1. “ Les événements transmués ”

René Char a lui-même donné les circonstances de l’écriture de “ Sur le tympan d’une église romane ” :

‘Maison pour recevoir l’abandonné de Dieu,
Dos étréci et bleu de pierres.

Ah ! désespoir avide d’ombre,
Indéfiniment poursuivi
Dans son amour et son squelette.

Vérité aux secrètes larmes,
La plus offrante des tanières ! 215

Dans un entretien accordé au Nouvel observateur en 1980, René Char explique en effet : “ Un jour, près d’une église romane, une femme, l’Amie qui ne restait pas, me racontait en pleurant la jalousie de son mari. Passant de nouveau devant cette église gracieuse et massive, un vers m’était venu, comme tombé du clocher : “Vérité aux secrètes larmes, la plus offrante des tanières.” Et le mot-porteur “tanière” était né d’incidents successifs ; la montée vers Thouzon le matin même, la conversation avec cette jeune femme qui me raconte en pleurant ce qui s’était passé... La poésie ne se traduit pas dans la langue rigide de la logique. C’est une langue originale et constituée par les événements transmués 216  ”. En quelques phrases est formulée clairement toute la poétique charienne que résume parfaitement l’expression d’“ événements transmués ”. Sur cet “autre versant de la langue” étranger à “ la langue rigide de la logique ”, les “ incidents ”, les “ événements ”, sont un point de départ, l’enracinement nécessaire dans des circonstances vécues, dans une situation dont l’écriture poétique effectue la transmutation en ce que nous avons appelé le réel.

C’est donc la fin du poème qui se crée d’abord, et plus précisément encore, c’est un seul mot, le “ mot-porteur ” du texte, “ tanière ”, qui apparaît en premier, alors qu’il est dans le poème l’ultime mot. Il y a là une inversion intéressante de la genèse poétique : le “ mot-porteur ” est utilisé comme clausule, et son caractère concret fait contrepoids à “ vérité ”, d’autant plus qu’ils sont tous deux aux extrémités des deux derniers vers. La fin des poèmes, très soignée, est souvent le lieu d’un retour, après le mouvement d’abstraction, à une réalité sensible. “ Tanière ” dénote en effet une réalité concrète : le terme désigne un endroit dans la terre ou bien dans le roc où les bêtes sauvages trouvent refuge et, par extension, tout refuge ou toute retraite. Non seulement l’écriture réalise ce phénomène d’abstraction enregistré par la langue en puisant dans un événement vécu et dans sa résonance émotionnelle, mais cette résonance restitue elle-même les deux champs de l’événement, l’un mental, l’autre concret, par une vibration affective de l’un à l’autre : la vérité douloureuse, la plus grande, la plus aiguë, est un lieu de refuge, comme l’est une tanière. La sincérité est un gage d’apaisement.

Notes
215.

“ Sur le tympan d’une église romane ”, La Parole en archipel, O. C., p. 367.

216.

Voir Notes, O. C., p. 1251.