3. L’hypothèse alchimique

Une autre lecture de la métaphore s’avère en outre possible : celle des symboles alchimiques. Nous évoquions la conjonction inouïe de l’eau de mer et du feu à propos de la métaphore lexicalisée du feu de l’amour. Au-delà de cette union improbable, le texte semble puiser dans le langage alchimique. Par rapport à la dynamique métaphorique, qui joue sur le sens des termes, le symbole est codé, sa compréhension repose sur un véritable lexique hermétique. L’une des étapes importantes de la transmutation, au cours du processus alchimique, concerne l’union de la reine et du roi, la première représentant le mercure et le second figurant le soufre. La présence de graphèmes et phonèmes de mercure dans “ mer ”, puis “ celle ”, “ bla ” et “ même et, de façon plus diffuse, ceux du terme soufre dans “ Sur son front de souci ”, est troublante, autant que l’homonymie de soufre avec la troisième personne du singulier du verbe souffrir qui décrit le roi. Est tout aussi troublant le fait que le mercure, principe volatile, est représenté par la reine qui fuit le roi, alors que ce dernier, que les ombres “ enchaîne ”, correspond au soufre, principe fixe. “ Chanson des étages ” paraît évoquer l’impossibilité de l’union de la reine et du roi, donc l’impossibilité de l’œuvre. La symbolique alchimique a en outre l’intérêt de proposer une lecture des “ étages ” du titre : ils sont peut-être les différents niveaux de la cornue. Dans la symbolique alchimique, l’accouplement doit avoir lieu en bas et l’enfantement en haut. Or les deux personnages du poème sont nettement séparés, le roi en haut et la reine en bas, séparation qui rend impossible la conjonction.

L’emploi réitéré de “ la reine ” et “ le roi ” tend à désincarner les deux figures réduites à une fonction métaphorique, voire symbolique : souverains d’un royaume où ils semblent être les seuls habitants, ils ne sont souverains que d’eux mêmes, et l’appellation traduit plus la simple réciprocité qu’elle ne sert une véritable construction narrative pleinement référentielle et descriptive. Le groupe nominal perd en signification et donc en pouvoir référentiel, car c’est la signification qui permet de fixer la référence 164 . Ce qui prédomine, c’est le sens créé dans le poème, celui de la royauté de l’amour, que l’image soit “vive” ou codée.

Notes
164.

L’emploi réitéré de “ la reine ” et “ le roi ” produit une réelle absence de description, non seulement parce qu’elle est incomplète au début (on attend “ la reine de... ”, “ la reine qui... ”), mais également parce qu’elle n’est pas complétée par des anaphores descriptives.