51. Une approche alternative au modèle d’Alonso

Depuis les travaux d’Alonso (1964) sur la théorie de la localisation urbaine des ménages, l’idée d’un marché foncier se comportant comme un processus d’enchères a été envisagée comme l’approche la plus pertinente. Cette version a été à l’origine, comme nous l’avons présentée précédemment, développée sous une forme déterministe et pour une ville monocentrique. Une approche alternative a été proposée par McFadden (1978) et Anas (1982) fondée sur la théorie de l’utilité aléatoire (Domencich, McFadden, 1975). Cette approche conduit, le plus souvent, à générer des modèles de spécification logit, qu’ils soient multinomiaux ou encore hiérarchiques.

L’approche des modèles de choix discrets de localisation vise à donner un contenu plus réaliste aux modèles micro-économiques urbains. En effet, la nature des hypothèses simplificatrices de ces modèles, leur représentation mathématique et les difficultés opérationnelles qu’ils posent, les restreignent à des propositions théoriques, ne procurant pas d’outils très utiles aux planificateurs. De la Barra (1989) présentent les principaux défauts de cette approche :

  1. Les consommateurs et les producteurs sont supposés disposer d’une information parfaite sur les conditions du marché. Une information limitée devrait être une hypothèse plus réaliste.

  2. Les demandeurs et les offreurs ont une mobilité à faible coût et ils peuvent apparaître et disparaître sans coûts.

  3. Les demandeurs et les offreurs sont supposés disposer de fonctions d’utilité déterministe. Confrontés aux mêmes circonstances, ils choisiront toujours la même option.

  4. Ces modèles ont une approche trop agrégée (on raisonne sur un individu moyen).

L’approche du choix de localisation résidentielle en termes de choix discrets tente de pallier ces défauts. Ces modèles s’inscrivent dans la lignée des modèles probabilistes. La formulation probabiliste permet à la fois d’envisager des localisations discrètes et de prendre en compte l’existence de différences quant aux préférences individuelles grâce à une fonction d’utilité aléatoire. La représentation des choix de localisation résidentielle par l’approche des choix discrets peut être résumée comme suit. Un individu doit choisir une zone de localisation résidentielle parmi l’ensemble L. L’individu attribue à chaque localisation une fonction d’utilité. Celle-ci est définie en fonction des attributs de la zone résidentielle. A l’instar de Lancaster (1966), l’approche en termes de choix discrets définie l’utilité en fonction des propriétés et des caractéristiques des biens, nommés attributs du logement ou de la zone résidentielle. Le logement peut être considéré comme un bien qui outre ses caractéristiques propres, donne accès à un certain nombre de biens localisés qui font alors partie du bien logement. Ainsi, généralement décrit comme un panier, le bien résidentiel est effectivement composé d’éléments structurels (taille, forme, nombre de pièces, type de chauffage, etc.), d’éléments relatifs à sa localisation (accessibilité générale) et d’éléments d’environnement immédiat (composition sociale du quartier, voisinage, etc.) ou d’environnement institutionnel (offre de biens d’équipements, politique municipale, etc.), d’environnement naturel (présence d’espace vert, etc.). On doit se demander quelle échelle considérer pour tenir compte de la présence de ces différentes caractéristiques. Les équipements ne sont jamais disponibles à la localisation même du logement, mais sont plus ou moins proches. Hormis le paysage ou un air non pollué, qu’on peut consommer depuis sa fenêtre, les attributs des lieux correspondent en fait à des accessibilités à certaines caractéristiques, à une échelle qui est différente de l’accessibilité au centre. Ainsi, le logement ou la zone résidentielle, est envisagé comme un ensemble de services, et les ménages, étant des agents rationnels à la recherche de la plus grande satisfaction, fondent leur fonction d’utilité sur les attributs de cette zone. L’individu compare ces différentes utilités et sélectionne la localisation qui offre la plus forte utilité. Afin de prendre en compte la variabilité dans les comportements individuels, les utilités sont spécifiées comme des variables aléatoires de telle sorte que le choix est probabiliste (De Palma, Lefèvre, 1985). L’utilité de l’agent face à une alternative comprend deux composantes : une composante déterministe, considérant d’une part les attributs du logement ou de la zone résidentielle et d’autre part des caractéristiques du décideur (par exemple revenu, profession, etc.) et une composante aléatoire, comprenant les éléments de subjectivité de chaque décideur et des erreurs d’évaluation dues à un manque d’information ou à la rationalité limitée dans laquelle il effectue ses choix. En d’autres termes, pour le décideur n, l’utilité du choix de l’alternative i se définit par :

U ni = V ni + e ni

U est l’utilité totale, V sa part déterministe qui est égale pour tous les décideurs de la même classe relativement au choix i et e est le terme aléatoire. La probabilité que le décideur n choisisse i est donnée par :

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c’est-à-dire la probabilité que l’utilité relative soit supérieure à celle de n’importe quelle autre décision. Telle est l’équation fondamentale de tous les modèles d’utilité aléatoire dans la mesure où, supposant une certaine distribution des termes aléatoires et des termes connus V, il devient possible de calculer la probabilité de choix d’une alternative. Ces hypothèses permettent de prévoir les comportements des décideurs. On part, en effet, d’une base empirique représentée par les choix des N décideurs confrontés à un ensemble d’alternatives A, et d’un ensemble de variables explicatives X, caractéristiques des décideurs, qui influent sur les termes V de leurs fonctions d’utilité et donc sur les choix des décideurs eux-mêmes. Les hypothèses de la théorie de l’utilité aléatoire permettent de construire un modèle qui représente logiquement ces processus de décision et qui selon les hypothèses relatives à la distribution des termes aléatoires, peut être estimé économétriquement.

Cette démarche théorique peut être illustrée par la présentation d’un modèle de choix de localisation résidentielle proposé par de Palma et Lefèvre (1985).