321. Les modèles de programmation linéaire

En 1960, deux chercheurs de l’Université de Pennsylvanie, Herbert et Stevens, travaillant sous la direction de Harris, entreprennent à l’aide de moyens financiers importants une vaste étude de transport dans la région de Philadelphie. Le modèle qu’ils élaborent se proposait de déterminer une utilisation optimale de l’espace pour la localisation des activités urbaines de l’emploi industriel, de la population et des résidences, de l’emploi lié à la population résidentielle, des transports, et des autres emplois. En fait, seul le schéma de localisation résidentielle a été approfondi, au moyen d’un modèle micro-économique de comportement des ménages qui a pris la forme d’un programme linéaire. Ce modèle est basé sur le concept d’offre de rente (bid-rent) développé par Alonso. En raison de cette ascendance théorique commune, le modèle H-S (Herbert-Stevens) constitue un modèle discret, parallèle au modèle standard d’utilisation du sol de la NEU10 (présenté dans la section suivante). A défaut de l’élégance théorique des modèles continus, il présente l’opérationalité potentielle qui leur manque (Camagni, 1996). Ce modèle simule un marché compétitif pour l’allocation de terrains à usage résidentiel entre les habitants d’une ville, sur la base d’une offre différentielle de rente aux propriétaires : comme sur tous les marchés, le terrain revient à celui qui offre la rente la plus élevée. Le niveau de la rente offerte par chaque habitant pour chaque terrain procède d’une comparaison entre le budget disponible pour l’achat du service résidentiel global et le coût de ce service (à l’exclusion du prix du terrain). Le terme de service résidentiel global recouvre la combinaison spécifique d’un logement, d’un certain niveau de qualité de l’environnement, d’un ensemble de déplacement et une certaine surface de sol. Le modèle optimise la localisation de groupes différents de population, repérés par homogénéité de revenu par tête, de préférences de localisation, etc. Suivant les contraintes qui découlent de la dimension des zones disponibles et de la nécessité de loger toute la population sur le territoire de la ville, le modèle se propose de déterminer le nombre de personnes du groupe h qui acquiert le service résidentiel k en zone i, la rente unitaire effective en zone i, et la subvention ou la taxe pour chaque personne du groupe h. Chaque personne choisit sa résidence non pas sur la base de toutes les alternatives possibles correspondant aux courbes d’indifférence, mais seulement à partir des alternatives qui garantissent la différence maximale entre le budget résidentiel et les coûts, et ceci sous des contraintes qui respectivement garantissent que la demande de sol soit compatible avec sa disponibilité dans chaque zone et que toute la population présente trouve une localisation résidentielle. Ce processus maximise le surplus payable comme rente : si nous supposons la gratuité de la terre, sans aucune rente à payer, cette différence représente en réalité l’avantage subjectif maximum qu’une personne retirerait de la localisation. C’est un critère d’optimisation en accord avec la méthode proposée et sa théorie sous-jacente : il permet de simplifier au maximum le problème des choix individuels. Le problème peut également être posé de la façon suivante : comment minimiser la rente effective de l’ensemble du système territorial, subvention à la population comprise, en tenant compte du fait que la rente payée par chaque groupe social soit au moins égale ou supérieure à son avantage subjectif c’est-à-dire son offre de rente. D’emblée, il pourrait sembler étrange que le problème dual impose la minimisation de la rente effective, mais ce résultat découle de l’action d’un mécanisme concurrentiel de marché. Dans le cas primal, on se place du point de vue du propriétaire qui attribue le terrain à quiconque est à même d’en offrir le prix le plus élevé, dans le cas dual, du point de vue de l’acquéreur, qui essaie de minimiser sa dépense en mettant aux prises les différents propriétaires.

L’intérêt de la variable de subvention permet d’éviter que certains groupes sociaux à revenu faible ne soient chassés de la ville par la capacité de paiement plus élevée des autres groupes qui détermine le niveau de la rente effective. Les subventions permettent aux catégories sociales les plus défavorisées de conserver un logement. Cette variable est liée aux politiques publiques sociales et résidentielles. L’utilisation du modèle permet d’évaluer les effets des politiques de subventions de type direct (c’est-à-dire opérant par des transferts de revenu au profit des groupes les moins favorisés engendrant dans la logique du modèle leur déplacement vers des catégories sociales et de revenu plus élevées) et de les comparer à ceux des subventions de type indirect, par exemple les politiques du logement en faveur de l’habitat résidentiel.

Ce modèle présente certaines limites. Il s’agit d’un modèle à visée opérationnelle, cependant la grande masse des informations nécessaires s’est souvent opposée à son utilisation effective. Or, on ne peut pas tirer de solutions théoriques avant d’avoir rendu le modèle opérationnel, en outre, le schéma d’utilisation du sol peut être très différent du schéma réel. Bien que le modèle ait été construit pour un usage opérationnel d’études de prévision d’occupation des sols, il a tout de même influencé des recherches à la fois théoriques et empiriques en économie urbaine. En particulier, l’algorithme de Harris a été utilisé dans le modèle de simulation urbaine NBER et les modèles de développement urbain de Haward (HUDS).

Notes
10.

Nouvelle Economie Urbaine.