C. La référence en poésie

Les deux “ Chansons des étages ” nous ont permis de juger de l’intérêt d’une lecture référentielle du texte guidée par les noms propres, et partant, de leur disparition dans le poème. La seconde “ Chanson des étages ” achève ainsi le passage des noms propres aux noms communs, puisque aucune marque n’en rappelle la présence : les noms considérés ne sont plus en position de titre, ou affectés d’une majuscule. Ils ont la forme de tout nom, mais ils prennent une valeur que nous appelons poétique et qui correspond dans l’œuvre de René Char à une recherche d’adéquation à la réalité. Si dans le premier texte subsistent des noms propres, indices immédiats de la réalité, ils disparaissent dans le second où demeurent seuls les noms communs. Mais que cette présence soit effective ou non, les noms propres informent poétiquement les deux textes, qui les absorbent donc plus ou moins, à des degrés différents et aussi bien dans leur signifié que dans leur signifiant. Les noms propres contribuent à la création de lectures métaphorique et symbolique : ils se fondent dans une recherche générale de l’adéquation du mot à la réalité, adéquation à même d’en faire jaillir le réel.

La présence d’un tel diptyque, rare dans la poésie de Char, permet ainsi de préciser le rapport que la lecture du texte poétique entretient avec la référence et d’évaluer la pertinence de cette dernière, qui consiste à garder l’idée d’une référence à l’horizon du poème sans la considérer cependant comme la seule voie d’accès possible à la lecture poétique. Le second poème, privé de noms propres, désigne bien linguistiquement un événement particulier, mais il n’en permet pas pour autant l’identification. Si l’on perçoit souvent que l’événementiel se trouve à l’origine du poème charien, on constate rapidement que l’écriture cherche à en brouiller la saisie.