412. Présentation formelle

4121. Les conditions de l’équilibre du ménage

Dans le modèle d’Alonso et conformément à la théorie néoclassique du consommateur, le ménage qui fait un choix de localisation cherche à maximiser son niveau d’utilité sous contrainte de son revenu et de prix. On considère que les biens que consomme le ménage sont le logement, défini comme une superficie de sol, le transport vers son lieu d’emploi au centre-ville et un bien composite incluant tous les autres biens que le logement et le transport, c’est-à-dire les biens non spatialisés.

On remarque que le ménage est considéré comme le producteur de son logement : sa consommation de sol conditionne directement son niveau d’utilité, sans qu’un quelconque coût de construction soit envisagé. Muth, dans un modèle urbain proche de celui d’Alonso, considère quant à lui un secteur de construction de logement (Muth, 1969).

Le comportement du consommateur se formalise donc de la façon suivante11 :

maximiser

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sous la contrainte

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  • X représente le bien composite, de prix unitaire . U' X > 0, il s’agit d’un bien normal.

  • S est la quantité de sol de prix unitaire p variable en fonction de la distance au centre D, U' S > 0, utilité marginale positive.

  • C(D) le coût de transport entre domicile et lieu de travail, fonction de la distance au centre D. U' D <0, toutes choses égales d’ailleurs, son éloignement au CBD se traduit par une désutilité.

  • Y est le revenu du ménage.

Alonso fait l’hypothèse implicite d’une préférence des ménages pour la centralité (la dérivée marginale de U par rapport à D est négative : U’ D < 0 alors que X et S étant des biens normaux, U’ X > 0 et U’ S > 0). Alonso explicite peu le contenu de cette hypothèse. Il fait allusion à la fois au centre comme lieu d’achats, de loisirs et d’emplois et aux désagréments causés par les migrations alternantes. L’hypothèse de préférence pour la centralité serait un moyen de prendre en compte à la fois les désagréments (temps de transport, fatigue) des migrations alternantes et les motivations du déplacement autres que celles relatives au travail. En dehors de cette interprétation, la préférence pour la centralité n’a pas lieu d’être dans le cadre des hypothèses posées par Alonso : l’espace est considéré comme isotrope. Toutefois, faire ou non l’hypothèse d’une préférence pour la centralité ne semble pas remettre en cause les résultats qualitatifs du modèle (Goffette-Nagot, 1994). L’absence de préférence pour la centralité sera l’hypothèse généralement retenue dans les modèles de la NEU.

Une des questions qui se pose est de savoir si la décroissance du prix du sol provoquée par un éloignement du centre est ou non compensée par les coûts de transport croissants. En outre, on peut avoir l’intuition du rôle de la structure des préférences des ménages : celui-ci doit arbitrer entre une plus grande consommation de logement et un éloignement du centre, censé diminuer son niveau d’utilité. A partir du modèle tel qu’il a été exposé ci-dessus, on dérive les conditions d’équilibre du consommateur en annulant les dérivées partielles premières de la fonction de Lagrange associée à ce problème.

Avec

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où λ est un multiplicateur de Lagrange. Les conditions du premier ordre s’écrivent :

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On tire de ces équations :

