La “ Chanson des étages ” a un statut particulier : écrite dans les années cinquante, elle ne prend pas place dans les recueils rassemblant les poèmes écrits à cette période. Elle n’est éditée qu’en petit format par Pierre-André Benoit en 1955, et paraît dans la revue Médecine de France l’année suivante. Mais l’explication de cette exclusion est peut-être liée à sa forme inhabituelle. Le Bâton de rosier l’associe à d’autres textes en 1983, réunissant plus précisément neuf curieux diptyques suivis d’un texte isolé. C’est une chronologie presque parfaite, débutant en 1926, qui organise la succession des neuf poèmes. Ils sont chacun précédés d’un texte que quelques phrases liminaires qualifient de “ portraits ” peu d’aplomb. Ces textes constituent une sorte de mise en situation, de présentation de poèmes de création ancienne, placés en seconde position dans les diptyques, et dont le regroupement “ nécessitait quelques mots qui en éclairent l’horizon ancien ” 155 . Le septième diptyque se présente ainsi :
‘CHANSON DES ETAGESSi la dimension métapoétique du premier texte n’étonne guère, la lecture référentielle qu’il exhibe est inattendue. Support de l’interprétation du poème en vers, il semble l’accompagner pour en évoquer les référents initiaux qu’il désigne en grande partie à l’aide de noms propres. La mise en regard d’un texte et d’une sorte d’ “avant-texte” permet ainsi d’examiner le traitement poétique que René Char fait subir à la désignation de la réalité. Le passage des références entre les deux textes s’accompagne notamment de la totale disparition des noms propres dans le second texte, disparition qui peut recouvrir divers phénomènes, de la simple suppression à une mutation en nom commun.
Mais le statut de ce diptyque est encore plus complexe. Curieusement, l’ordre des deux textes ne correspond pas à l’ordre chronologique de l’écriture. René Char présente en effet la glose la première, avant le poème proprement dit, alors que l’écriture de ce poème lui est antérieure. En présentant avant le poème les éléments de sa préhistoire, il établit un ordre génétique pourtant faux. Cependant, en exhibant ainsi une référence avant la lecture du second texte, il l’oriente, désamorçant alors volontairement l’approche nue du poème dont il semble vouloir construire la lecture. Mais s’il construit l’interprétation du second texte, comment ne pas soupçonner également une construction référentielle dans le premier ?
Le Bâton de Rosier, O. C., p. 787.
“ Chanson des étages ”, Le Bâton de rosier, O. C., pp. 800-801.