23. Le renouvellement de la base économique

231. La remise en cause du schéma initial

Pour Polèse (1994) la croissance économique d’un espace dépend d’une part de la demande extérieure pour ses produits et des effets multiplicateurs qui en découlent (schéma de la théorie de la base), d’autre part, de la capacité à long terme de cette région à renouveler constamment son offre de facteurs de production. Ce sont ces facteurs dynamiques, qui déterminent dans le temps la capacité d’exportation d’un espace par rapport à un autre. Or, il semble que le développement d’une offre spécialisée de service aux entreprises remette en cause la validité du schéma de la base économique tel qu’interprété initialement, c’est-à-dire plaçant au centre de la dynamique urbaine uniquement les activités industrielles. Certains auteurs ont travaillé sur le renouvellement de la théorie de la base économique. Le nécessaire renouvellement de cette théorie est justifié par le constat qu’en cette fin de siècle, l’économie des villes connaît de profondes transformations dues notamment au renouvellement des activités à la base de leur croissance31. Le développement des services aux entreprises semble ainsi jouer un rôle essentiel. Or, traditionnellement, ces activités, comme l’ensemble des activités tertiaires sont considérées comme induites dans le modèle usuel d’explication de la croissance urbaine ou régionale, à savoir la théorie de la base économique. Jouvaud (1996) pense au contraire que le développement de ces activités peut être un élément essentiel de la diversification de la base économique des métropoles et de l’explication de leur croissance. La plupart des services aux entreprises apparaissent aujourd’hui comme des éléments potentiels de l’élargissement de la base économique des métropoles. Selon Daniels (1993), la théorie de la base économique reste un modèle de référence pour décrire le processus de développement économique32.

Outre cette place des services aux entreprises parmi les activités potentiellement exportatrices, il faut en effet également souligner que les services peuvent intervenir sur le deuxième point essentiel au développement d’un espace : sa capacité à long terme à renouveler son offre de facteurs de production. Il semble notamment que la présence de services aux entreprises favorise la création de nouvelles activités, la reconversion des aires locales, l’adoption des innovations de produits et des procédés, et agit plus généralement sur la capacité d’adaptation des entreprises locales aux nouvelles conditions de production et de marché. Ainsi, des analyses récentes montrent l’existence d’une liaison positive entre les niveaux de productivité industrielle et le poids des services aux entreprises dans les régions, comme entre l’accroissement des emplois de services aux entreprises et la croissance de la productivité industrielle. Il faut effectivement souligner que la croissance des services aux entreprises correspond essentiellement à une croissance des besoins liés à la complexification croissante de l’environnement des entreprises, à des changements dans la manière de produire et de vendre, comme dans les produits eux-mêmes.

Notes
31.

Jouvaud (1996) apportent deux principales explications de cette transformation. D’une part, si pendant les deux premiers tiers du XXème siècle, tous les pays ont tiré la majorité de leur revenus et de leurs emplois de la production industrielle considérée comme le moteur des économies développées, c’est aujourd’hui le tertiaire qui occupe la majorité de la population active (60 à 75%) et concourt principalement à la formation du produit national brut. Ce développement a tout d’abord été le fait des services à la population et des services publics sous l’effet de multiples facteurs positifs dont le passage à un Etat providence, une augmentation des besoins sociaux, du pouvoir d’achat, du travail des femmes, etc. Il se manifeste principalement aujourd’hui par la croissance des services aux entreprises (+28% entre 1982 et 1990) qui occupent 11,64% de la population active française. Parallèlement à la hausse des effectifs du secteur des services aux entreprises, on assiste de surcroît à une « tertiairisation des emplois industriels », c’est-à-dire à un fort développement des « cols blancs » et des emplois de services au sein des entreprises industrielles (environ 30% des emplois). D’autre part, ces transformations touchent particulièrement les milieux urbanisés. Les services aux entreprises semblent avoir un rôle particulier du fait de leur concentration dans les villes, et plus particulièrement dans les plus grandes agglomérations. Ainsi, près de 40% des services d’études-conseils-assistance sont concentrés dans l’agglomération parisienne, et les agglomérations de plus de 300 000 habitants regroupent plus de 20% de ces emplois. Les services aux entreprises sont notamment plus concentrés que les commerces et services à la population. Leur développement affecte donc particulièrement les villes.

32.

Il souligne néanmoins que s’il est certain qu’une base industrielle compétitive en forte croissance est un élément déterminant pour une économie en bonne santé, cela n’est plus suffisant. Il faut aussi un bon environnement de services, et notamment de services aux entreprises. Savy (1994) parvient sensiblement à la même conclusion. A partir d’une analyse des données sur l’emploi des secteurs d’activités (NAP 40), il montre que malgré la diminution de l’emploi industriel, ce sont encore les activités productives qui structurent l’espace, qui produisent les différenciations les plus fortes, et donc aussi les interrelations entre régions françaises. Dans ces résultats « on peut y voir une confirmation de la « théorie de la base », qui distingue les activités dont le marché est local et les activités qui exportent vers d’autres débouchés, et sont à ce titre plus libres de leur localisation et plus légitimement destinataires des incitations dispensées au titre de l’aménagement du territoire. Parmi celles-ci, les industries jouent un rôle prépondérant. Mais « industrie » doit désormais s’entendre en un sens élargi ». L’industrie au sens large englobe non seulement les activités directement productives, mais également les activités indirectement productives en amont ou en aval nécessaires à la production (rôle des opérations de circulation, approvisionnement, redistribution, récupération des déchets ...), et la vaste gamme de « services » liés, à l’amont (recherche, études de marché, développement, ...), à l’aval (distribution, après-vente), ou parallèlement (conseil, gestion, financement).