2. La recherche d’une causalité

Nous supposons que la relation entre système de déplacement et système de localisation est double. Les changements que connaissent les villes ont d’importantes incidences sur les déplacements et l’offre de transport, lesquels affectent à leur tour la façon dont les villes évoluent. La première relation ne pose plus de problème et a été détaillée dans le chapitre précédent. Pour résumer, nous rappelons que la demande de déplacements est une demande dérivée, elle découle des besoins de réalisation d’activités. La deuxième relation paraît moins immédiate. Il faut alors rechercher le type de causalité mis en oeuvre. L’objectif est de connaître l’influence du système de transport sur la structure urbaine. Plassard (1975) s’est interrogé sur la notion de causalité au sujet du problème des effets structurants des autoroutes sur le développement régional. Nous nous démarquons de cette problématique dans la mesure où notre objectif n’est pas d’analyser ou de mesurer les effets du système de transport sur le développement économique urbain mais d’étudier l’effet des modifications du système de transport sur les configurations urbaines, ou plus précisément l’effet des changements des conditions de transport sur les choix de localisation des ménages et des activités. L’analyse des types de causalité énoncée par Plassard nous est cependant utile pour mieux déchiffrer le phénomène. La plupart des auteurs mettent des significations extrêmement diverses sous ce terme, confondant parfois la simple concordance statistique avec la causalité. Il est donc nécessaire de voir quels sont les divers types de causalité et comment les diverses approches statistiques permettent non pas de les établir, mais au mieux de les postuler. C’est le rôle de la théorie de poser la relation de causalité. Dans un contexte scientifique, la causalité ne peut être que la recherche d’un certain ordre dans les faits empiriques, d’une relation privilégiée entre deux événements. Bonnafous (1989) retient deux types de causalité, la causalité « prédicative » et la causalité de « type G.S.R (Generalized stimulus reponse) » : la seconde est une relation fondée sur la répétition d’un événement B lorsqu’un événement A survient. Dans le premier cas, connaissant A on peut prévoir B, alors que dans le second cas, non seulement on peut prévoir B, mais on sait en plus qu’il existe un lien de dépendance stricte entre A et B. L’exemple que prend Plassard permet de mieux situer les deux types de causalité. Soit trois événements A, B, C dont on sait a priori que A cause B et que B cause C. Entre A et B et entre B et C, il y a une causalité de type G.S.R.. Par contre, entre A et C, nous pouvons établir une relation prédicative. En effet, chaque fois que A se produira, B s’ensuivra et donc C. En revanche, si la structure A, B, C est telle que A soit (au sens de causalité G.S.R.) la cause unique de B et C, on peut toujours établir une relation de causalité entre B et C ou entre C et B, puisque chaque fois que B se produira C se produira aussi. Nous retrouvons là un problème bien connu des économistes et des statisticiens : comment passer de la constatation d’une simple concordance à l’établissement d’une relation causale. Pour Plassard, le seul type de causalité qui mérite cette désignation est de type G.S.R.. La connaissance parfaite des divers liens de causalité entraîne nécessairement la possibilité de prévoir. Cette structure de cause à effet, qui est une des recherches constante de l’activité humaine, ne peut être observée. C’est l’observation de relations particulières entre deux événements A et B qui conduit l’observateur à leur appliquer une structure de causalité. Une telle relation postulée, ne peut d’autre part, être que relative : elle dépend du niveau auquel se situe la connaissance. Supposons en effet trois événements se causant mutuellement : A → B → C. Si l’événement B ne peut être perçu, on en conclut tout naturellement que C est causé par A, ce qui se révélera faux dès que B sera connu. Plassard (1975) souligne que le recours à la théorie est bien souvent indispensable pour rendre univoque une relation entre deux variables. C’est d’ailleurs la seule possibilité pour établir une relation de causalité. « Loin d’être une infirmité, ce recours à la théorie est en fait la seule voie pour une tentative d’explication » (Plassard, 1975). En effet, tout établissement d’une relation entre deux phénomènes est le résultat d’une double opération d’abstraction. Tout d’abord, ce ne sont pas des faits bruts, ou prétendus bruts tels que l’observateur prend en considération, mais des phénomènes qu’il crée par les conditions mêmes de l’expérience. Ensuite, il appliquera sur les relations qu’il pourra mettre en évidence entre ces deux phénomènes des structures logiques, telle que la relation de causalité. On ne peut donc pas dire que celle-ci existe dans les phénomènes observables. Vouloir rechercher une relation de causalité, c’est donc toujours théoriser dans la mesure où l’on tente d’expliquer par une certaine structure les caractéristiques de phénomènes crées partiellement par l’observateur. L’usage de la théorie est indispensable à condition qu’il soit explicite. De nombreuses contributions théoriques peuvent alimenter l’étude du rôle du transport sur les choix de localisation, et donc l’analyse de l’interaction. C’est ce que nous allons présenter dans le présent chapitre. Ces contributions sont de divers ordres. Certaines postulent une causalité quasi mécanique : ce sont les modèles de type gravitaire. D’autres proposent une explication plus économique, fondée sur le comportement rationnel des agents économiques. Pour les auteurs de l’économie urbaine, l’analyse du rôle des transports dans la ville passe par le mécanisme de la rente foncière. De nombreuses critiques peuvent être adressées à ces modèles, notamment concernant l’extrême simplification de la représentation de la ville qu’ils posent. Cependant, ces modèles présentent un grand intérêt normatif. Il s’agit de constructions théoriques qui aident à la compréhension et à l’explication des phénomènes observés.

Dans un premier temps, nous présenterons deux notions essentielles : celle de l’interaction spatiale (section 1) puis celle de l’accessibilité (section 2). La notion d’interaction spatiale a donné lieu à de nombreux développements, notamment les modèles gravitaires. La notion d’accessibilité peut être considérée comme une notion centrale dans la relation transport-urbanisation. Dans un second temps, nous présenterons les grandes traditions en termes de modélisation du système urbain et insisterons sur la façon dont est envisagée l’action du transport sur l’urbanisation. Ainsi, les principaux modèles de simulation des localisations urbaines seront exposés (section 3). Puis, les principaux enseignements des modèles de la micro-économie urbaine concernant le rôle du transport sur les choix de localisation seront rappelés (section 4). La section 5 présentera une approche alternative à ces derniers modèles, à savoir les modèles de choix discrets de localisation fondés sur la théorie de l’utilité aléatoire.