42. La distribution des déplacements par motif

Dans la section précédente, la méthode de la régression linéaire a permis d’estimer le nombre total de déplacements issus d’une zone donnée (émissions) et le nombre total de déplacements attirés dans une zone donnée (attractions). Les émissions et les attractions donnent une idée du niveau de déplacements effectués sur l’agglomération. Cette information, bien qu’utile, n’est pas suffisante. En effet, il est indispensable de connaître la structure spatiale des déplacements, pour notamment pouvoir estimer des volumes de trafic. C’est l’objet de l’étape de distribution des déplacements. La distribution des déplacements est réalisée par motif. De nombreux modèles ont été développés dans l’objectif de déterminer de quelle façon les déplacements quittant une zone donnée se répartissent entre chaque destination possible. Les plus courants de ces modèles sont les modèles gravitaires, les modèles des opportunités intermédiaires et les modèles d’entropie (cf. chapitre 2).

Etant donnée l’hétérogénéité des données de déplacements selon les périmètres retenus, nous avons été amenés à procéder de manière distincte pour la distribution des déplacements sur l’aire du périmètre de l’enquête ménage et sur le reste de l’aire d’étude.

Sur le périmètre de l’enquête ménage, la distribution des déplacements est réalisée, pour chaque motif, suivant une formulation gravitaire dont la spécification est la suivante :

message URL FORM527.gif

Les coefficients d’ajustement des marges sont calculées par un algorithme bi-proportionnel proposé par Furness (Ortuzar, Willumsen, 1994). Cette méthode implique des corrections successives en lignes puis en colonnes de la matrice distribuée afin de satisfaire les contraintes aux marges, à savoir :

message URL FORM528.gif

et

message URL FORM529.gif

L’algorithme est arrêté lorsque les facteurs de correction sont suffisamment faibles et que les contraintes aux marges sont raisonnablement respectées.

Le calage du modèle est effectué par tâtonnement. Ce procédé vise à respecter le taux de déplacements intrazonaux d’une part, et à minimiser la somme des écarts au carré entre la matrice estimée et la matrice observée sans considérer les déplacements intrazonaux.

Les résultats de l’estimation à partir des données de l’enquête ménage 1995 sont les suivants :

Tableau 5-18. Résultats de l’estimation à partir des données de l’enquête ménage 1995
Motif Facteur de conductance Taux intrazonal
Résidence - Travail 9,625 31,0%
Résidence - Achat 4,75 65,6%
Résidence - Démarche 5,415 57,2%
Résidence - Loisirs 5,63 52,0%
Résidence - Enseignement Primaire 87,6%
Résidence - Enseignement Secondaire 4,91 57,8%
Résidence - Enseignement Supérieur 10,95 29,4%
Reste 3,76 81,1%

Les valeurs du coefficient de distribution ou coefficient de conductance sont très différentes selon le motif considéré. Ces coefficients nous renseignent sur la propension des individus à vouloir se déplacer plus loin ou plus longtemps. Une valeur élevée du coefficient signifie que les individus sont prêts à supporter des temps de déplacements plus longs pour se rendre à leur destination. Les déplacements pour le motif travail et pour le motif de l’enseignement supérieur sont les plus élevés (respectivement 9,625 et 10,95). En revanche, pour les motifs d’achat, de services, de loisirs, le paramètre de distribution présente des valeurs plus faibles (proches de 5) exprimant le fait que les individus sont moins enclin à se déplacer longtemps pour réaliser ce type d’activités. Par ailleurs, la distribution des déplacements pour le motif de l’enseignement primaire n’est pas réalisée selon la même spécification. En effet, 87,6% de ces déplacements se réalisent à l’intérieur des zones. Nous faisons alors l’hypothèse que ces flux sont exclusivement des flux intrazonaux.

Le facteur de conductance, qui exprime la plus ou moins grande résistance au temps de déplacement, ne peut pas être considéré comme constant au cours du temps. Nous savons que l’une des principales caractéristiques de l’évolution des déplacements est l’augmentation des distances parcourues. Le calage successif du modèle sur les trois enquêtes ménages permet de vérifier que le facteur de conductance augmente, selon les motifs, sensiblement avec le temps. Cela rend compte de l’aptitude des individus à maîtriser un espace aux fonctions de plus en plus éclatées sur des territoires plus vastes. Les individus acceptent d’aller plus loin et d’augmenter leur temps de parcours.

