Pour parvenir à cette acmé du poème où se formule le parallèle entre la vérité et le refuge d’un animal, où se constitue l’image de la vérité-tanière, le poème est passé par une représentation ou plutôt une évocation concrète de cette tanière, mais dans un registre métaphorique : ce n’est pas un refuge pour animaux qui est représenté, mais le refuge par excellence des chrétiens, l’église. L’église, celle de Notre-Dame du Lac, au Thor, est la “ maison ” spirituelle, le lieu de l’apaisement, du recueillement et de la confession, et c’est bien de confession dont il est question à l’origine du poème. L’image de la maison de Dieu est cependant développée dans les deux premiers vers :
‘Maison pour recevoir l’abandonné de Dieu,L’absence d’article devant “ maison ” ou “ dos ” peut être un signe de l’absence d’actualisation, qui sied à la convocation d’une image. Dans la situation évoquée, le parallèle religieux ne serait qu’une image, celle d’une lapidation 217 sous laquelle on courbe une échine douloureuse. Dans le titre du poème, et contrairement à de nombreux titres, les substantifs sont cependant actualisés : “ le tympan ”, “ une église ”. Faut-il y voir un effet d’art, dans l’idée d’une inscription architecturale qui serait le reflet de l’inscription qu’est le poème ?: L’événement raconté est comme ces histoires décrites par les reliefs d’un tympan, événements sacrés surtout. L’histoire sacrée est en effet sculptée sur le tympan de l’église car elle s’inscrit dans ce lieu où elle naît, elle s’incarne dans un site. Et, comme souvent dans la poésie de René Char, c’est dans le site de l’expérience, dans le lieu vécu qu’est puisée l’image, le comparant. L’église fait partie de la circonstance et la symbolise : elle est un signe mémoriel de l’existence de l’événement qu’elle signale sans le décrire. Mais elle fait sens dans sa répercussion émotionnelle. L’image est bien présente-absente car, si l’église comme comparant sert à exprimer une émotion non religieuse, elle est motivée par sa réalité dans la situation.
L’église figure le refuge, idée qui traverse le poème de “ recevoir ” à “ tanière ”, en passant par “ avide ”. Le groupe central de trois vers n’explicite plus en contexte l’image chrétienne. Il conserve toutefois l’idée d’une douleur si intense qu’elle suscite un double mouvement : si “ l’abandonné ” est poursuivi, il est aussi poursuivant car il recherche l’ombre. Le troisième vers, scandé par l’allitération en [d], ne présente pas de noms actualisés. “ Désespoir ” est suffisamment déterminé par la situation : mis en apostrophe, il annonce directement le sixième vers. Le désespoir se réfugie dans la sincérité, dans la vérité, en se formulant secrètement. L’idée de confession secrète du sixième vers est donc amenée par l’image de l’église et d’un possible confessionnal. Le second substantif du troisième vers n’est pas non plus actualisé car l’ombre n’est pas caractérisée 218 . Elle reste l’ombre de n’importe quel refuge, concret ou mental, bâtisse bien réelle ou amitié. La référence se perd d’autant mieux que le possessif “ son ” n’a pas de référent extratextuel, il renvoie à “ désespoir ”, qui reste un terme abstrait même si par métonymie il désigne un être. L’absence d’actualisation permet donc d’utiliser la force et la richesse d’une image fortement marquée culturellement, l’église, qui évoque la confession et la consolation, pour dire une situation qui ne lui est que fortuitement liée. Le poème progresse d’ailleurs de l’actualisation de l’édifice religieux, dans le titre, à son évocation, puis à sa disparition totale : il évolue donc bien d’une situation réelle, créatrice d’une image forte, à la seule persistance des sèmes intéressants de l’image qui, elle, disparaît comme support de ces sèmes.
Cette absence d’actualisation est renforcée par l’absence de verbes, donc de toute information aspectuelle et temporelle. Le poème, essentiellement nominal, s’abstrait encore d’avantage des circonstances. Les deux derniers vers sont une “ vérité ” tirée d’une expérience mais valable beaucoup plus largement car elle n’est située dans aucun temps ni aucun lieu et elle ne représente aucun personnage identifiable. Son contenu serait exclusivement notionnel s’il n’était associé à une perception concrète, celle d’une tanière. Si, en apparence, de nombreux termes ont une valeur de signification, il n’en est rien. L’image est surdéterminée par la situation concrète même si elle n’est pas identifiable, et le discours prévaut sur la langue.
L’intertexte biblique est assez net : la situation de l’amie du poète renvoie à la lapidation de la femme adultère.
Dans les syntagmes une ombre fraîche ou l’ombre de l’église, l’adjectif et le complément du nom assurent en revanche l’identification précise de l’ombre.