b/ Une “rêverie” sur le mot ?

Dans ce fragment lexicologique, seules quelques acceptions sont attestées dans les dictionnaires usuels 59  : le balandran comme manteau, et la bélandre comme bateau à fond plat. Or, certaines définitions recensées par Char et absentes de ces dictionnaires peuvent paraître fantaisistes, n’ayant aucun rapport apparent entre elles : “ un vieux meuble qui embarrasse ”, “ colporteur ”, “ glas pour un enfant ”, “ le train d’une maison ”, etc... La troisième entrée peut même sembler douteuse car elle constitue une seconde apparition de la graphie balandran qui est déjà celle de la première entrée, mais avec des définitions totalement différentes. De plus, elle juxtapose ces définitions sans ordre apparent alors que la première entrée, avec la même graphie, les ordonne. Enfin, une phrase de commentaire qualifie ces définitions de “ projectiles futurs ”, non “ accrédités ”. Le fragment lexicologique paraît donc en partie fondé, et en partie correspondre à une liberté d’imagination 60 , ce qui suffit peut-être pour considérer ce fragment central comme un poème, véritable “rêverie” sur le mot, encadré par une glose théorique explicitant cet emploi poétique de la langue. La partie définitionnelle serait alors une mise en pratique immédiate du trajet poétique d’un mot, balandran(e), que la poésie, à partir des acceptions existantes, enrichit de “ plaisantes adoptions ”, l’ensemble formant l’“ essaim de sens ” évoqué. C’est cependant faire fausse route. Le poème n’est pas où l’on croit le lire. L’idée d’une théorie qui inclurait une mise en pratique, à savoir un poème autour d’un seul mot, manque l’originalité même de ce texte. René Char n’invente ni les définitions ni les graphies qu’il donne, comme on pourrait l’attendre d’un Ponge ou d’un Michaux. Si le fragment central est poétique, il n’est que le reflet d’une poésie fondée à partir de la langue. René Char se fait véritablement lexicologue et dialectologue.

Notes
59.

Nous avons consulté le Petit Robert et le Petit Larousse illustré.

60.

Danièle Leclair parle d’une “ énumération de termes pour lesquels le poète imagine à chaque fois une définition ” (Lecture de René Char. “ Aromates chasseurs ” et “ Chants de la Balandrane ”, 1988, p. 85). L’imagination à l’œuvre dans ce poème n’est cependant pas dans l’invention des définitions.