1. La déception de la réalité et l’illusion du rêve

Le premier paragraphe et les deux premières phrases du second sont un récit de rêve. Sur l’“ l’écran rêveur [du] sommeil ” réapparaît la femme aimée qui marqua de bonheur une période : l’“ alliance ancienne ” et les “ terres réchauffées ” condensent le bonheur de cette histoire amoureuse. Le caducée, emblème d’Hermès et partant de tous les messagers, est aussi le symbole du retour de la mémoire. Le rêve réveille ici une “ mémoire amoureuse ” 115 . Par sa puissance, il réactualise un être disparu et réalise ainsi l’impossible, “ le jamais obtenu puisque nul ne ressuscite ” 116 . Le mage n’est pas le seul magicien du poème, le rêve lui emprunte ce pouvoir.

Mais la réminiscence est aussi brève qu’un tour de magie : par le “ réveil ”, le rêve rebondit sur la “ réalité ”, il n’était qu’une puissance d’illusion. Si le retour physique de la femme aimée est impossible, son retour onirique n’est qu’éphémère :

‘Nous n’avons pas plus de pouvoir s’attardant sur les décisions de notre vie que nous n’en possédons sur nos rêves à travers notre sommeil. A peine plus. Réalité quasi sans choix, assaillante, assaillie, qui exténuée se dépose, puis se dresse, se veut fruit de chaos et de soin offert à notre oscillation. [...] 117

Le rêve constitue une fausse piste, que “ Sur une nuit sans ornement ” rejette explicitement :

‘[...]
Au regard de la nuit vivante, le rêve n’est parfois qu’un lichen spectral.
[...]
Nuit plénière où le rêve malgracieux ne clignote plus, garde-moi vivant ce que j’aime. 118

Le surréel du rêve est donc un leurre : il ressemble à la réalité mais ne s’y enracine pas. L’être des choses n’est accessible et durable que dans le monde. La véritable transmutation de la réalité ne passe pas par le rêve mais par l’art.

Notes
115.

“ Cette mort ne clôt pas la mémoire amoureuse ” (“ Cours des argiles ”, Le Nu perdu, O. C., p. 457).

116.

Bien que la cathédrale d’Autun soit consacrée à Saint-Lazare, la résurrection ne peut être que mémorielle.

117.

“ Dévalant la rocaille aux plantes écarlates ”, La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, O. C., p. 489.

118.

“ Sur une nuit sans ornement ”, La Parole en archipel, O. C., p. 393.