Tableau 5-19. Evolution des facteurs de conductance selon les calages successifs sur les trois enquêtes ménages (en minutes)
Motif EM 76 EM 86 EM 95
Résidence - Travail 8,55 8,68 9,625
Résidence - Achat 3,78 4,05 4,75
Résidence - Services 3,27 4,48 5,415
Résidence - Loisirs 4,63 4,84 5,63
Résidence - Enseignement Primaire
Résidence - Enseignement Secondaire 4,50 4,91
Résidence - Enseignement Supérieur 10,43 10,69 10,95
Reste 3,46 3,61 3,76

L’augmentation de la propension à se déplacer plus longtemps peut être expliquée par la facilité de plus en plus grande de disposer d’une voiture particulière. L’évolution des facteurs de conductance est économétriquement bien expliquée par l’évolution des taux de motorisation. Les résultats des régressions linéaires entre taux de motorisation et facteur de conductance sont les suivants :

Tableau 5-20. Relation entre facteurs de conductance et taux de motorisation
Motif Relation
Résidence - Travail τ = 6,244 Motor + 5,6423 0,95
Résidence - Achat τ = 5,4524 Motor + 1,3036 0,99
Résidence - Services τ = 11,327 Motor - 1,6152 0,93
Résidence - Loisirs τ = 5,7024 Motor + 2,0111 0,98
Résidence - Enseignement Supérieur τ = 2,7857 Motor + 9,2136 0,96
Reste τ = 1,6071 Motor + 2,7582 0,96

En ce qui concerne le motif Résidence - Enseignement Secondaire, les données de l’enquête ménage de 1976 ne distinguent pas le motif enseignement primaire et enseignement secondaire et donc ne permettent pas de caler le modèle de distribution. Par défaut, nous faisons l’hypothèse de la stabilité du facteur de conductance pour ce motif.

La distribution des déplacements n’est pas réalisée de la même façon sur l’aire externe de l’étude du fait de la non homogénéité des données de déplacements au delà du périmètre de l’enquête ménage. Nous rappelons en effet que sur ce périmètre, ne sont connus de façon exhaustive que les migrations alternantes. Les matrices de déplacements totaux doivent donc être reconstituées. Une hypothèse de travail est alors posée : les migrations alternantes structurent la répartition spatiale de l’ensemble des déplacements. La distribution des déplacements sur ce périmètre s’effectue alors sur la base de la répartition des migrations alternantes. La génération nous avait permis d’estimer les flux de migrations alternantes en émission et en attraction. Afin de modéliser la répartition spatiale des déplacements de personnes sur ce périmètre, deux stratégies ont été retenues. Une première approche s’appuie sur l’outil classique d’analyse des interactions qu’est le modèle gravitaire. La seconde consiste à déterminer la structure des échanges par le biais des coefficients structurels (rapport des déplacements zone à zone observés à des déplacements théoriques correspondant à une indépendance entre origine et destination des déplacements).

Le modèle gravitaire

La spécification retenue par le modèle gravitaire est calquée sur celle qui a été appliquée sur le périmètre correspondant à l’enquête ménage, à savoir :

message URL FORM530.gif

Le taux de migrations intrazonales est de 46,6%. Le calage estime un coefficient de conductance de 6,44 minutes. L’écart relatif moyen, calculé sur un découpage de l’aire en cinq couronnes, est de 3,3%. A partir des données des migrations alternantes du recensement général de la population de 1975, le calage de la formulation gravitaire estime un facteur de conductance de 5,34 minutes. Les données des migrations alternantes de 1982 ne permettent pas de reconstituer de manière exhaustive la matrice des migrations alternantes. Ainsi, il est difficile d’émettre des hypothèses vérifiables sur l’évolution du facteur de conductance. Nous considérons alors par défaut ce facteur constant.

La méthode des coefficients structurels

Dans une matrice OD, on entend par coefficient structurel relatif à la case ij (i ème ligne, j ème colonne), le rapport entre la valeur observée et la valeur théorique qui correspondrait à une situation d’indépendance entre zone d’origine et zone de destination. Cette valeur théorique se calcule simplement à partir des marges de la matrice.

Soit message URL tij.gif le nombre de déplacements observés entre la zone i et la zone j,
et message URL tijthe.gif le nombre de déplacements théoriques entre la zone i et la zone j. Ces déplacements théoriques correspondent à une situation dans laquelle origines et destinations des flux seraient indépendantes. Ils se calculent à partir des marges de la matrice et s’écrivent :
message URL FORM531.gif
avec message URL tiobs.gif
Le coefficient structurel CS ij, défini par l’équation message URL tijobs.gif mesure alors l’écart entre la situation théorique d’indépendance des déplacements ( message URL tijthe.gif) et la configuration observée ( message URL tijobs.gif). L’ensemble des CS ij donne donc une image de la structure des déplacements.

