur sa gauche.

2793.

VILLE DE LYON. - Sapeurs-pompiers - Commission d'études pour la réorganisation du bataillon des sapeurs-pompiers, Lyon, Association Typographique, 1885, 29 p. Le rapporteur GRINAND soulignait l'importance, capitale, qu'il y avait à porter à la connaissance du public les moyens de sauvetage et de secours couramment utilisés par les sapeurs-pompiers du bataillon de manière à habituer les populations et leur inspirer confiance dans l'usage de ces moyens.

2794.

Le Salut Public du 02/03/1857.

2795.

Le Salut Public du 03/03/1857.

2796.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.

2797.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929.

2798.

Idem 175. Proposition de 1867.

2799.

AML, 781 WP 025 – Exposition Universelle Internationale et Coloniale de Lyon ; 1894 : - Congrès international des sapeurs-pompiers : Organisation ; 1890-1898. Cette façade était utilisée pour l'instruction des hommes depuis quelque temps déjà puisque son acquisition avait été faite au tout début de la décennie des années 1890.

2800.

Idem 175.

2801.

Idem 175. La demande fut faite dans le courant de l'année 1897.

2802.

Idem 175.

2803.

Procès-verbaux des séances du conseil municipal – 1866 ; séance du 13/07, p. 281. Il s'agissait de certaines des motivations exprimées en vue de la création d'une salle de gymnastique dans laquelle les hommes du bataillon pourraient venir fréquemment s'entraîner.

2804.

L'homme publiait un article dans Le Courrier de Lyon du 04/02/1871.

2805.

Le Petit Lyonnais du 03/06/1880.

2806.

THIERS Ed. - La réorganisation des sapeurs-pompiers de Lyon, Lyon, Association Typographique, 1881,
118 p. Présentation de l'organisation lyonnaise.

2807.

AML, 1270 WP 001 – Sapeurs-pompiers : Organisation et fonctionnement du service, budget, comptabilité ; 1803-1929. Rapport dressé le 05/11/1883.

2808.

Dans ce projet d'harmonisation des exercices et manoeuvres, devant aboutir à un manuel officiel, mettant fin aux publications faites par les soins de différents officiers de compagnies, bien que toutes développent une théorie identique hors des détails d'exécution, le commandant PERRIN, de Lyon, fut appelé, en 1895, à faire partie de la commission de réflexions.

2809.

AML, 1271 WP 087 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement du bataillon : Correspondance : Registres ; 1886-1893. Ordre n° 497 rendu le 05/05/1887.

2810.

AML, 1271 WP 087 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement du bataillon : Correspondance : Registres ; 1886-1893. Ordre n° 30 rendu le 28/07/1892.

2811.

Ibidem 188.

2812.

Procès-verbaux des séances du conseil municipal – 1891 ; vol. 4, séance du 06/10, pp. 3-30. Au moment du débat municipal suscité par l'accident de la Rue Ferrandière, il était fait référence à un éventuel antagonisme entre les sapeurs des compagnies d'arrondissement, désormais considérés comme des auxiliaires du service d'incendie, et les sapeurs permanents de la section active.

2813.

AML, 781 WP 025 – Exposition Universelle Internationale et Coloniale de Lyon ; 1894 : - Congrès international des sapeurs-pompiers : Organisation ; 1890-1898.

2814.

AML, 1270 WP 009 – Sapeurs-pompiers : Représentation du bataillon : - Expositions, congrès, concours ; 1864-1939 ; - Missions du commandant : Congrès, commissions d'experts, (...) ; 1892-1939.

2815.

AML, 1270 WP 008 – Sapeurs-pompiers : Fonctionnement et services du bataillon : - Conseils techniques fournis à d'autres corps de sapeurs-pompiers d'autres villes, stages et visites ; 1894-1937.

2816.

Idem 193.

2817.

Lors d'une manoeuvre exécutée le 19/09/1890, Quai Perrache, le sapeur BESSON Jean fait une chute et se fracture la colonne vertébrale, blessure dont il décédera le 21/09/1890.