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Les interprétations de ces conditions sont les suivantes. L’équation 3 du système précédent (2-65) renvoie à un résultat classique qui signifie que la contrainte de budget est saturée à l’optimum. L’équation 1 est également relativement classique. Il s’agit du taux marginal de substitution du sol au bien composite (rapport des utilités marginales de consommation de sol et du bien composite) qui est égal, à l’équilibre, au rapport de leur prix. Ce taux marginal de substitution entre sol et bien composite est fonction de la distance : selon la localisation du consommateur, ces deux biens voient leur utilité se modifier. Le taux marginal de substitution décroît avec la distance. Cela indique que la consommation de sol s’accroît avec l’éloignement du CBD. L’équation 2 fait intervenir la condition d’équilibre spatial. Selon cette équation, le taux marginal de substitution entre la distance et le bien composite doit être égal au rapport entre une quantité p D S + C D et le prix du bien composite pX. Ce rapport s’interprète comme un rapport de prix. La quantité p D S + C D désigne alors le prix d’un déplacement marginal de la localisation du ménage : le premier terme de cette expression est le produit de la dérivée de la fonction du prix du sol et de la quantité de logement consommée par le ménage à l’équilibre ; il représente le gain sur la dépense en logement procuré par un éloignement infinitésimal du centre ; le second terme quant à lui désigne la dépense supplémentaire de transport supportée par le ménage pour un éloignement infinitésimal. Alonso nomme la quantité p D S + C D : « coût marginal d’un mouvement spatial ». Coût de transport et frais de « localisation » varient en sens inverse : un rapprochement unitaire du centre se traduit par un accroissement de ces frais et une diminution de ces coûts de transport. La fonction d’utilité étant décroissante en fonction de la distance (U’ D < 0) et l’utilité marginale et le prix du bien composite étant positifs (U’ X > 0, p X > 0), le coût marginal d’un éloignement du centre du lieu de résidence du ménage doit être négatif (p D S + C D < 0). En outre, comme la quantité de logement consommée S est positive, de même que le coût marginal du transport C D, la dérivée de la fonction de prix du sol par rapport à la distance P D doit elle aussi être négative. Cela signifie que le ménage, pour atteindre l’équilibre, se localise en un lieu où, d’une part, la fonction de prix du sol est décroissante et où, d’autre part, le gain sur la dépense en logement procuré par un déplacement marginal de localisation excédera la dépense en transport supplémentaire. On a ainsi les conditions de l’équilibre spatial du ménage.

Ces résultats peuvent s’exprimer de façon plus littéraire. Le premier résultat correspond à l’idée selon laquelle si, à l’équilibre, le ménage se trouvait dans une situation où la fonction de prix du sol était croissante, il aurait tout intérêt à se rapprocher davantage du centre : il économiserait sur le prix du sol, sur la dépense en transport et accroîtrait son utilité, puisque celle-ci est décroissante avec la distance. Le deuxième résultat est cohérent avec la remarque selon laquelle, si à l’équilibre le gain sur la dépense de logement procuré par un éloignement marginal était inférieur à la dépense supplémentaire en transport, le ménage préférerait se rapprocher du centre, puisqu’il diminuerait ainsi ses dépenses en augmentant son utilité. Ces résultats sont la conséquence logique des hypothèses faites sur la structuration spatiale de la ville : dans un cadre où la seule caractéristique permettant de distinguer deux localisations est la distance au centre, qui induit des coûts de transport, il est logique que les ménages n’acceptent de s’éloigner du centre qu’à condition de voir leur prix du logement décroître. C’est l’existence de coûts de transport - ainsi que la préférence pour la centralité dans le cadre des hypothèses d’Alonso - qui explique les conditions d’équilibre spatial des agents sur la ville.

Selon Goffette-Nagot (1994), les hypothèses d’existence de coûts de transport et celle de la préférence pour la centralité ne se situent pas au même plan. La première est essentielle au modèle alors que la deuxième n’est que contingente. En effet, l’absence d’une hypothèse de préférence pour la centralité (on suppose alors une indifférence par rapport à la localisation : U’ D = 0), qui est l’option retenue par Muth, ne remet pas en cause les résultats précédents. Au contraire, elle permet de les affiner. Ainsi, sous cette hypothèse (les autres hypothèses essentielles du modèle restant inchangées), l’équation (2) à l’équilibre est remplacée par -p D S = C D, dite condition de Muth. Cette nouvelle équation signifie cette fois que le gain marginal sur la dépense de logement est exactement compensé par la dépense marginale en transport.

Notes
11.

Cette présentation est reprise de Goffette-Nagot (1994).