Dans la mesure où les émissions et les attractions sont estimées dans la phase de génération, les flux théoriques peuvent être alors spécifiés comme suit :

message URL FORM532.gif

On en déduit que

message URL tijobs2.gif
message URL tijobs3.gif

Le calcul des coefficients structurels et des émissions et attractions, ainsi que le total des déplacements permet de reconstituer la matrice observée. Les coefficients structurels présentent des valeurs très différentes d’un couple (i,j) à l’autre. En particulier, les coefficients structurels concernant les migrations alternantes intrazonales sont tous supérieurs à l’unité et très élevés (variant entre 4,17 et 86,85), tandis que les coefficients structurels extrazonaux sont bien moins élevés (le maximum est à 2,5) et souvent ne dépassant pas l’unité. Nous avons essayé d’expliquer les coefficients structurels de façon statique (calage sur les observations de l’année 1990), d’une part en fonction des distances de zone à zone (distance réseau), et d’autre part en fonction des temps tous modes généralisés de zone à zone (calculés par le modèle d’affectation). Les résultats ne sont pas très satisfaisants. La distance explique environ 33% de la distribution des coefficients structurels :CS ij = 0,75 ln(DIST ij) + 2,82 (R²=0,33). Le temps explique environ 34% de la distribution des coefficients structurels (CS ij = -1,01 ln(Tps ij) + 4,26 avec R²=0,34).

La relation établie à partir des coefficients structurels peut être utilisée comme base de projection de la demande de déplacements. Il convient alors de projeter dans le temps d’une part les coefficients structurels et d’autre part, les émissions et les attractions de déplacements par zone. Du fait de manque de données disponibles, nous faisons l’hypothèse de l’invariance des coefficients structurels, ce qui revient à poser l’hypothèse que la structure spatiale des déplacements est constante dans le temps. Cependant, les données disponibles sur les migrations alternantes ne permettent pas de vérifier cette hypothèse. En effet, nous ne disposons, de façon exhaustive, que de la matrice des migrations alternantes du recensement de 1975, les données pour 1982 étant incomplètes. A partir de la projection des émissions et des attractions, on reconstitue la matrice origine-destination en appliquant les coefficients structurels. Ainsi :

message URL FORM533.gif

Chacune des deux méthodes présentent des avantages et des inconvénients. La méthode des coefficients structurels présente l’avantage de restituer à l’identique la matrice des migrations alternantes en situation de référence. En revanche, aucune variable de commande n’est introduite dans ce modèle, les coefficients structurels étant supposés constants et non expliqués. La matrice ne peut donc se déformer que sous l’effet des modifications de la structure des marges. La méthode gravitaire présente l’inconvénient de ne pas restituer à l’identique la matrice des migrations alternantes pour l’année de base. Elle permet cependant d’introduire une sensibilité de la répartition spatiale des migrations alternantes au temps. Nous avons choisi de conserver l’approche des coefficients structurels afin de limiter la déformation de la matrice des déplacements.

A l’issue de cette étape, nous obtenons la matrice des flux pour le motif domicile-travail tous modes confondus. Il convient alors de retrancher à cette matrice les flux effectués par voie ferrée. Cette opération est faite sur la base de l’estimation des flux effectués par train pour le motif domicile-travail (enquête SCNF 1994-1995). Les parts de marché relatives à la voiture particulière et au mode ferré ne sont pas modélisées. Par défaut, la structure modale de l’année de référence est conservée.

A la suite de cette opération, nous disposons d’une matrice origine-destination en voiture particulière pour le motif domicile-travail. A partir de cette matrice, nous reconstruisons la matrice des déplacements en voiture particulière tous motifs. Le redressement de la matrice domicile-travail à la matrice tous motifs a été réalisé à partir des données d’enquêtes cordon qui fournit la structure des déplacements par motif. La part du motif domicile-travail dans ces flux représente environ 68% des déplacements. Ensuite, les déplacements de personne sont transformés en déplacements de véhicule particulier par le biais d’un coefficient d’occupation moyen des véhicules de 1,2 personnes par véhicule. Enfin, les déplacements en u.v.p à la journée sont transformés en déplacement à l’heure de pointe du matin. La part des déplacements effectués en heure de pointe du matin est de 11%.

Ainsi, pour les déplacements réalisés à l’extérieur de l’enquête ménage, les déplacements ne sont pas générés et distribués par motif mais à partir de la structure des migrations alternantes. L’ensemble de la matrice de déplacement est reconstruite par la suite. Pour ces déplacements, la répartition modale n’est pas modélisée, ce sont uniquement des proportions fixes des déplacements réalisés en transport collectif qui sont considérées.