La vie d’une cité dépend de son système de transport et une économie urbaine en bonne santé nécessite que le transport soit fluide et efficace. Le transport, aussi bien de personnes que de marchandises, constitue un service sans lequel la ville ne pourrait pas vivre et échanger. La fonction transport tient ainsi une place essentielle dans les villes. Elle touche en effet directement à ce qui constitue l’essence même et la raison d’être des formes urbaines : la variété et la densité des occasions d’échange offertes au citadin. Ainsi, si la facilité et la qualité de ces échanges urbains (travail, achats, loisirs, ...) dépend de la richesse et de l’équilibre de la structure urbaine, elle est aussi conditionnée par l’efficacité du système de transport.
Lorsque l’on cherche à analyser le système de transport urbain, il convient de le replacer dans son contexte : la ville. Par analogie avec le fonctionnement du corps humain, le système de transport urbain peut être comparé au système sanguin et nerveux qui permet d’irriguer les différents lieux de la ville, de les mettre en relation. Ce système ne se caractérise pas seulement par un réseau de communication physique, mais surtout par des déplacements effectués par des personnes et des marchandises. Sa fonction fondamentale est l’échange. A l’instar de Bonnafous et Puel (1983), nous préférerons utiliser le terme de « système de déplacements urbains ». Ces auteurs en donnent la définition suivante : « celui-ci est constitué tout à la fois des flux de biens et de personnes qui parcourent la ville et de ce qu’il convient d’appeler le système de transport, qui en constitue le support » (Bonnafous, Puel, 1983, p.44).
Le système de déplacements est complexe. Pour l’analyser, il convient de poser quelques principes analytiques de base, de le conceptualiser. Manheim (1979) pose deux principes de l’analyse du système de déplacements :
le système global de déplacement d’une aire urbaine doit être considéré comme un système unique, multimodal. C’est-à-dire que tous les modes doivent être considérés, tous les éléments du système de transport doivent être pris en compte (les personnes et les marchandises transportées, les véhicules employés, le réseau et les équipements), etc. De cette définition détaillée du système de transport, l’analyste doit limiter son objet aux éléments qui concernent plus directement ses objectifs. Cette procédure le conduit à considérer de façon explicite les hypothèses introduites en éliminant les éléments individuels d’un système fortement complexe et interrelié.
T, le système de transport ;
A, le système d’activités ;
F, la structure des flux dans le système de transport, c’est-à-dire les origines, les destinations, les itinéraires, les volumes de marchandises transportées et les personnes en mouvement.
Manheim identifie trois sortes de relations entre ces trois variables (cf. figure 1-1).
Source : MANHEIM M. (1979) Fundamentals of transportation systems analysis, The MIT Press, Cambridge.
La relation 1 signifie que la structure des flux dans le système de transport est déterminée à la fois par le système de transport physique et par le système d’activités. La relation 2 indique que la structure des flux effective peut entraîner des changements dans le temps sur le système d’activités. La relation 3 exprime le fait que la structure courante des flux peut également entraîner avec le temps des changements dans le système de transport (en réponse aux flux actuels ou anticipés, les entrepreneurs et les gouvernements vont développer des nouveaux services de transport ou modifier les services existants).
Manheim souligne que le système d’activités symbolisé par A consiste en un ensemble de sous-systèmes, se chevauchant et étant en interrelation, tels que les structures sociales, les institutions politiques, les marchés du logement, etc. Le système de déplacement constitue d’ailleurs un sous-système de A. L’évolution du système d’activités est déterminée par un grand nombre de forces et de pressions. La dynamique interne de ce système est très complexe, et notre compréhension de ces dynamiques est encore très incomplète. Le transport joue un rôle dans l’évolution du système d’activités, mais excepté dans des situations spécifiques, il n’est pas le seul déterminant de cette évolution. Ainsi, comme le souligne Manheim, le développement des automobiles et celui des réseaux routiers rapides, n’ont pas entraîné à eux seuls la périurbanisation et la dispersion des aires métropolitaines. En effet, ce phénomène est fortement relié à la dynamique de croissance des revenus, aux changements des marchés de logement et d’emplois, etc. L’interrelation entre le système des déplacements et le système des activités semble cependant fondamentale pour comprendre le fonctionnement d’un tel système. Manheim conclut en affirmant que le transport doit être considéré comme une technologie, un système d’éléments physiques géré par des organisations humaines pour faire déplacer les personnes et les marchandises.
Cette approche systémique du système de déplacement est reprise par Bonnafous et Puel (1983). Ces auteurs proposent une conceptualisation de la ville, et posent « l’hypothèse selon laquelle la ville peut être interprétée comme l’imbrication de trois sous-systèmes, dotés chacun d’une logique de fonctionnement et de transformation, mais qui s’articulent les uns avec les autres selon des relations complexes de causalité » (Bonnafous, Puel, 1983, p.44). Les trois sous-systèmes que ces auteurs considèrent sont : un système de localisation (qui renvoie au problème de l’utilisation des sols), un système de déplacement, et un système de pratiques et de relations sociales (qui renvoient au mode de fonctionnement de la société). Nous retrouvons l’approche de Manheim, avec un contenu plus explicite du système d’activités, qui est décomposé en deux sous-systèmes, le premier renvoyant davantage aux contraintes spatiales du système urbain, et le second, en quelque sorte, aux temporalités de l’activité urbaine.
L’analyse du système de déplacement revient en fait à étudier la formation des flux de déplacement, sa structure, ses déterminants. L’analyse systémique de Manheim permet de conceptualiser la formation des déplacements dans l’espace urbain. Les déplacements effectués résultent de la rencontre entre l’offre d’acheminement (les réseaux, les services accessibles) et la demande de circulation (qui dépend du système d’activités). Cet équilibre économique est une relation, directe, entre l’offre et la demande.
Source : Ministère de l’Equipement de l’Economie et des Finances, Direction de la prévision (1997).
La figure 1-2 met en évidence que les déplacements urbains sont le résultat de la confrontation entre une offre de transport, le système physique de transport, et une demande de déplacements.
Si l’offre de transport peut être immédiatement identifiée, la demande de transport, en revanche doit être explicitée. La demande de déplacement renvoie à l’expression de comportements de choix de déplacement des individus. Elle est une représentation des comportements individuels de déplacement. Par ailleurs, elle est une demande dérivée dans le sens où le déplacement est désiré non pour lui-même mais est un moyen de se rendre en certaines localisations à une certaine période, et ce but est lui-même issu du désir de réaliser certains schémas d’activités. Ainsi, la demande de déplacement est conditionnée par le système d’activités. Les besoins de déplacements naissent des besoins d’échanges des individus dans la ville et du fait de la dispersion des lieux d’activités à travers la ville. A ce sujet, Vermot-Desroches (1994) souligne que les transports ne sont qu’une matérialisation des besoins d’interaction spatiale. La demande de déplacements est donc déterminée par des comportements d’activités des individus et renvoie donc à un ensemble complexe et spatialement varié d’activités telles que le travail, les loisirs, les achats et les résidences. La demande de déplacements est une demande dérivée, intermédiaire.