On peut encore déduire la relation gravitationnelle d’interaction spatiale selon une approche différente procédant d’une extension de la théorie du choix du consommateur à la décision de déplacement. Tout déplacement est source d’utilité pour celui qui l’entreprend. Cette idée a permis certains auteurs de transposer les apports de la théorie des choix individuels de consommation à l’analyse du comportement spatial et de considérer le voyageur comme un consommateur de déplacements. Ainsi sous des contraintes budgétaires le consommateur essaiera de maximiser sa fonction d’utilité des déplacements. Dans ce cadre, plusieurs approches ont été proposées selon la définition de l’utilité, conduisant in fine à une reformulation et une justification des modèles gravitaires fondées sur l’analyse des comportements individuels.
Niedercorn et Bechdolt (1969) affirment qu’une personne k se déplace pour entrer en contact avec d’autres personnes. Ils supposent que l’utilité retirée par k est une fonction croissante U du nombre de contacts réalisés, soit U( k T oj ). Dans la zone de destination, plusieurs personnes peuvent être visitées ; le nombre total de personnes que l’individu k désire visiter est proportionnel à la population P j de cette zone, mais à chaque déplacement k ne peut rencontrer qu’une seule personne. Dans ces conditions, le niveau d’utilité correspondant à l’ensemble des contacts établis par k en j est donné par :
Pour l’ensemble des destinations, l’utilité globale est supposée correspondre à la somme des utilités précédentes :
Bien entendu, la valeur de kT oj ne peut être infinie, car l’agent possède des moyens limités en argent ou en temps. Niedercorn et Bechdolt introduisent successivement ces deux sortes de contraintes. Considérons à titre d’exemple la contrainte monétaire :
r représente le coût unitaire de transport ;
D oj la distance entre 0 et j ;
k M o le budget-transport de k (au lieu 0).
Une fois spécifiée la structure de la fonction U, l’équilibre du « consommateur de déplacements » est obtenu en maximisant k Uo compte tenu de la contrainte précédente. Ainsi dans le cas où U( k Toj)=log k Toj on obtient6 :
soit :
le nombre total des déplacements effectués par les résidents de la zone-origine vers j.
le budget total que les habitants de la zone-origine consacrent aux déplacements.
Niedercorn et Bechdolt admettent que Mo est proportionnel à la population de cette zone :
M o =uP o
On obtient finalement l’expression d’un modèle directionnel de flux :
La structure de ces modèles de gravitation résulte d’une analyse familière à l’économiste. Cependant, il nous semble que la transposition de la théorie micro-économique de la demande du consommation à celle de la demande de déplacements établie par Niedercorn et Bechdolt n’est pas adéquate. En effet, nous avons montré dans le chapitre précédent que la demande de déplacements était une demande intermédiaire. Il nous semble que l’utilité d’un déplacement ne peut pas être établie en fonction du nombre de déplacements effectués. Aussi, plus qu’une simple analogie, il s’agit d’analyser le comportement individuel dans le cadre de deux activités « concurrentes » : le consommateur de déplacements est avant tout un consommateur de biens économiques. Aussi il conviendrait que les arguments de la fonction d’utilité ne se limitent pas exclusivement au nombre des déplacements et que la contrainte budgétaire fasse état de la relation existant entre le budget de transport et le revenu que le consommateur entend consacrer à l’achat des autres biens. Se limitant à l’analyse du comportement spatial au sens strict, Niedercorn et Bechdolt (1970, 1972) préfèrent adopter le point de vue de la « nouvelle théorie » du consommateur (Lancaster, 1966) en considérant que les caractéristiques des déplacements constituent la source directe d’utilité. Les arguments de la fonction d’utilité sont définis par les quantités de caractéristiques des déplacements et non par le nombre de ces derniers.
De même que l’hypothèse des opportunités interposées, l’approche de l’interaction spatiale en termes d’optimisation de l’utilité s’applique uniquement à une partie des phénomènes que l’on peut étudier ; elle exige des hypothèses ad hoc sur le comportement individuel et sur la manière de percevoir les coûts et les avantages de la mobilité. Ces approches peuvent être considérées comme les prémisses de l’analyse des choix discrets avec la théorie de l’utilité aléatoire (McFadden, 1973). Parmi les modèles d’interaction spatiale, les modèles gravitaires conservent une place primordiale bien que l’on leur ait reproché leur manque de fondement théorique économique. En outre, certains auteurs, notamment Anas, ont contribué à apporter des fondements économiques aux modèles gravitaires en démontrant l’identité existant entre les modèles gravitaires et les modèles de choix discrets.
Niedercorn et Bechdolt envisagent également le cas d’une fonction puissance.