322. La cohérence des modèles désagrégés

La recherche d’une certaine cohérence entre le modèle et la formalisation d’un processus de choix à étapes interdépendantes débouche sur le modèle séquentiel (Raux, 1983). Cette formalisation consiste à décomposer le choix en un certain nombre d’étapes élémentaires, dépendantes entre elles (structure récursive) par l’intermédiaire des utilités espérées, telles qu’à l’intérieur de chacune de ces étapes élémentaires les alternatives considérées sont indépendantes entre elles pour pouvoir appliquer le modèle logit standard. Cette structure apparaît comme un compromis entre la pertinence qui consiste à admettre l’interdépendance des étapes de choix entre elles et la mesurabilité qui nécessite une certaine séparabilité et donc une certaine indépendance des étapes entre elles.

Par ailleurs, la cohérence avec les objectifs du modèle implique un centrage du modèle sur les variables techniques du système de transport que sont le coût et la durée plus ou moins décomposés des déplacements. Ces variables doivent entrer dans le modèle sous leur forme mesurée objectivement, les gestionnaires du système de transport n’ayant la maîtrise que de ces valeurs objectives. Cette nécessité entre en conflit simultanément avec les conditions de mesurabilité et de pertinence du modèle. Si ces variables sont reconstituées au niveau individuel à partir de caractéristiques du réseau telles que coûts ou vitesses moyennes, elles introduisent des erreurs risquant de nuire à la qualité des résultats du modèle qui repose sur la précision de la mesure des durées des trajets élémentaires. De plus, l’utilisation de telles variables zonales est en contradiction avec la détermination, nécessaire au plan théorique, des variables au niveau individuel. En outre, une approche pertinente suppose que le modèle se fonde sur les variables telles qu’elles sont perçues par l’individu. Ce sont celles qui lui permettent d’évaluer son niveau d’utilité pour se mettre en accord avec les fondements théoriques du choix. Mais l’utilisation de telles variables entre en conflit avec les objectifs des variables du système de transport. Une position pragmatique consisterait à dire que le modèle représente à la fois la formation des perceptions de ces variables physiques et les réactions à ces perceptions. Cette position laisse toutefois entier le problème du passage de ces valeurs objectives aux valeurs perçues, qui serait saisi sous la forme d’une « boite noire » par le modèle, l’exposant à de graves erreurs de prévision dans le cas d’une modification des mécanismes de perception. La résolution de ce problème apparaît comme la condition pour l’élaboration d’un modèle de comportement en accord avec la théorie du choix individuel.

Le Nir (1991) souligne que « si la cohérence interne de ces modèles semble avoir été à peu près respectée, on ne peut pas en dire autant de leur cohérence vis-à-vis des objectifs théoriques. Les modèles désagrégés ont été développés en réponse aux limites des modèles agrégés classiques. La présentation de ces limites nous a permis de souligner le caractère insatisfaisant du schéma séquentiel et les risques d’utilisation de ces modèles à un horizon trop éloigné. Les modèles désagrégés ne semblent guère avoir apporté de solution à ces problèmes ».

Le développement des transports collectifs a entraîné un regain d’intérêt pour la phase de répartition modale. Celle-ci a focalisé la grande majorité des travaux désagrégés, sans remettre obligatoirement en question l’ensemble du processus. Les modèles désagrégés d’utilités croisées, qui se sont efforcés de représenter par un unique type de séquence le processus décisionnel individuel, ont laissé apparaître des écarts importants entre les prévisions et les résultats observés.

Enfin, les relations entre les variables socio-économiques caractéristiques des individus et les variables relatives au système de transport sont fondées sur des observations en coupe instantanée. Ainsi, si elles permettent d’estimer les effets de mesures de court terme, en revanche, elles rendent hasardeuse toute prévision à un horizon plus lointain.