4. Les perspectives de recherche

Cette recherche doit être considérée comme exploratoire. Elle a montré la faisabilité de la démarche et son intérêt en termes d’outil d’aide à la décision pour la planification des transports.

Notre ambition était grande, et afin d’atteindre notre objectif, qui était la mise en oeuvre d’un modèle opérationnel, des hypothèses simplificatrices ont du être posées et certaines ambitions théoriques ont du être abandonnées. Tout au long de cette thèse s’est posé le problème de l’adéquation entre la pertinence théorique du modèle et l’estimation économétrique, contrainte par la disponibilité des données. Aussi, bien souvent, la construction du modèle a été contrainte et dictée par les données dont nous disposions. Les limites de nos travaux permettent d’envisager des perspectives de prolongement de recherche à plusieurs niveaux.

 Les modules de répartition spatiale de la population résidente et des activités induites sont relativement frustres. Ils ne représentent pas véritablement un processus de choix. En effet, les données dont nous disposions n’étaient pas en adéquation avec la complexité des modèles de choix discrets envisagés dans un premier temps. Dans le modèle, seuls les effets de délocalisations et de relocalisations induites par la modification des conditions d’accessibilité sont considérés. Cependant, il faut ajouter que les effets de long terme de ces relocalisations ne portent pas seulement sur une redistribution spatiale des agents et de leurs déplacements. Ils se traduisent également par une modification des prix, en particulier des rentes foncières, qui traduisent les nouvelles conditions de la concurrence pour l’occupation de l’espace. Dans le modèle, le jeu de la rente foncière n’est pas modélisé. Les prix immobiliers sont considérés comme des données d’entrée, ce sont des variables exogènes. Il serait facilement envisageable de mesurer l’impact, dans le modèle, de la modification des indicateurs des prix immobiliers. En revanche, la modélisation du fonctionnement du marché foncier ou plus précisément la modélisation économique de la rente foncière est une tâche extrêmement délicate dans le cadre d’un modèle opérationnel. Cette difficulté est en partie liée au manque de données sur les prix fonciers et immobiliers et au problème de la forte intervention publique sur le marché des logements. L’appréhension des liens entre transport et valeurs foncières pourrait passer par l’approche de la capitalisation immobilière. Cette voie consisterait à explorer plus précisément la formation et l’évolution des prix fonciers. Son principe est de déterminer la relation qui existe entre les attributs caractérisant un bien immobilier (ou foncier) et la valeur de ce bien pour les différentes catégories d’agents. Une partie importante des attributs pris en compte sont des aménités et des degrés d’accessibilité aux équipements de voisinage, qui sont fortement influencés par les infrastructures de transport46. Pour chacun d’entre eux, l’estimation des relations déterminant les dispositions à payer permet, par catégorie d’agent, de calculer son prix implicite. L’intégration d’une telle approche nécessitera toutefois un certain nombre de remaniements du modèle, notamment la prise en considération de différents types d’agents économiques et donc la désagrégation de la demande de déplacements. Celle-ci n’a en effet été décomposée qu’en fonction du type de déplacement réalisé, c’est-à-dire en fonction des motifs de déplacements.

 Le chapitre introductif de cette thèse a mis en évidence que le périmètre pertinent d’analyse des déplacements n’était plus la ville ou son agglomération mais toute l’aire urbaine environnante. Nous avons défini le périmètre d’application du modèle comme l’espace étant sous l’influence du pôle lyonnais (cette influence étant mesurée par les migrations alternantes). Cependant, ce périmètre recouvrait des espaces non renseignés par les « enquêtes ménages » de déplacements. Un lourd travail de reconstitution des données a alors été entrepris afin d’estimer la matrice O-D des déplacements sur cet espace. Toutefois, la forte hétérogénéité des données nous a conduit à modéliser de façon différente les déplacements selon les deux périmètres. Cette faiblesse des données nous a contraint à appauvrir les modules de simulation, ceux-ci n’étant pas dynamisés sur cet espace. Cette lacune est regrettable, car si les déplacements des espaces périurbains lointains sont pris en compte dans le modèle, ils ne sont toutefois pas pleinement intégrés. Or ces espaces périurbains et les déplacements qu’ils génèrent sont de véritables enjeux. De réels efforts doivent être entrepris afin d’avoir une connaissance statistique plus importante de ces déplacements.

 Les résultats du modèle ne présentent pas d’indicateurs de congestion. En effet, le type de modèle d’affectation envisagé et la représentation du réseau d’infrastructures adoptée ne permettent pas de construire des indicateurs de congestion pertinents. Néanmoins, de tels indicateurs ne sont pas indispensables à la démarche globale, qui est de simuler les avenirs possibles des déplacements urbains. Le modèle n’est en effet pas destiné à évaluer le dimensionnement de la voirie. Il fournit des conditions globales de déplacements, qui peuvent être l’expression d’un déséquilibre entre l’offre et la demande de capacité.

