2. Un cas limite de reprise : les anaphores résomptives

Les déterminants démonstratifs, peu employés dans le cadre des reprises lexicales fidèles, apparaissent de façon plus significative pour la dynamique du poème dans ces emplois anaphoriques particuliers que sont les anaphores “résomptives” qui concourent également à la rapidité de la progression du poème, et notamment à la progression du mouvement d’abstraction : ce type d’anaphore, qu’on appelle aussi conceptuelle, élève en effet la réalité à un degré conceptuel plus élevé. Elle résume une partie de l’énoncé précédent à l’aide d’un lexème qui a une valeur de description, voire de jugement.

‘L’homme n’est qu’une fleur de l’air tenue par la terre, maudite par les astres, respirée par la mort ; le souffle et l’ombre de cette coalition, certaines fois, le surélèvent. 207

En fin de texte, ce type de démonstratif prend une valeur métapoétique. Le groupe nominal prédéterminé par un démonstratif caractérise alors le poème lui-même :

‘Comme une communiante agenouillée tendant son cierge,
Le scorpion blanc a levé sa lance et touché au bon endroit.
Surprise lui prêta sa ruse et son jarret.
Bah ! le courant des eaux grossies passera sur ce naïf tableau.
Narcisses, boutons d’or s’effaceront au cœur du pré.
Le roi des aulnes se meurt. 208

“ Tableau ” s’applique parfaitement au poème et, emprunté au vocabulaire pictural, il souligne, par la dimension visuelle qu’il suppose, la valeur de désignation du déterminant qui l’actualise. Par un mouvement réflexif final, le poème se prend lui-même pour objet de discours. Cette forme de reprise qui établit un lien entre l’énoncé et l’énonciation se place aux marges de la deixis et de l’anaphore, car le lexème utilisé décrit davantage l’énonciation que l’énoncé 209 .

Les déterminants démonstratifs, référentiels par excellence lorsqu’ils sont déictiques, ne sont pas très fréquents dans leur fonction de représentation. Les quelques démonstratifs exophoriques tendent même, par leur position et la signification du lexème qu’ils prédéterminent, à se rapprocher de la deixis, en prenant une valeur métapoétique.

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La recherche d’une progression rapide disqualifie le démonstratif dans sa valeur intralinguistique, mais sa présence, rare, voit en revanche sa valeur déictique renforcée. Cette valeur déictique s’avère spécifique à la représentation poétique, instaurant précisément plutôt une présence qu’une représentation. La rareté même des déterminants démonstratifs dans la représentation lexicale permet toutefois de préciser l’originalité de la progression thématique : si le poème s’enracine dans une réalité nécessaire saisie dans sa présence même, sa dynamique, fondée sur la rapidité et l’ellipse, l’en éloigne.

Notes
207.

“ Les compagnons dans le jardin ”, La Parole en archipel, O. C., p. 381.

208.

“ Cérémonie murmurée ”, La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, O. C., p. 501.

209.

En s’achevant sur “ J’élèverai du loup/Ce seul portrait pensif ! ”, “ Déshérence ” (Le Nu perdu, O. C., p. 437) présente de façon similaire un passage de l’énoncé à l’énonciation.