122. Les exigences de l’opérationalité

Comme nous l’avons brièvement exposé dans le chapitre 3, Bonnafous (1989) a mis en évidence trois conditions nécessaires et suffisantes de l’opérationalité d’un modèle.

  • le modèle doit être cohérent, c’est-à-dire, remplir non seulement une condition triviale de cohérence interne ou de non contradiction, mais aussi remplir une condition de cohérence avec son objectif. Ce dernier point signifie une parfaite compatibilité entre la structure logico-mathématique du modèle et ses ambitions théoriques.

  • il doit être pertinent, c’est-à-dire conforme aux réalités (telles qu’on peut les appréhender), en particulier quant à la forme numérique des équations et quant au réseau de causalités qu’elles représentent.

  • il doit être mesurable, c’est-à-dire ne comporter que des variables et des paramètres susceptibles d’être estimés à partir des échantillons statistiques accessibles.

Ces conditions sont toutes nécessaires à l’opérationalité du modèle : à défaut de cohérence, l’objectif du modèle ne saurait être atteint puisqu’il n’apporterait pas les solutions théoriques du problème posé, même par conséquent, les solutions numériques. Si le modèle n’est pas pertinent, son contenu et ses résultats, sans rapports suffisants avec la réalité sont vides de sens. Si les éléments quantitatifs ne sont pas mesurables, il n’est pas possible de vérifier la pertinence, ni de procéder aux calculs impliqués par l’objectif du modèle. Ces trois conditions forment une condition suffisante de l’opérationalité : en effet, si le modèle est cohérent, son objectif est réalisable au plan théorique. Il l’est aussi en pratique si les grandeurs utilisées sont mesurables à partir des statistiques disponibles. Enfin, le résultat obtenu représente convenablement la réalité si le modèle est pertinent, ce que la condition de mesurabilité permet de vérifier. Au total, le modèle peut être appliqué au réel conformément à son objectif.

Ces trois conditions nécessaires et suffisantes sont cependant par nature contradictoires et déterminent ce que Bonnafous appelle « la problématique du modèle ». Pour répondre à l’exigence de mesurabilité, il est souvent nécessaire de réduire un modèle aux catégories disponibles du point de vue statistique, ou encore de supprimer certaines variables explicatives et d’appauvrir ainsi sa cohérence et peut-être de compromettre sa pertinence. Les données dont nous disposons (cf. chapitre 4) sont relativement riches en ce qui concerne les pratiques de déplacements des individus. Ces données sont issues des enquêtes ménages de déplacements. Cependant, elles fournissent des estimations en temps déclarés par les individus de leurs temps de déplacement, ce qui est relativement subjectif. En outre, les données concernant les prix et les coûts urbains sont pauvres. Enfin, de façon générale, les données ne sont pas disponibles sur des séries chronologiques longues.

La recherche d’une plus grande pertinence implique d’introduire des variables ou des mécanismes supplémentaires qui posent parfois des problèmes difficilement solubles avec l’appareil logico-mathématique disponible et qui posent des problèmes de mesure. Dans notre cas, la recherche d’une plus grande pertinence est celle de la prise en compte dans une perspective de long terme de la réactivité du système urbain, par le biais de l’interaction entre système de déplacements et système de localisations. Cela conduit d’une part à intégrer des mécanismes de rétroactions entre les différentes étapes relatives aux choix de déplacements, et d’autre part, nécessite de modéliser les mécanismes de localisation des résidents et des activités urbaines. Les mécanismes de rétroactions se confrontent à l’appareil logico-mathématique mais aussi aux problèmes de mesure. En effet, aucune donnée ne permet de mesurer les temps de rétroaction. Ces derniers sont introduits dans le modèle sous forme d’hypothèses.