 Les sorties du modèle ne permettent pas, dans l’état, de dresser un bilan environnemental des politiques testées. Or, dans le cadre de la problématique du développement durable, l’étude des relations entre transport et environnement est incontournable. Toutefois, cette relation ne peut être envisagée sans avoir préalablement mieux saisi les liens entre transport et urbanisation, ce qui était le but de notre travail. C’est pourquoi, la modélisation de la relation entre transport et environnement n’a pas été une priorité. Cependant, un module d’évaluation des émissions polluantes et des consommations énergétiques pourrait être intégré en aval du modèle. Il existe deux principaux facteurs d’évolution des nuisances, à savoir d’une part la croissance des trafics (son niveau, son volume en termes de distances parcourues) qui, toutes choses égales par ailleurs, pousse à une dégradation de la situation, et d’autre part, l’évolution des technologies des véhicules en circulation, qui tente au contraire, de répondre aux dysfonctionnements constatés. Ainsi, dans un premier temps, sur la base de l’estimation de la constitution du parc de véhicule sur l’aire d’étude envisagée, toutes choses étant égales par ailleurs, les émissions polluantes pourraient être calculées à partir des sorties existantes du modèle. Ce calcul pourrait se faire par liaison pour chacun des polluants en fonction des distances parcourues par les trafics en voiture particulière en heure de pointe du matin. Ce calcul resterait relativement grossier dans la mesure où le module d’affectation ne décrit pas de façon précise le réseau routier. Il aurait cependant l’intérêt de donner une mesure globale de l’impact des politiques en termes d’émissions polluantes et de consommations énergétiques. Cela permettrait de comparer les différents scénarios sur la base de ce « critère environnemental ». En ce qui concerne le deuxième facteur d’évolution des émissions polluantes, à savoir les mutations technologiques du parc de véhicule, sa prise en compte nécessite un travail plus important puisqu’elle réclame une projection des comportements d’équipement et de motorisation. Des travaux ont été menés à ce sujet à l’INRETS, notamment par C. Gallez (1995).

 Pour finir, le modèle a été construit pour être un instrument d’aide à la décision et à l’orientation des stratégies de politiques urbaines. A ce titre, il peut ainsi se révéler un outil utile à l’évaluation économique des projets. Un rapport du ministère de l’équipement, des transports et du logement de 1997 soulignait la difficulté de l’évaluation économique des projets de transports urbains du fait de la spécificité du milieu urbain. Ce rapport mettait en effet en évidence le fait que les méthodes coûts - avantages habituelles dans les projets interurbains s’appliquent mal aux projets urbains. Outre des raisons d’ordre institutionnel, il existe des raisons d’ordre économique tenant à ce que les hypothèses de cette analyse sont moins bien satisfaites en milieu urbain où l’on rencontre des niveaux de congestion plus élevés, des rendements croissants et des externalités d’agglomération, des externalités d’environnement importantes, des interactions fortes entre les transports, l’utilisation des sols et l’évolution des systèmes urbains. A partir de ce constat, certaines priorités ont été dégagées concernant notamment le développement des connaissances sur les conséquences des modifications du système de transport sur la nature et la répartition des activités urbaines. La méthode usuelle d’évaluation économique fondée sur le calcul du surplus de l’usager comporte dans ce sens de nombreuses imperfections car elle raisonne à localisations fixées, et ne prend pas en compte la dynamique des relocalisations. Le modèle élaboré dans notre thèse permet, dans une certaine mesure, de palier cette difficulté car les résultats des simulations intègrent les effets des interactions entre transport et urbanisation en amont de la procédure d’évaluation économique. Le modèle de simulation doit cependant être considéré comme un outil au service de l’évaluation économique et ne doit certainement pas s’y substituer. Ainsi, si par exemple le modèle de simulation montre que certaines infrastructures conduisent à un épanouissement spatial de l’urbanisation, le modèle ne permet pas en tant que tel d’évaluer l’intérêt ou non d’une telle mesure. C’est aux méthodes d’évaluation de l’utilité économique et environnementale de le dire. Ainsi, envisager, en aval du modèle, un module de calcul économique permettrait d’apporter une forte valeur ajoutée à la démarche. Les sorties du modèle sont d’ores et déjà susceptibles d’alimenter l’évaluation des avantages des usagers (en termes de gains de temps) ou l’évaluation des gains et des pertes pour la collectivité, notamment en matière de bilan environnemental (cf. plus haut). En revanche, le modèle ne renseigne pas sur les coûts impliqués par les mesures mises en oeuvre (coût d’investissement, coût de fonctionnement). Aussi, il serait utile de mettre en regard les avantages et les coûts de ces mesures. Au final, les sorties de ce modèle peuvent permettre d’enrichir en amont la procédure d’évaluation économique sans en modifier les principes.

En conclusion, le modèle proposé est évidemment perfectible, en particulier dans son approche théorique. Mais compte tenu de l’intégration de plus en plus forte des politiques de transport et d’urbanisme, nous pouvons espérer que l’usage d’un tel type de modèle sera d’une utilité croissante pour les prises de décision. Tout au long de ce travail nous avons déploré le manque de données statistiques répondant à nos besoins de modélisation et nous contraignant à des spécifications théoriques simplifiées. Nous pouvons tout de même espérer que la réalisation de ce type de modèle d’interaction permet de préciser ces besoins en bases de données et de poursuivre, de façon progressive mais persévérante, l’ambition d’une meilleure compréhension des dynamiques urbaines.

Notes
46.

Cela reviendrait à intégrer les résultats méthodologiques de la thèse de Beckerich (2000) dans ce travail.