41. La prise en compte des échelles temporelles de court terme : les modèles dynamiques

Si l’on considère une échelle temporelle de très court terme, celle des durées inférieures à l’heure, les modèles de modélisation de la demande de transport urbain standard, qu’ils soient agrégés ou désagrégés, sont mal adaptés car ils raisonnent sur des situations stationnaires et équilibrées alors que l’on sait bien que les conditions de circulation changent rapidement entre le moment du départ de chez soi et celui de l’arrivée, surtout dans les situations de congestion (Quinet, 1998). Les usagers s’adaptent par des processus d’apprentissage, utilisent leur expérience passée et l’information dont ils disposent pour faire face à des situations chaque jour différentes. La prise en compte de ces éléments passe par le développement des modèles dynamiques qui intègrent explicitement les changements de la demande.

Traditionnellement, les modèles supposaient implicitement que la demande et les conditions du trafic étaient stables de jour en jour. En fait, l’observation quotidienne suggère que cette hypothèse est loin d’être vérifiée. D’une part, la matrice O-D varie en fonction du jour de la semaine, en fonction de la période de l’année et de manière totalement aléatoire. D’autre part, les capacités des routes varient en fonction des conditions météorologiques. De plus, les accidents de la circulation, qui sont par essence imprévisibles, constituent environ la moitié des causes de congestion. Les modèles fonctionnent la plupart du temps selon le concept d’équilibre de Wardrop. Prenons deux routes en parallèle reliant un point origine O à un point destination D. Chaque conducteur utilise la route la plus courte (en temps). Si cette règle est très simple à appliquer pour un usager unique, elle l’est beaucoup moins lorsque les décisions des uns affectent les décisions des autres. Dans ce cas, aucun usager ne prend de bonne ou de mauvaise décision, le système est à juger globalement. Un équilibre statique est atteint lorsqu’aucun usager ne peut modifier son temps de départ en vue de diminuer strictement son temps de trajet. Ce concept peut être étendu facilement dans le cas de réseaux de transport généraux : étant donné une matrice O-D, un réseau de transport et des lois reliant le taux d’utilisation et la vitesse de déplacement, un équilibre statique correspond à des choix de routes tels qu’aucun utilisateur ne peut aller de son origine vers sa destination, en trouvant un chemin strictement plus rapide.

Ainsi, les modèles statiques supposent essentiellement que la congestion est constante au cours de la période de temps examinée (qui correspond le plus souvent au pic horaire du matin). Cette hypothèse n’est que peu satisfaisante dans un contexte urbain : en effet, un grand nombre de situations diverses peuvent correspondre à la même densité moyenne et produire des vitesses moyennes très différentes. Vickrey (1969) propose un modèle dynamique « d’équilibre partiel » dans le cas du transport automobile. Le modèle de Vickrey est dynamique dans le sens où la vitesse des véhicules dépend de l’heure de la journée. Le modèle décrit les déplacements domicile (O) - lieu de travail (D) pour le pic horaire du matin. La fonction d’objectif de l’individu est bi-critère : l’automobiliste désire minimiser son temps de trajet mais aussi arriver à une heure donnée à sa destination. Ces deux objectifs sont contradictoires (d’où l’intérêt d’étudier les services avec demande de pointe). Le choix de l’usager est ici un choix continu : celui de l’heure de départ. Les usagers ont la possibilité de voyager hors des heures de pointe, mais en arrivant à leur destination en des temps peu satisfaisants (trop tôt ou trop tard) ou d’endurer un temps de trajet plus élevé, mais en arrivant à leur destination dans une plage plus raisonnable. Pour le modèle de congestion retenu par Vickrey, le temps de trajet à un instant donné est proportionnel au nombre d’utilisateurs de la route à cet instant.

Les modèles dynamiques ne s’appliquent, pour le moment, qu’au choix d’itinéraires et s’affranchissent de l’hypothèse de stationnarité. Ils tiennent compte explicitement des variations temporelles de la demande. Pour cela, le temps est séparé en intervalles de l’ordre de la minute ou fraction de minute, les flux entrant et sortant sur chaque arc sont datés, ainsi que les lois de conservation des flux. Selon les modèles, les usagers voient leur date de départ imposée ou au contraire la choisissent compte tenu des conditions de transport et de leur désir d’une date d’arrivée souhaitée, avec pénalités en cas de retard ou d’avance.

Jusqu'à présent, ces modèles restent à l’état de recherche, et n’ont été utilisés qu’à titre expérimental sur des réseaux fictifs simplifiés. De Palma et Marchal (1996) présentent le modèle METROPOLIS qui adopte une approche mésoscopique dans la mesure où la description du réseau s’apparente à l’approche macroscopique (faible nombre de paramètres et réseau de grande taille) mais où, toutefois, les usagers ont des caractéristiques individuelles qui ne sont pas agrégées dans la simulation. METROPOLIS propose un système intégré de gestion du trafic urbain. Cet outil de modélisation dynamique permet de déterminer au mieux l’impact des mesures visant à réduire la congestion. Il prend en compte la variation de l’offre au cours de la période analysée et décrit de manière endogène la variation de la matrice O-D au cours de la journée. Il décrit le mouvement des navetteurs dans le cadre des déplacements du domicile vers le lieu de travail. Dans ce modèle, les comportements des usagers ne sont pas modélisés en cherchant la réalisation du principe de Wardrop, mais par un processus de choix en rationalité limitée avec processus d’apprentissage d’un jour sur l’autre. Le conducteur est supposé effectuer des choix en matière de déplacements (choix modal, choix de l’heure de départ et du temps de trajet) en fonction de règles heuristiques. Les individus, dans le modèle, sont supposés disposer de capacités cognitives limitées. Les conducteurs sont supposés être associés à une paire origine-destination donnée et une heure de départ t et possèdent une fonction de coût inspirée des travaux de Vickrey (1969). Cette fonction de coût introduit des pénalités sur les arrivées précoces et sur les arrivées tardives à destination par rapport à une heure officielle de début de travail. Le modèle comporte également une étape de modélisation de la recherche d’une place de stationnement. Une autre caractéristique du modèle est qu’il n’implique pas au départ la connaissance désagrégée des caractéristiques des usagers (caractéristiques socio-économiques, heures souhaitées d’arrivée) mais qu’il les détermine à partir d’hypothèses, sur la forme des lois de répartition qu’elles suivent (le modèle déterminant par calibrage les paramètres dont dépendent ces lois). Les exigences en matière de données sont donc faibles. Les sorties du modèle sont les répartitions horaires des instants de départ par noeud, ainsi que la répartition horaire des trafics sur chaque arc.